"Je ne t'ai
pas quitté"
par Laurent Hyafil
2ème Prix
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“J’ai
vraiment été surpris quand j’ai vu ton adresse email apparaître sur ma
boite de réception. Je ne m’attendais pas à ce que tu m’écrives. Voila déjà
maintenant plus de six mois que tu m’as signifié ton désir de rompre tout
contact avec moi, et je m’attendais à ce que cela dure encore. J’ai lu ton
texte avec la plus grande émotion. Pour te dire vrai, les larmes me coulaient
et j’ai du plusieurs fois me lever pour m’essuyer les joues. Tout ce que tu
me dis est dur mais cela traduit une telle souffrance que je ne peux que le
respecter. J’avais mal pour toi, mal que tu puisses penser cela. Je n’ai
certainement pas l’intention de te répondre point par point. Tu as ta vérité,
je ne la contesterai pas.
Peut-être
vais-je essayer de dire quelques mots de ma vérité. Non pas que nos vérités
soient antagonistes, je crois qu’elles sont complémentaires. Je voudrais que
tu puisses accepter ma vérité à coté de la tienne comme j’accepte la
tienne à coté de la mienne. Nos deux vérités forment les deux facettes
d’un vécu commun qui a été perçu de deux façons différentes, mais aucune
des deux n’est plus vraie que l’autre.
Est-ce
que tu te rappelles comme nous avons été heureux tous les deux lors de ce
voyage en Italie. Tu te souviens de ce petit restaurant près de
la Piazza
di Spania, ils servaient des spaghettis à l’encre de seiche comme nous
n’en avions mangé nulle part ailleurs. Et quand nous nous sommes perdus dans
les rues de Pompéi. Tu étais encore à admirer les fresques du lupanar alors
que moi je m’étais dirigé vers l’amphithéâtre. Nous étions tellement
bien dans ce petit hôtel de Naples ou il fallait accéder en utilisant le
funiculaire. Tu vois, je crois que nous avons énormément de souvenirs communs
qui débordent de bonheur. Je t’en ai cité quelques uns, mais il y en a tant
d’autres.
Au
fond, toutes ces dernières années on avait l’impression de ne jamais se voir
alors que l’on se voyait assez souvent. Peut-être que nous ne communiquions
pas assez. Une étrange pudeur nous empêchait de nous parler. Nous n’osions
aborder les vrais problèmes, alors nous parlions de choses et d’autres, du
temps qui passe et qui repasse.
Peut-être
le plus dur a été toute cette période ou nous ne nous sommes vus qu’une
fois par semaine dans ce petit restaurant de la rue Falguière. C’était à la
fois trop court et trop long. Trop court pour que se ré-établisse chaque fois
entre nous un climat d’intimité. Trop long car nous avions le temps de
mesurer la distance qui nous séparait. A chaque fois j’en sortais heureux,
heureux mais tellement frustré.
Ce
qui ne t’est pas apparu c’est a quel point je t’aimais. Or certes je
n’allais pas te le clamer. Toujours cette pudeur qui me retenait. Et puis,
dit-on vraiment ce genre de chose de but en blanc ?. Mais maintenant que tu
as mis une telle distance entre nous je peux te le confesser. Je peux surtout te
répéter que pas une once de mon amour pour toi ne s’est envolé.
C’est
d’ailleurs peut-être pour cela que tu as rompu tous les ponts. Cet amour non
déclaré t’a sans doute étouffé. Ma présence prégnante t’empêchait de
t’affirmer, de faire des choix de façon autonome, en un mot de t’assumer.
Maintenant que tu es sans moi, que tu mènes ta vie comme tu veux, que tu décides
sans même me consulter, tu ressens peut-être l’ivresse de la totale liberté.
Je
t’ai annoncé des le début de ce mail mon intention de ne pas répondre à
toutes tes assertions et toutes tes interrogations. Même si j’avais voulu le
faire, je n’aurais pas pu car je pars dans quelques minutes pour un voyage
d’affaires et je suis déjà en retard. Mais il y a un point que je ne veux
pas laisser sous silence car il a l’air de beaucoup compter pour toi. C’est
vrai je n’aurais peut-être pas du le taire pendant des années, mais
l’occasion ne s’est jamais vraiment présentée pour que je l’évoque. Tu
me demandes comment s’est déroulé mon départ, et bien je vais te le dire en
quelques mots, et c’est la première fois que j’en parlerai.
Depuis dix jours déjà, j’en avais décidé
la date, j’avais commencé à transporter les vêtements les plus encombrants.
Le jour même, je me suis levé à cinq heures du matin, c’était l’été et
j’ai vu le soleil se lever à travers la baie vitrée du salon au dessus de la
foret que dominait notre maison. Tu sais, voir le soleil se lever une dernière
fois à cet endroit précis où je l’avais vu se lever pendant des années fut
un premier choc pour moi. Le véritable signe de mon départ. Alors j’ai
commencé à errer dans la maison en essayant de ne réveiller personne. J’ai
fouillé dans toutes les armoires et tous les placards pour recueillir les
quelques souvenirs de mon enfance. Les bibelots qui venaient de chez mes
grands-parents, quelques pièces de vaisselle que m’avaient donné mes
parents. Je les ai mis dans un grand sac avec le reliquat de vêtements. Et puis
je me suis attaché au plus difficile, trier les photos et extraire les quelques
unes que je voulais vraiment garder car elles présentaient pour moi une réelle
valeur sentimentale.
Quand
tout cela fut fait, quand mon sac fut définitivement bouclé, quand j’eus déposé
sur la commode de l’entrée mon trousseau de clés, je me suis dirigé vers ta
chambre. Tu étais la, allongé sur ton lit, la chevelure blonde toute bouclée,
les yeux fermés, tu dormais. Tu avais l’insouciance et la pureté qui
s’inscrivaient sur ton visage lisse. C’est vrai que je partais de la maison,
mais je ne quittais pas, non, je ne t’ai pas quitté. Alors les larmes ont
empli mon visage exactement comme elles l’ont empli quand j’ai lu ton mail.
L’émotion a envahi tout mon être et avant de quitter la pièce, après
t’avoir embrassé sur le front, je t’ai simplement dit « pardon ».
C’est ce « pardon » qui résonne en moi encore plus de dix ans après.
Mais je te le répète encore après toutes ces années, c’est vrai, je suis
parti, mais je ne t’ai jamais quitté »
*
Olivier finissait de relire le mail qu’il allait envoyer. Il eut la gorge
pleinement serrée quand il passa sur le paragraphe des détails de son départ
qu’il révélait pour la première fois. A ce moment il se souvint qu’il
avait accepté de ne pas répondre à son fils tant qu’il ne le lui
demanderait pas explicitement. C’était leur règle, il ne pouvait y déroger.
C’était la condition pour qu’il restaure une relation qui s’était
lentement dégradée. Avec les plus grands regrets, il appuya sur la touche
« supprimer », puis attrapa son sac et se jeta dans l’escalier
pour rejoindre le taxi qui l’attendait en bas depuis un bon moment déjà.
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