"La maldonne"     

                                                                             par    Christian Larbaig  1er Prix

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        Quand Andréa entra dans le hall de son immeuble cet après-midi  là, deux personnes attendaient déjà l’ascenseur. Une femme d’un certain âge avec un porte-documents à la main, et avec elle, un homme d’environ trente, trente-cinq ans, portant beau un blazer sur une chemise blanche à col ouvert. Elle remarqua qu’il portait un diamant à l’oreille droite. Ce sourire charmeur, ce regard qui vous accrochait….Il était difficile de ne pas le remarquer.

Ils s’arrêtèrent au dernier étage, comme elle. Aux propos échangés, elle comprit qu’ils venaient visiter l’appartement contigu au sien. Un dernier regard puis un hochement de tête de l’homme en guise de salut, la troublèrent plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Quelques temps passèrent sans qu’elle prêtât plus attention à cette rencontre, jusqu’au jour où un camion de déménagement se gara devant l’immeuble et déplia une longue échelle jusqu’à la terrasse voisine. Un piano droit et blanc, de facture moderne fut hissé sans plus de précautions. Le soir, elle ne savait toujours pas qui avait emménagé à côté. Elle le sut le lendemain matin quand elle le croisa en sortant de l’immeuble. Galamment, il lui tînt la porte tandis qu’elle balbutiait un bonjour timide…Elle eut le temps de remarquer son visage non rasé et des cernes sous les yeux. D’où venait-il ? Qu’avait-il fait de sa nuit ? Elle se surprit les jours suivants à sortir sur sa terrasse plus souvent qu’à l’accoutumée et à regarder par le judas quand elle entendait la porte de l’ascenseur s’ouvrir sur le palier. Curieuse en diable, elle descendit aux boîtes aux lettres : il se prénommait Luc. Elle l’aperçut quelques fois, toujours seul. Cela l’intriguait mais lui faisait plaisir aussi. Il ne semblait pas marié. Beau et libre, était-ce possible ? Son mari n’avait pas d’avis sur la question quand elle lui en parla. Il passait ses journées au bureau et ramenait même des dossiers qu’il étudiait le week-end. Son poste de conseiller auprès du ministre de la Santé Publique lui prenait tout son temps. Il entendait bien les récriminations de son épouse quand elle se plaignait d’être souvent seule, mais il ne les écoutait pas. Alors la vie du voisin…il s’en foutait. Andréa, d’origine espagnole, avait dans son enfance reçut une éducation stricte dans le respect des valeurs catholiques. Mais la présence de cet inconnu commençait à ébranler ses convictions. Elle voyait tous les sacrifices qu’elle avait faits en arrêtant ses études pour suivre son mari à la capitale, un homme qu’elle aimait, bien sûr, mais qui était tout de même loin de ressembler à Indiana Jones ! Elle avait la sécurité, l’argent et le confort, mais à vingt-sept ans, elle craignait de passer à côté de sa vie. Tout le bel édifice qui faisait son quotidien commençait à se lézarder. Elle le sentait. Nous étions au mois de mai, et le soleil qui brillait incita Andréa à parfaire son bronzage. C’était peut-être un bon moyen d’attirer l’attention, non ? L’appartement n’avait pas de vis-à-vis. L’immeuble donnait sur le parc Montsouris et seuls, le voisin et les oiseaux avaient vue sur cet espace aménagé où les orangers du Mexique voisinaient avec des érables rouges nains et des thuyas en pots. Elle déplaça quelques plantes de façon à ce qu’il puisse avoir une vision parfaite sur l’endroit qu’elle avait choisi pour étendre sa serviette de bain.

