Simone   par  Marianne Bret  

 

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Non, non , non et non!

Elle ne voulait pas ouvrir la porte.

Elle n'attendait personne mais on avait frappé.  Ce n'était pas la première fois que cela arrivait,et lorsqu'elle regardait par le judas, elle ne voyait rien. Elle ne voyait rien mais elle entendait: une course dans le couloir,une porte qui claquait, des rires étouffés, oh, pas loin, juste derrière la porte, mais à ce moment quelqu'un était donc tout près .

Cette fois ci, pas de bruit, pas de cavalcade, pas de claquement de porte. Le silence.

Elle pensa que la personne était restée derrière la porte, peut être assise sur son paillasson à attendre dieu sait quoi, qu'elle ouvre sa porte et puis... et puis quoi? Non, non, elle ne sortirait pas.  Elle commençait à avoir peur, peut être avait elle été trop loin? Après tout, peut être que quelqu'un cherchait à l'effrayer, tout simplement.

 

Elle continua pendant quelques instants à attendre, attendre un son qui lui comfirmerait la présence d'une personne, mais rien, toujours rien. Sur la pointe des pieds, elle regagna son salon et s'assit dans un fauteuil. Pour se détendre et pour réfléchir.

 

A ce moment, la solitude lui pesa comme jamais auparavant. Mon dieu, comme elle se sentait seule dans son appartement, dans sa petite vie.

Elle sortait pourtant de chez elle tous les jours, discipline qu'elle s'imposait quelque soit le temps qu'il faisait. Elle allait lire le journal à la bibliothèque, faisait ces courses mais ne s'attardait pas à discuter avec les commercants ou avec des voisins. Elle avait à faire chez elle.

Son appartement était d'une propreté irréprochable, elle s'en donnait la peine. Frotter, épousseter, laver...

         Et puis il faut reconnaître que parfois, quand elle ne savait pas comment tuer le temps, elle sortait dans le couloir, la cage d'escalier ou l'ascenceur et frottait pour faire briller la glace, nettoyer la rampe, mettre à la poubelle tous ces prospectus éparpillés par terre. Certes, un monsieur venait faire le ménage mais ce n'était jamais bien parfait...Il lui était même arrivé de mettre des mots vers les boîtes aux lettres, vers les poubelles ou vers la porte d'entrée:

"Si vous ne souhaitez pas vos prospectus, mettez les à la poubelle s'il vous plait"

"Ne bloquez pas la porte sinon il y a des courants d'air, merci"

Les voisins ne lui avaient jamais fait de remarques, de toutes façons, elle ne les rencontrait que rarement. Leurs horaires ne correspondaient pas vraiment. Ils travaillaient tous, toute la journée, et rentraient tard.

L'immeuble n'était pas très grand. Les appartements de taille variée, rénovés pour la plupart. Des étudiants et quelques familles avec enfants. En fait, elle était la plus vieille...la plus vieille et la plus seule.

Quand Georges, son mari,  était là, ce n'était pas pareil.

Ils étaient venus dans cet immeuble quelques mois avant leur retraite. La mère de Georges était décédée et leur avait légué l'appartement.

Deux   amis les avaient aidés à faire quelques rafraissements aux murs et aux sols et ma foi, ils avaient passés de bons moments ici.

Georges était décédé il y a dix ans maintenant. En jouant aux cartes avec des amis, une crise cardiaque massive, brutale et tout c'était arrété, définitivement.

Ils n'avaient pas eu d'enfant. Les amis étaient restés quelque temps mais petit à petit les amitiés s'étaient effilochées car finalement c'était Georges qui entretenait les relations, elle, Simone, elle suivait.

         Les amis partis ou disparus, elle se retrouvait seule: pas d'enfants, pas de famille ou si peu qu'elle n'y songeait même plus, personne ne se manifestant de part et d'autre.Petit à petit, elle se rendait bien compte, elle se renfermait, comme un coquillage, se repliait sur elle même et ne savait plus comment faire avec les autres.

 

Elle n'était pas sauvage pourtant, elle aimait son indépendance c'était différent. Choisir de voir ou non quelqu'un, de parler à son voisin, de sortir...elle voulait maîtriser ce qui lui arrivait. Et finalement, Simone avait trés bien réussi car  maintenant elle récoltait ce qu'elle avait semé comme on dit: elle était seule, seule, seule.

