Paricide par Benoît Bret |
Aujourd'hui,
Papa m'a dit que quelqu'un habitait dans ma tête.
Je n'ai pas compris.
Mais s'il me dit ça, c'est que c'est vrai
Comment quelqu'un pourrait tenir dans une si petite boîte ? Ca ne paraît
pas possible ... Mais je crois Papa.. Il ne me mentirait pas.
Je suis quand même allé vérifier dans un miroir. Quelqu'un m'a dit un
jour que les yeux étaient le reflet de l'âme. Comme je ne savais pas ce qu'est
l'âme, j'ai demandé à Papa qui m'a répondu que l'âme c'est ce qu'on a dans
la tête. Donc si je regarde mes yeux je verrai ce qu'il y a dans ma tête. Mais
je n'ai rien vu d'autre dans le miroir qu'une figure avec deux yeux, dont leur
centre est noir, placée au-dessus d'un beau pull rouge que m'a offert Maman
pour mon anniversaire.
J'ai douze ans.
Peut être que cette personne se cache dans ce noir. Elle ne veut sans
doute pas se faire remarquer. Elle espère peut-être rester dans ma tête. Je
n'aurais jamais pensé que c'était confortable à l'intérieur. On doit y être
à l'étroit. Et dans le noir en plus ! Je n'aimerais pas rester dans un endroit
pareil.
Comme je n'ai rien vu dans le miroir je suis allé demander plus
d'explications à Papa, mais il ne m'a pas dit grand chose. Seulement que cette
personne avait fait quelque chose de très mal. Maintenant elle se cache pour ne
pas être attrapée par les policiers. J'ai demandé ce qu'elle avait fait et il
m'a dit que ça ne regardait que cet inconnu et qu'il était temps pour moi
d'aller me coucher : je vois M.Richet demain et il ne faudra pas que je sois
fatigué quand j'irai chez lui.
Avant d'aller me coucher je demande à Papa d'appeler Maman pour qu'elle
vienne me dire bonsoir, mais il me dit qu'elle est déjà couchée et qu'elle ne
viendra pas ce soir. Je commence à m'énerver parce que je sais que si elle ne
me dit pas bonne nuit je dormirai mal. Et alors je ne serais pas en forme pour
aller voir M.Richet.
Il cède et me dit d'aller la voir dans sa chambre mais juste pour la
regarder : il ne faut pas que je la réveille. J'y vais sagement sans faire de
bruit, la regarde comme Papa m'a dit de faire et retourne dans mon lit, prêt à
dormir.
*
*
*
Le jeune homme errait dans sa cellule comme une âme en peine. Adossé
contre le mur, il repassait sans cesse la même scène dans sa tête. La
cuisine, sa mère, le couteau à viande... Comment avait-il pu en arriver là ?
Sa propre mère !
Cela faisait déjà quelques
temps que les choses ne se passaient plus très bien entre eux deux et petit-à-petit
ce qui n'était au début qu'un simple énervement récriproque c'était
transformé en une haine cachée, prête à exploser à tout instant.
Et ça avait explosée...
Dès le moment où elle avait avancé que ce n'était qu'un bon à rien
qui aurait du partir depuis longtemps de leur maison au lieu de vivre aux dépends
d'une mère qu'il n'aimait même pas, il était entré dans une colère animale
qui lui avait fait oublier ce qui s'était passé. Sauf le couteau... Il ne
pouvait pas l'oublier. Même s'il n'y pensait pas, il sentait une présence
troublante qui le ramenait invariablement à se rappeler la scène, ou du moins
ce qu'il imaginait s'être passé.
Par contre, de son arrivée dans cette pièce, aucune réminiscence. Et même
pas un indice pour découvrir qui l'avait amené là et pourquoi. La pièce était
plutôt sombre car seules deux petites lucarnes trop hautes pour qu'on puisse
regarder à travers l'éclairaient très faiblement et les murs étaient en
briques sombres. Ca n'était pas sale, mais on percevait une certaine ancienneté
dans les lieux. Bref, cette pièce pouvait se trouver n'importe où dans la
ville, ou dans le monde. Il fut dérangé à l'idée qu'on ait pu le transporter
par delà le monde sans qu'il s'en aperçoive. Cela impliquerait d'ailleurs
qu'il soit resté inconscient longtemps. Combien de temps ? Encore une fois
aucun indice. Assomé par tant de questions sans réponse, il s'allongea et
ferma les yeux avant de plonger dans un sommeil troublé par des rêves de sa mère
l'accusant, mais aussi d'un jeune garçon au pull rouge.
*
*
*
Aujourd'hui Papa m'a dit qu'on devait aller à la police pour dénoncer
la personne qui s'était cachée dans ma tête. Mais j'ai peur. J'ai peur qu'ils
croient que c'est moi qui ait fait une bêtise. Je ne veux pas être puni à la
place de cet homme.