Elle se réjouit rapidement de sa tactique. Dès le premier jour, Luc apparut et s’appuya sur la balustrade. Il prit son temps pour rouler une cigarette avec un tabac hollandais qu’utilisaient les fumeurs de pipe. Il la salua discrètement d’un petit signe de la main, un geste auquel elle répondit par un sourire ravageur tout en reposant la revue féminine qu’elle lisait, découvrant ainsi une poitrine menue avec de grandes aréoles brunes. Andréa, d’habitude pudique s’enhardit quelque peu en se tournant sur le côté sous prétexte de prendre une bouteille d’eau, offrant à sa vue des fesses rebondies que le string qu’elle portait découvrait entièrement. En reprenant sa position initiale, le voisin avait disparu. La phase B du plan de séduction s’imposait. Le lendemain, elle arborait un mini string blanc attaché sur les côtés par de simples ficelles. Quand son voisin arriva à la même heure que la veille, elle se leva sans le regarder et rentra se rafraîchir sous la douche. Elle réapparut ruisselante. L’eau avait rendu le maillot collant et transparent. C’était l’effet recherché. Cachée derrière ses lunettes de soleil pour éviter de rencontrer son regard, elle s’allongea face à lui et écarta les jambes. Il ne pouvait manquer de voir le triangle noir des ses poils pubiens abondants et touffus si peu dissimulés. Trente secondes après elle entendit les volets roulants d’à côté se baisser. Mais le hasard voulut qu’ils se rencontrent dans l’ascenseur le soir même. Elle n’osait pas le regarder. Il lui dit : « vous vivez dangereusement…. » « Je mets des crèmes pour me protéger du soleil » répondit-elle. » « Je ne parlais pas de ça » eut-il le temps d’ajouter avant que la cage ne s’arrête au second étage où un couple monta coupant là leur conversation. Plusieurs jours passèrent sans qu’elle le revoie. Un matin de juin, elle trouva parmi son courrier une lettre non timbrée, avec à l’intérieur, deux places de théâtre sans un mot d’explication pour les accompagner. Andréa et son mari, au début perplexes, décidèrent d’y aller. Il s’agissait d’une pièce de boulevard avec dans un second rôle, le voisin de palier ! Acteur…Le cachottier…Elle jubilait intérieurement. Il avait fait le premier pas et tout serait plus facile désormais. C’est son mari qui, ingénument l’aida dans son entreprise en proposant de se rendre dans les loges pour le remercier. Ce qui fut dit fut fait. Les félicitations d’usage furent cordiales et bon enfant.

Ils décidèrent de dîner ensemble le lendemain soir, jour de relâche, car le couple se sentait redevable. Andréa passa la journée à confectionner le repas et à réfléchir à ce qu’elle allait mettre pour s’habiller. Il était vingt heures trente quand le carillon de l’entrée sonna. C’est elle qui se précipita pour aller ouvrir à un gros bouquet de fleurs derrière lequel se dissimulait Luc. Elle fut touchée par l’attention car les orchidées étaient ses fleurs préférées. Mais comment savait-il ?

Lui avait soigné sa tenue : pantalon de drap blanc, chaussures italiennes et une chemise à fleurs aux tons pastel. Il restait des effluves de CK One sur son passage. Une bouteille de champagne millésimé fut ouverte pour l’occasion, et quelques banalités firent la conversation au début. Dans sa robe noire en fourreau, Andréa s’affairait à remplir les coupelles de biscuits apéritifs. Au moment de s’asseoir, elle choisit la place en face de lui. La profondeur du sofa permettait une vue plongeante sur l’intérieur de ses cuisses bronzées. Elle le regarda droit dans les yeux et soutint son regard. Distraitement, tout en discutant théâtre avec le mari, Luc posait son regard sur le triangle de coton blanc qu’il apercevait tout en haut des jambes de son hôtesse. Le téléphone sonna dans la chambre d’à côté qui servait de bureau. Le mari s’excusa et sortit de la pièce. Profitant de cet instant où ils étaient seuls, Andréa se leva pour s’approcher du fauteuil de son invité. Elle lui passa la main dans les cheveux qu’il portait un peu longs. « Vous êtes très beau ce soir, bien habillé… ». Lui posa sa main sur la cuisse de cette femme qui semblait s’offrir et remonta lentement. Ses doigts rencontrèrent le slip qu’il avait entrevu auparavant et s’immobilisèrent. « Et vous trop habillée… » Lui répondit-il. Ils entendirent que la conversation téléphonique touchait à sa fin et ils se séparèrent. « Il ne peut pas me laisser tranquille ce ministre. Vous croyez que je suis indispensable ? ». Les deux eurent un sourire de connivence complice : « Sûrement, mon chéri…Je vais m’occuper de la cuisine. » Et elle sortit de la pièce. Le repas fut pris sur la terrasse à la lumière des bougies, et chacun raconta un peu sa vie. En se quittant, il réussit à lui glisser à l’oreille : « Je vous attend demain avec les croissants… ».