 

Cette solitude ne lui avait pas trop pesé jusqu'à maintenant, peut être même qu'elle avait trop bien supporté cet état. Les premiers mois de veuvage l'avait laissé désemparée, certes, car elle devait désormais tout assumer, tout décider. Avant, lorsque Georges était là, ils discutaient, bien sur, s'ils n'étaient pas d'accord, mais c'était lui qui prenait la décision finale. C'était comme ça, elle n'avait jamais remis en cause cette façon de procéder. Question d'éducation et d'époque probablement!

 

Elle s'était accomodée petit à petit de cette nouvelle liberté.

En fait, Simone n'avait jamais été aussi libre. Il avait fallu la mort de son mari pour qu'elle goute à cette nouvelle sensation, la liberté!...Elle ne dépendait de personne et personne ne dépendait d'elle.

Elle avait découvert qu'elle aussi pouvait faire des choix, qu'elle était capable de le faire surtout, car en fin de compte elle ne s'était pas posé la question avant.

Le jour où elle avait réalisé le luxe de cette nouvelle vie, toutes proportions gardées évidemment, Simone avait ressenti une pointe de culpabilité. Une pointe mais pas plus... pourquoi culpabiliserait elle à propos d'un fait où sa responsabilité n'était absolument pas engagée?

Son mari était mort de façon violente mais naturelle, un point c'est tout. Elle avait la chance d'être en bonne santé et, cahin caha, elle vieillissait doucement mais tranquillement.

Aprés tout, sa vie n'était pas comme dans ces romans policiers qu'elle dévorait...

Elle avait découvert trés tardivement la lecture. Elle était plus "télé" autrefois puis un jour, en allant à la bibliothéque, elle avait surpris une conversation entre une bibliothéquaire et une jeune femme à propos d'un auteur de série noire. Leur enthousiasme à propos de l'intrigue et de son déroulement l'avait attiré et par curiosité, elle avait pris un livre de cet auteur, Fred Vargas. En rentrant elle avait commencé à le lire puis elle ne s'était pas arrété...elle l'avait lu jusqu'au dernier mot, tard dans la nuit, trés tard.

 

Simone se mit alors à lire, lire et encore lire. Elle rentrait dans la vie des héros avec le sentiment d'être leur ange gardien,leur protectrice. Elle les accompagnait dans leurs poursuites avec la légereté et la discrétion d'un papillon,mais avec l'oeil aiguisé de l'aigle prêt à piquer sur les truands ou criminels qui attentaient à la vie d'un courageux détective ou redresseur de tort. Elle guettait les indices donnés par l'auteur, cherchait à déjouer les fausses pistes, bref elle vibrait toute entière pendant ces moments de lecture.

Lire lui permettait aussi de voyager grâce aux différents auteurs: Connelly, Donna Leon, Dennis Lehane, Vargas...elle pouvait encore en citer.  New York, Palerme ou encore Venise ne lui étaient pas étrangères. Elle aimait s'imaginer les lieux, les couleurs, les odeurs, le visage des personnages.

C'est pour ça qu'elle ne regardait plus la télé: elle ne pouvait pas rêver,  tout était déja  donné .

Elle avait lu une grosse partie du stock de la bibliothèque et retenait les livres déja empruntés pour ne pas manquer une aventure du fameux Harry Bosch ou du commissaire Brunetti...

Lorsqu'elle avait terminé un livre, elle ne pouvait en commencer un autre immédiatement, il lui fallait se séparer de ses personnages.

Elle sortait alors briquer la rampe ou le miroir, jeter les prospectus.

 

Simone était en train de réaliser que finalement tous ces héros l'avaient accompagné ces dernières années, que ces histoires de vies marginales lui avaient un peu fait oublié la sienne. Elle avait l'impression de faire partie de leur intimité, de leur famille. Elle comprenait leur sentiment de solitude. Elle se disait que...

 

Ca y est, ça recommençait, on avait frappé à la porte!

Elle était rattrapée par la réalité. Combien de temps s'était écoulé?

Les coups étaient plus insistants, comme si on l'appelait...mais non,  ce n'était pas une impression, on l'appelait bel et bien!

-" Mme Bernard, S'il vous plait, j'ai besoin de vous!"

Là, elle devait vraiment voir ce qu'il se passait, ce n'était pas normal qu'on lui dise ça.

Simone regarda par le judas.

Contrairement aux autres fois où il n'y avait personne, là, elle vit une jeune femme. Sa voisine en fait. Elle l'avait déja entendu. Elle rentrait tard avec ses deux enfants, son mari était souvent absent semble t'il.

