Des nouvelles de mon père ?

                                                                                                 par   Jérôme Duclos

 

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Me voilà là, dans cette pièce exiguë!

Quatre murs, un lit, un pyjama bleu remplaçant mes habits trempés

Au-dessus du chevet, une lucarne, fermée

 

Comme la porte qui vient de se refermer,

me plongeant dans le noir le plus complet

 

Remonter le temps, revenir sur mes pas

Arrêter cette machine qui s'emballe: Possible?

Toute cette pièce m'indique le contraire

 

Allongé sur ce lit, je frissonne, ne pouvant distinguer aucun contour,

si ce n'est l'unique forme située sous mon dos.

 

Quand tout cela a-t-il démarré?

A partir de quel moment, ai-je dérapé?

L'envie de crier dans cette cellule d'isolement,

de vomir le mélange de sédatifs ingurgité avant son effet;

courir loin de cet univers psychiatrique, rentrer chez moi!

 

Depuis cette montée sous la pluie au sentier de la vierge,

mon calvaire a débuté. Récupéré au milieu de la route,

me retrouvant chez le médecin, puis à l'hôpital.

Déshabillé, Examen, Internement

 

Une ambulance, trajet interminable au côté d'un infirmier angélique,

lui qui n'a d' yeux que pour la conductrice,

les oreilles fatiguées par mon délire verbal, oscillant d'un monde à l'agonie

à la perte de mes désirs. Derrière, une alfa 147 me suit, puis m'abandonne

au seuil de mon isoloir.

 

Dormir, dormir, oublier ces derniers instants!

Se réveiller demain, dans un monde familier,

la lumière du jour éclairant mon lit à l'ouverture des volets

 

Fermer les yeux, mes paupières sont lourdes, pèsent des semelles de plomb

au contraire de ces derniers jours où tout s'agitait autour de moi, mes pensées

filaient à la vitesse de l'éclair, mes projets personnels s'accumulaient avec

exaltation, mes déplacements professionnels toujours plus nombreux,

mes trahisons conjugales enfin avouées....

 

Tout arrêté, net
 

 

Dans cette chambre monacale, fermeture, ouverture de porte,

autorisation d'aller aux WC, à la salle de bain, situés juste en face, puis retour à ce lit.

Seule distraction, les infirmiers, le chef psychiatre, grand manitou de ce centre.

 

Étrange sensation, une impression de déjà vu, malaise dans tout mon être.

Cet univers inhabituel, je l'ai déjà côtoyé, rendant visite à mon père,

emmenant mon grand-père, trop âgé pour conduire.

 

Tant d'années à se construire en opposition à toi,

rejetant ce père infidèle, prenant systématiquement le parti de ma mère.

Jugeant tes actes avec l'intransigeance d'un adolescent, condamnant tes écarts

sans jamais faire l'effort de les comprendre. Pas un instant, penser à tes excès

comme à un dérèglement complexe de la mécanique de ton cerveau.

 

Là, dans le même état que toi, détruit, complètement déstructuré,

Je suis à la recherche de mes propres fondements, balayés.

 

Je ne me rappelle même plus t’avoir dit un jour, Papa,

ayant honte de ton comportement, de tes dérives lorsque tu quittais la maison.

 

L'été, toujours ces même périodes, quand la chaleur revenait, te rappelant ces années passées dans le désert algérien, ressortant tes photos, ressassant tes vieilles histoires, tes copains, ceux morts dans des embuscades, ton chien Picrate,...

Réquisitionné d'office pour ces prêches du souvenir, j'ai tant entendu ces histoires que je ne m'en rappelle plus.

 

Ma guerre était plus insidieuse, rôdait dans ma tête,

prenant le temps, attendant son heure pour frapper.

Passionné par mon travail, je voyageais dans le monde entier,

accumulant les décalages avec ma réalité quotidienne.

Insidieusement, les excès ont aussi eu raison de moi.

 

Étranges destins qui se rejoignent dans une chambre d'hôpital psychiatrique.

Et, pourtant j'ai toujours eu cette volonté de ne pas te ressembler.

 

Esquivant les reproches et toute discussion, tu es toujours revenu.

Ma mère a absous toutes tes frasques, préférant oublier ou presque.

Moi, je ne te pardonnais pas, te jugeant coupable de haute trahison.

Ces jugements innocents me paraissent loin, très loin.

   

 

Lorsque la brume se lève, s'épaissit, il est difficile de trouver ses repères,

les étoiles ne guident plus à travers le brouillard, un récif a fracassé

ma frêle embarcation, me projetant nu sur la grève.

Recroquevillé sur ce lit, je pense à toi, cette première fois où tu t'es aussi écroulé.  Plus violent que moi, tu voulais t'échapper, tu t’es retrouvé emmailloté d’une camisole de force. Tes pensées, probablement proches des miennes, voulaient s'enfuir, ne se sentant pas à ta place, ici, au milieu de ces « fous » .

 

Lors d'une de tes escapades dans le sud, tu m'avais ramené un cadeau,

tellement proche de moi qu'il me donnait envie de vomir: Un couteau!

Détestant les armes, je le revois toujours, avec son faux manche en ivoire.

Digne des fêtes foraines, il représentait à mes yeux toute la détresse de ma mère, angoissée lors de ces 15 jours d'absence, s'attendant au pire.

Ce présent, je voulais le jeter, censé acheter mon pardon. Je l'ai toujours gardé, au fond de ma grande armoire, derrière une pile de vêtements, à l'abri des regards.

 

Les murs de ma chambre d’isolement étaient juste peints, d'une couleur jaune censée apaisée, difficile à cerner dans le noir ; la tienne était capitonnée pour t'empêcher de te jeter contre, éviter que tu te fracasses à ton histoire, à l'avenir incertain. Ta poignée de porte disparue, tu avais le droit à une fenêtre incassable, vue sur le parc verdoyant où tu ne pouvais te rendre.