A peine son mari parti travailler, Andréa sonna à la porte de son voisin. Il portait une robe de chambre en soie pourpre, et marchait pieds nus. Ils s’embrassèrent fougueusement. Tous les mots étaient inutiles. Elle lui arracha son vêtement et roulèrent sur la moquette de l’entrée. C’est elle qui prit encore l’initiative en se mettant à genoux et en remontant vers le visage de son amant. Il put constater que sa demande d’hier soir avait été exaucée : Andréa ne portait rien sous sa jupette de tennis plissée. Cette aventure excitait celle qui, quelques semaines plus tôt, n’imaginait pas qu’elle put avoir toutes ces audaces. Elle descendit le long de son corps et s’empala sur lui. C’est elle qui dirigeait et elle aimait ça. Ce sentiment de domination lui plaisait alors qu’elle était plutôt passive avec son mari. Là, il lui semblait qu’elle était elle-même. Luc ne tint pas longtemps la chevauchée presque violente de sa cavalière. Un dernier soubresaut lui arracha un cri de jouissance, puis ils roulèrent sur le côté, enlacés. Elle se releva rapidement et fit le tour de l’appartement. Décoré avec goût, il ressortait de l’ensemble un certain raffinement. Une ambiance feutrée avec un mobilier moderne et des voiles de batik en guise de rideaux apportaient une touche exotique et colorée. Un piano droit était rangé dans le fond du séjour. Une rose rouge dans un soliflore était posée dessus. Pas de photo de femme aux murs. Mais dans l’entrée, une statue en stuc représentant un guerrier grec avec une cravate passée autour du cou, comme par pudeur.

« C’est spécial… » Se contenta-t-elle de dire.

« Tu aimes ?»

«  Hum…Ouais ; Je m’en doutais un peu, tu sais… »

« Quoi donc ? »

« Cette décoration, ce style. Pourtant tu sembles aimer les femmes… »

« Oui, aussi. Un jour, il faudra que l’on en parle. »

« Laisse tomber ! Chacun est comme il est. Ça ne me dérange pas. »

« Peut-être, mais j’aurais besoin de te dire certaines choses. »

« Pourquoi pas maintenant ? »

« Trop tôt. J’attends encore un peu. Tu n’es pas prête. »

« Et quand le serais je ? »

« Reviens demain. J’aurais une surprise pour toi. »

A sept heures le lendemain, Andréa sonnait à la porte de son voisin. Cette aventure commençait à lui plaire. Elle avait un amant beau, discret, à disposition sur le même palier. Que demander de plus ? Il mit un peu de temps à lui ouvrir. Après l’avoir embrassée, il la dirigea vers la chambre à coucher, la tenant par la main. Elle s’arrêta sur le seuil car elle venait d’apercevoir un homme assis dans le lit, fumant une cigarette roulée. « Ah ! Tu étais occupé. Je suis arrivée trop tôt ? »

« Pas du tout. C’était prévu. Igor est la surprise dont je t’avais parlé. Il est russe et viens d’arriver à Paris. Il ne parle pas le français, et ne le comprends pas non plus. Tu n’as rien à craindre de lui. »

«  Mais que fait-il là ? »

«  Sur la terrasse l’autre jour, tu semblais aimer t’exhiber. Je veux voir si tu es capable d’assumer et d’aller jusqu’au bout de ton petit jeu. Il ne fera que regarder. » Le jeune éphèbe se leva et sortit de la chambre sans prononcer une parole. Elle remarqua qu’il était plus petit qu’elle, le torse frêle et avait un visage poupin plutôt sympathique. Il lui sembla que la situation lui échappait. Elle n’avait pas prévu de voyeur dans sa relation adultère. Luc entreprit de la dévêtir tout en lui parlant gentiment. Il l’embrassa dans le cou, une zone sensible chez elle. L’envie de faire l’amour arriva rapidement ; elle ne pensait déjà plus qu’à elle. Ils s’allongèrent sur les draps froissés …Luc était un bon amant et la longueur des étreintes la changeait de celles trop rapides à son goût, qu’elle avait avec son mari. Allongée sur le dos, les yeux fermés pour mieux savourer, elle ne vit pas le jeune russe entrer dans la chambre. Il vint s’asseoir à côté d’eux, à la tête du lit. Il n’y avait pas de lampe allumée, mais une lumière tamisée rendue par le jour qui perçait au travers des persiennes. Cette demi obscurité plaisait à Andréa. Elle accepta la présence de ce deuxième homme plus facilement qu’elle ne l’aurait imaginé. Aucun mot n’était échangé. En gémissant doucement sous le corps de son amant, elle sentit qu’Igor avait posé la main sur son sein. Elle ne dit rien. Il la caressa puis remonta vers le visage pour en dessiner la pourtour. Puis il se tourna sur le côté. Elle vit sa verge de petite dimension à quelques centimètres de son visage ; on aurait dit un sexe d’adolescent, fin et glabre. Elle ne recula pas. Elle entrouvrit simplement les lèvres et le laissa entrer. Quelques instants plus tard, Luc s’arrêta et manifesta son désir de changer de position. Les corps se dissocièrent et elle se mit à califourchon sur lui. Elle offrait sa croupe à la vue d’Igor qui regardait. Rien ne semblait la déranger. Elle ne réagit pas non plus quand elle le sentit se coller contre elle. Elle se doutait de la suite mais ne résista pas. C’était sa première fois. Les deux hommes ne durèrent pas longtemps. Elle sentit le jeune russe se retirer lentement. Il sortit de la chambre ; elle ne devait plus jamais le revoir.