Simone devait ouvrir sa porte, elle ne pouvait rester de l'autre coté sans rien faire, mais qu'est ce qu'elle pouvait bien vouloir?

Elle lui avait proposé de la dépanner  de temps en temps, à force de l'entendre rentrer tard, les enfants fatigués, capricieux. Elle ne l'avait pas fait directement, non, elle avait mis un mot dans la boite aux lettres il y a trois jours.

Son audace l'avait surprise. Elle avait réfléchi un moment avant de l'écrire puis elle s'était lancée...

Il n'y avait pas eu de réponse mais voilà que maintenant la jeune femme était derrière la porte!

 

Simone ouvrit et la jeune femme se présenta et s'expliqua: son jeune fils de deux ans avait une forte fièvre, mal aux oreilles, elle devait l'emmener chez le médecin qui lui avait donné rendez-vous de suite.  Elle profitait de la proposition  et de la disponibilité de Simone.

Son mari rentrait d'ici une demi heure, pouvait elle garder sa fille ainée pendant ce temps, il était dix neuf heures, elle avait pris son bain et ne voulait pas la ressortir dehors?

 

Simone accepta et cinq minutes aprés se retrouvait dans son appartement avec une petite fille de six ans du nom de Lucie qui la dévisageait sérieusement, tenant d'un coté une poupée et de l'autre un sac avec papiers et crayons.

Elles s'installèrent à la cuisine, Lucie à table pour dessiner et Simone au fourneau.

Silencieuses, l'une coloriant et l'autre épluchant, elles s'observaient mutuellement ne souhaitant pas que l'autre s'en aperçoive.

-" Est ce que tu es une grand mère toi? "

Simone fut surprise de la question mais répondit:

-" Je n'ai pas d'enfant, je n'ai donc pas de petits enfants comme toi par exemple, mais tu as raison, je suis une vieille dame! "

-" Tu es triste?"

-" Moi?"

Avait elle vraiment l'air si triste que ça?

-" Non, je n'ai pas l'impression mais je me trompe peut être, qu'est ce que tu en penses?"

-" Ca doit pas être drôle d'être toujours toute seule, moi j'aurais peur! T'as pas peur toi? "

-" Non, je n'ai jamais eu peur. C'est peut être bizarre pour une vieille dame, non? Mais tu vois, lorsque j'ai entendu frapper tout à l'heure avant ta maman et que je n'ai vu personne par le judas, je ne sais pas pourquoi, aujourd'hui, ce n'était pas comme d'habitude et je me suis trouvé bien seule et j'ai eu un peu peur! "

-" C'était moi derrière la porte!"

-" C'était toi?"

-" oui mais t'as pas entendu alors  maman est venue aprés et moi j'ai voulu venir chez toi."

-" C'est toi qui a voulu venir chez moi? "

-" Ben oui, t'es toujours toute seule, comme ça t'auras quelqu'un avec toi!"

-" Comment sais tu que je suis seule?"

-" C'est maman qui me l'as dit."

Simone découvrait de nouvelles sensations: quel plaisir de parler avec une enfant, comme ça, simplement. Cette petite Lucie n'avait pas les yeux dans sa poche, et puis elle disait les choses sans détours, probablement comme font les enfants en fait.

 

On frappa encore à la porte. Le temps passe vite.

-" C'est mon papa, hein,tu crois pas?"

-" Je vais voir...oui, oui, c'est lui, tu peux venir!"

 

Le papa de Lucie remercia chaudement Simone, Lucie l'embrassa et lui dit à bientôt.

 

Un dessin était resté sur la table de la cuisine: un papa, une maman et leurs deux enfants, un arbre, une fleur et quelqu'un qui aurait bien pu être Simone à coté, parce que ses cheveux étaient gris.

 

Seule à nouveau, Simone songeait à la conversation avec Lucie. Finalement, sa solitude était peut être moins lourde maintenant.

 

Des jours passèrent, en fait il y avait eu les fêtes de Noël, du jour de l'an. Simone avait poursuivi ses lectures.

 

Un dimanche aprés midi on frappa à sa porte. Pas de cavalcade  mais encore des petits coups;

-" C'est Lucie, tu peux m'ouvrir?"

Simone ouvrit la porte;

-" Tu veux venir manger la galette des rois avec nous, maintenant?

Avec un grand sourire, Simone accepta,  prit ses clefs, ferma sa porte et suivit Lucie qui criait " Elle a dit oui, maman!  elle a dit oui!"

             

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