 

Et puis, nous nous sommes calmés, tous les deux, le thermomètre est redescendu. Nous avons eu alors droit à une camisole plus subtile, cocktail de médicaments, loin de l'homéopathie: antidépresseur, anxiolytique, psychotique, somnifère, régulateur d'humeur...

 

Enfin, je suis sorti, hagard, au milieu d'inconnus qui me dévisageaient, découvraient ce nouveau pensionnaire. Retrouvant peu à peu mes marques, c'est à toi que je pensais, à toi qui t’était complètement détruit, t'isolant encore plus.

 

Passer un électroencéphalogramme, les cheveux badigeonnés de graisse pour favoriser la mobilité des électrons, se rendre dans un autre hôpital, le corps incliné sur une table, la tête transpercée cette fois-ci de rayons X.

La traque des synapses déficientes est commencée, les moyens de combat conventionnels sont sortis, en dernier recours l’arme absolue, l’IRM.

Malgré toute cette artillerie, rien de détecté ; pas plus chez moi que chez toi.

   

Pourtant, en dix ans, tu les aurais toutes eues : maladie saharienne, d’Alzheimer,

de Parkinson,…. A chaque fois, l’un de ces spécialistes te renvoyait vers son cher confrère pour examen complémentaire, avec un nouveau traitement à la clef.

Ton corps usé par tant de médicaments s’est rebellé déclenchant une insuffisance respiratoire grave lors d’un séjour à Lourdes, ironie du sort. Parfait mécréant, te voilà frappé lors d’un pèlerinage à la fin de ta vie.

 

Dans le train retour, ton état s’aggrave tellement qu’à ton chevet l’abbé a remplacé le médecin. Prenant de l’avance sur l’heure, il t’a déjà octroyé les derniers sacrements.

Gare de Nantes, ambulance, urgences du CHU, réanimation

 

Depuis, plus de nouvelles.

   

Les journées interminables au milieu de mes colocataires me laissent le temps de t’imaginer sur un lit, le corps affaibli, entubé par le nez pour sortir les glaires, branché sur une machine respiratoire bruyante, perfusé pour te nourrir. Les yeux fermés, dans un haut bleu, ta vie défile-t-elle sur l’envers de tes rétines?

 

J’aimerai tant quitter mon univers d’uniformes bleus pour aller à tes côtés.

Attendre l’heure d’entrée autorisée, laver mes mains avec un antiseptique,

enfiler une blouse blanche et trouver cette chambre n°7. Tes cheveux blancs

reposent sur l’oreiller, tes joues creuses, ton front sur lequel je pose ma main.

 

Assis, je pense à toutes ces années et retrouve quantités d’instants joyeux avec toi.

 

Les kilomètres ne te faisaient pas peur. Retrouver des amis logeant à 2 heures de route pour déjeuner; le lendemain, repartir à l'opposé, direction un pays étranger, histoire d'acheter des cigarettes détaxées ; le troisième jour, rouler tôt pour être à l’heure sur les pentes du Galibier, … Ces vacances sur les routes m’ont transmis le goût de la bougeotte, toujours à la recherche d’espaces nouveaux.

 

Cloués dans cette pièce commune, certains forment des groupes, tuant le temps en jouant aux cartes tandis que je regarde.

 

Caresser ta peau, essuyer à l’aide d’une serviette les gouttes perlant sur ton front.

Ce contact corporel, nous n’avons jamais su l’établir, perdant ces gestes élémentaires de se serrer l’un contre l’autre. Oubliés les bains où tu m’astiquais, le chauffage portatif, en toile de fond le bruit de l’hélice brassant l’air. Refaire parler tes mains qui m’applaudissaient lors d’arrêts spectaculaires dans ma cage de football, les prendre entre les miennes, ces grandes paluches décharnées, les serrer pour leur insuffler l’énergie de la vie, celle-là même que j’ai perdue.

   

 

Lorsque le temps nous le permet, nous pouvons sortir, profiter des rayons de soleil de la cour intérieure. Les même groupes se retrouvent pour jouer aux boules, d’autres utilisent cette opportunité pour fumer. La clope au bec, il me renvoie ton image.

 

Tu ne peux plus fumer tes gitanes maïs depuis nombre d’années, et je t’imagine mal en réanimation avoir cette autorisation. Là, si tu me le demandais, je crois que je courrai te chercher un de ces paquets bleus cartonnés pour t’en allumer une.

 

Ces journées loin de tout m’ont rapprochées de toi.

 

La surface totale de ma paume ne sera jamais assez grande pour transmettre toute mes pensées. Faire parler chacune de ses nervures, la plus petite strie en contact avec les rides de ton front pour tout te dire.

Handicapés de la communication familiale, nous n’avons jamais su parler, toi avec ton père, moi avec toi ; et moi réussirai-je avec mon fils?

 

A cet instant, je n’ai jamais été aussi proche de toi.

 

Proche de te perdre, je ne trouve sûrement pas les mots justes. Des pensées colorées s’échappent de mon cerveau, tourbillonnent telles des feuilles d’automne. Elles s’envolent vers toi, fébriles à l’idée de te retrouver, juste pour te dire: « Papa  »

 

Carreau.

Les applaudissements me réveillent, mon visage suant sous le soleil de septembre. Depuis combien de temps, suis-je ici ?

Aujourd’hui, jour de ton anniversaire, déjà une semaine en réanimation, et,

 

Toujours pas de nouvelles de toi ?

 

 

(lire les avis des lecteurs) 

 

 

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