Je n'ai même pas pu voir Maman avant de m'en aller... Elle était déjà
partie au travail...
On est arrivé chez les policiers et on nous a demandé d'attendre qu'un
monsieur vienne nous voir. Alors on a attendu. Puis le policier est arrivé et
nous a fait rentrer dans une pièce où il a commencé à me poser des questions
sur ce qui s'était passé.
Mais je ne savais rien puisque ce n'était pas moi qui avait fait la bêtise
! Pourtant il a continué à me poser des questions comme si de rien n'était, même
si je lui disais que je ne savais rien et que ce n'était pas à moi qu'il
fallait poser des questions. Alors j'ai pleuré pour lui faire comprendre que
j'en avais assez.
C'est ce que je fais tout le temps quand je veux avoir quelque chose à
la maison. Quand je pleure, Maman accepte tout ce que je demande. Par contre si
Papa est là, c'est plus dur, parce qu'il ne me croit jamais. Il est fort : il
sait quand je mens ou pas.
Le policier était aussi fort que Papa : il a tout de suite compris je ne
voulais plus lui parler. Mais je pense qu'il a aussi pensé que je ne voulais
pas avouer que j'avais fait la bêtise. Alors il a recommencé ses questions,
toujours les mêmes. Puis j'ai dit que j'avais quelqu'un qui se cachait dans ma
tête et que ce n'était pas de ma faute s'il avait fait des bêtises.
Comme il voyait que je ne répondrai pas comme il voulait alors il m'a
dit quelque chose. Je n'arrête pas de penser à ça maintenant. C'est comme si
le policier était coincé dans ma tête avec l'autre personne et qu'il n'arrêtait
pas de répéter cette phrase : « Tu sais, p'tit, quand on fait quelque
chose de mal, on doit l'avouer, et ton père m'a dit que, justement, tu avais
fait quelque chose de mal. C'est pas parce que t'es un malade mental que t'as le
droit de tout faire !
-
Ne lui parlez pas sur ce ton s'il
vous plaît. »
Je n'ai pas entendu la suite parce que je me suis énervé contre Papa et
je lui ai sauté dessus parce qu'il pensait lui aussi que c'était moi qui avait
fait la bêtise. Mais au moment où j'allais le frapper, il m'a piqué avec une
seringue et je me suis endormi.
*
*
*
Lorsqu'il se réveilla, le jeune homme eut besoin d'un certain temps pour
se rappeler où il se trouvait. La pièce sombre... Rien n'avait changé :
toujours les mêmes murs, les mêmes petites lucarnes inaccessibles qui le
toisaient de haut, et la porte.
La porte ? Il ne l'avait pas encore remarqué . Peut-être parce qu'il
lui paraissait normal qu'il y en ait une dans la pièce. Néammoins, cette
vision lui redonna espoir. Peut-être que s'il arrivait à tendre une embuscade
à la prochaine personne qui rentrerait ici,- si quelqu'un rentrait un jour-, il
avait une petite chance de s'enfuir et de rejoindre le premier poste de police
qu'il trouverait. Il se mit à chercher dans la pièce qu'il connaissait
maintenant par coeur un objet qu'il pourrait l'aider à mettre son plan en
oeuvre.
C'est alors qu'il tomba sur le plateau. Nouvelle surprise. Quelqu'un était
donc entré pour lui apporter à manger. Depuis qu'il était arrivé ici,-
combien de temps cela faisait-il ?-, il n'avait rien mangé qui venait de l'extérieur.
Heureusement, son kidnappeur ne lui avait pas pris les deux barres chocolatées
qu'il avait dans sa poche de blouson et le jeune homme avait ainsi pu manger,
peu certes, mais suffisamment pour ne pas être immobilisé par la faim.
D'autant plus que son activité dans cette pièce n'était pas des plus
intenses.
Après avoir mordu dans le sandwich posé sur le plateau, il se dirigea
vers la porte. Elle était banale, noire, comme le reste de la pièce,- sans
doute la raison pour laquelle il ne l'avait pas remarqué tout de suite-, et un
judas se tenait en son centre. Poussé par la curiosité, il regarda à travers
et ce qu'il vit le remplit à la fois d'étonnement et d'espoir : les murs du
couloir qui se trouvait derrière la porte était le même que celui de son
immeuble. Il se trouvait dans son propre immeuble, ou en tout cas dans un de son
quartier ! Qui avait bien pu prendre le risque de le traîner ici, près de
voisins qui le reconnaitraient sans doute ?
Il se mit à guetter à travers le judas le moindre signe de mouvement
dans le couloir aux murs blancs, qui contrastaient étrangement avec l'obscurité
de la pièce exigüe où il n'avait que trop longtemps séjourné. Il patienta
une demi-heure, puis une heure. Mais le couloir restait désespérément vide.