« Et ça, c’était prévu ? » demanda-t-elle blottie dans les bras de son amant.

« Peut-être…. » Andréa ne releva pas la remarque et un silence s’établit entre eux.

« Je dois rentrer » dit-elle, « On s’appelle demain. » Puis elle se leva, s’habilla rapidement et sortit de l’appartement. Luc resta allongé sur le lit.

Quand elle lui téléphona le lendemain, elle tomba sur le répondeur. Elle alla sonner chez lui, mais il n’ouvrit pas. Ni le surlendemain, ni la semaine suivante. Il ne donnait plus signe de vie et elle n’y comprenait plus rien. Un jour, elle vit un camion de déménagement se garer dans la rue. Tous les meubles de son voisin furent descendus et chargés. Andréa était perplexe. Elle n’avait pas osé en parler à son mari. Elle craignait de se trahir ou qu’il perçut son trouble. Son portable sonna et afficha un numéro caché. « Oui ? » « C’est moi. Je pars tout à l’heure pour l’Angleterre. Là, je suis au bar au coin de la rue et j’ai besoin de te parler. Dépêche toi, un taxi viendra me prendre dans quelques minutes. »

Elle le rejoignit aussitôt, le trouva assis à la terrasse devant un café noir. Il avait perdu son sourire charmeur… « Que se passe-t-il ? Et où étais-tu ? » Questionna-t-elle en s’asseyant, haletante. Elle n’avait pas pris le temps de lui dire bonjour. « Écoute moi sans m’interrompre. Je n’ai que quelques minutes pour t’avouer tout ce que je t’ai caché. Je suis homosexuel, tu l’avais compris. J’ai fait le test VIH, et je suis positif. Andréa écarquilla les yeux…Stupéfaite par la révélation. Il enchaîna avant qu’elle ne réponde : « Nous avons eu des rapports non protégés et c’était volontaire de ma part. Le but était de te contaminer. Tout comme l’a été ton mari lors de son dernier voyage en province. Tu vois, tu n’as pas à avoir de remords.

« Mais tu es un salaud ! C’est monstrueux ! »

« Tu penses ce que tu veux. Pour nous c’est l’État qui est monstrueux. Rappelle toi l’histoire du sang contaminé, le non-lieu pour les ministres incriminés, le non remboursement de la trithérapie, les mouroirs qui nous attendent et j’en passe ! C’est l’État qui est coupable et responsable. Et ces élus qui nous ignorent ! Défiler dans une gay-pride ne les absout pas ! Alors nous avons décidé de nous venger, de faire parler de nous. Toutes les personnes travaillant au Ministère de la Santé, du simple employé au ministre lui-même ont ou vont contracter la maladie cet été. Eux et leur famille, femme et enfants compris. La vie ne nous a pas fait de cadeaux, on n’en fait pas !  Après, on s’occupera de l’Élysée. Oui, je sais ça parait énorme. Mais c’est ainsi. C’est une machination, un énorme complot. Tout était préparé. La location de l’appartement à côté de chez toi, le mobilier, le camion de déménagement, tout était bidon ! Igor s’appelle en fait Etienne et parle le français aussi bien que nous. Il est monté de Nice spécialement pour toi. Lui a été contaminé lors d’une transfusion. Voilà. J’ai fait ma part de boulot et je ne serai plus utilisé par l’Organisation. J’ai toujours rêvé de vivre à Londres et je crois le moment venu.

Ton mari n’est pas au courant ; je te laisse le déplaisir de lui apprendre. Dis lui qu’il y a eu maldonne et que vous n’avez pas eu de chance. C’est ce que je me suis dit moi aussi, au début. Vous apprendrez à vivre avec cette terrible maladie, mais tu verras, on ne s’y habitue pas. Tu ne savais pas quel goût elle avait la vie. Maintenant tu sauras. Et puis pour te montrer que je suis vraiment un salaud, je te laisse payer le café. Salut, j’ai été ravi de te connaître. »

Luc se leva et sortit. Elle le vit s’engouffrer dans une limousine noire aux vitres teintées, qui avait une plaque minéralogique du corps diplomatique. Ce n’était pas un taxi comme il l’avait dit.

Andréa resta longtemps prostrée à cette table de bistrot. Elle n’arrivait pas à pleurer ; Une énorme boule lui serrait la gorge…Dans la salle quelqu’un actionna le juke-box qui diffusa une chanson de Mano Solo…

Et si tout cela était vrai ?

 

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