Au bout d'une heure et demie il se rendit à l'évidence : son kidnappeur avait
bien choisi le coin où l'enfermer. Un studio situé à un étage où personne
ne vivait et ne passait jamais.
Le courage et la motivation laissèrent place à une rage désespérée.
Il se mit à frapper la porte de toutes ses forces en hurlant qu'on devait le
laisser sortir. Il frappa encore et encore jusqu'à ce que ses phalanges se
mettent à saigner. Alors seulement il revint à la raison. Il devait garder son
sang froid s'il voulait pouvoir sortir.
A ce moment, il entendit un bruit venant du couloir. Il regarda à
travers le judas et vit une personne, sans doute le gardien de l'immeuble venu là
pour faire une ronde. Il se remit à taper jusqu'à ce que l'homme l'entende et
s'approche. « Qui est là ?
-
S'il vous plaît, ouvrez moi ! On
m'a enfermé ici, j'attendais que quelqu'un arrive !
-
Oui.... oui, patientez, je
redescends à ma loge chercher les clés du studio. »
Il revint et ouvrit au jeune homme. Devant la mine inquiète du gardien,
il comprit qu'il ne devait pas être beau à voir.
« Qu'est-ce
que vous faisiez ici ?
-
Je ne sais pas... J'était chez moi
et.... »
Le
coup de couteau porté à sa mère lui revint en mémoire et il frissonna de
peur. Il devait retourner chez lui pour voir si elle allait bien. Il se mit à
courir et dévala les marches de l'escalier de service quatre à quatre.
« Hé, monsieur, attendez! Où allez-vous ? Dites-moi au moins ce qui se
passe ! »
*
*
*
Ca sonne à la porte.
J'ouvre et là, je vois mon grand-frère qui a l'air d'avoir très peur. Dès
qu'il me voit il me prend pas les épaules et me secoue en criant: « Julien,
où sont Papa et Maman ? »Mais c'est désagréable comme il me secoue,
alors je ne répond pas tout de suite, mais il me secoue plus fort et comme je
commence à avoir peur de lui je lui réponds. « Ils dorment », je
dis. En fait, je mens. Papa ne dort pas, il ne respire même pas : il est mort.
Quand on est rentré de chez le méchant policier, Papa m'a dit de m'asseoir
dans la cuisine et il m'a expliqué que Maman était morte.
Je n'ai pas voulu le croire et je me suis encore énervé comme chez les
policiers,. Papa m'a dit de me calmer sinon il me redonnerait un coup de
seringue dans le bras. Je me suis calmé et je l'ai écouté.
Il m'a dit que c'était Pierre, mon grand-frère, qui l'avait tué parce
qu'il n'était pas content de quelque chose que Maman avait dit et que
maintenant, il l'avait enfermé quelque part pour pas qu'on le trouve. Il m'a
aussi dit qu'il m'avait menti, que personne n'habitait dans ma tête, qu'il
avait dit ça seulement pour protéger Pierre. Il voulait que ce soit moi qui me
fasse arrêter par les policiers à sa place, parce que moi, j'étais en retard
mentalement,- je n'ai pas compris ce que ça voulait dire-, et que, du coup, ça
m'empêcherait d'aller en prison. Il s'est même mis à pleurer.
Mais
je m'en fichais, je me suis encore énervé, plus fort que toutes les autres
fois. J'ai pris un couteau qu'il y avait dans la cuisine et j'ai frappé Papa
avec.
Maintenant, il est couché à côté de Maman dans leur lit et je suis en
train de le regarder avec Pierre. Lui, il a l'air d'avoir très peur, il ne
bouge plus. Moi, je ne comprends pas pourquoi il est si effrayé : mon grand-frère
est toujours gentil avec moi. Il va bien pouvoir s'occuper de moi maintenant.
*
*
*
C'était horrible...
Ca ne pouvait être qu'un rêve...
Les deux parents de
Pierre étaient allongés l'un à côté de l'autre en face de lui, dans leur
lit. Ils avaient l'air serein, comme s'ils étaient en train de dormir.
D'ailleurs, on aurait presque pu croire que c'est ce qu'ils étaient en train de
faire. Mais les deux tâches rouges sur les draps blancs ne trompaient pas. Pas
plus que la longue trainée de la même couleur qui partait de la cuisine et
arrivait au pied du lit à l'endroit où son père était allongé. Face à ce
spectacle morbide, il n'arrivait plus à bouger.
Au bout de quelques
minutes, il réussit à prononcer quelques mots. « Mais qu'est-ce qu'on va
faire, Julien, tu peux me le dire ? Qu'est-ce qu'on va faire ? »