Des nouvelles de mon père ?
par Jérôme Duclos
Les autres nouvelles 2004 (lire les avis des lecteurs)
Me voilà là, dans cette pièce
exiguë!
Quatre murs, un lit, un
pyjama bleu remplaçant mes habits trempés
Au-dessus du chevet, une
lucarne, fermée
Comme la porte qui vient de
se refermer,
me plongeant dans le noir le
plus complet
Remonter le temps, revenir
sur mes pas
Arrêter cette machine qui
s'emballe: Possible?
Toute cette pièce m'indique
le contraire
Allongé sur ce lit, je
frissonne, ne pouvant distinguer aucun contour,
si ce n'est l'unique forme
située sous mon dos.
Quand tout cela a-t-il démarré?
A partir de quel moment,
ai-je dérapé?
L'envie de crier dans cette
cellule d'isolement,
de vomir le mélange de sédatifs
ingurgité avant son effet;
courir loin de cet univers
psychiatrique, rentrer chez moi!
Depuis cette montée sous la
pluie au sentier de la vierge,
mon calvaire a débuté. Récupéré
au milieu de la route,
me retrouvant chez le médecin,
puis à l'hôpital.
Déshabillé, Examen,
Internement
Une ambulance, trajet
interminable au côté d'un infirmier angélique,
lui qui n'a d' yeux que pour
la conductrice,
les oreilles fatiguées par
mon délire verbal, oscillant d'un monde à l'agonie
à la perte de mes désirs.
Derrière, une alfa 147 me suit, puis m'abandonne
au seuil de mon isoloir.
Dormir, dormir, oublier ces
derniers instants!
Se réveiller demain, dans
un monde familier,
la lumière du jour éclairant
mon lit à l'ouverture des volets
Fermer les yeux, mes paupières
sont lourdes, pèsent des semelles de plomb
au contraire de ces derniers
jours où tout s'agitait autour de moi, mes pensées
filaient à la vitesse de l'éclair,
mes projets personnels s'accumulaient avec
exaltation, mes déplacements
professionnels toujours plus nombreux,
mes trahisons conjugales
enfin avouées....
Tout arrêté, net
Dans cette chambre monacale,
fermeture, ouverture de porte,
autorisation d'aller aux WC,
à la salle de bain, situés juste en face, puis retour à ce lit.
Seule distraction, les
infirmiers, le chef psychiatre, grand manitou de ce centre.
Étrange sensation, une
impression de déjà vu, malaise dans tout mon être.
Cet univers inhabituel, je
l'ai déjà côtoyé, rendant visite à mon père,
emmenant mon grand-père,
trop âgé pour conduire.
Tant d'années à se
construire en opposition à toi,
rejetant ce père infidèle,
prenant systématiquement le parti de ma mère.
Jugeant tes actes avec
l'intransigeance d'un adolescent, condamnant tes écarts
sans jamais faire l'effort
de les comprendre. Pas un instant, penser à tes excès
comme à un dérèglement
complexe de la mécanique de ton cerveau.
Là, dans le même état que
toi, détruit, complètement déstructuré,
Je suis à la recherche de
mes propres fondements, balayés.
Je ne me rappelle même plus
t’avoir dit un jour, Papa,
ayant honte de ton
comportement, de tes dérives lorsque tu quittais la maison.
L'été, toujours ces même
périodes, quand la chaleur revenait, te rappelant ces années passées dans le
désert algérien, ressortant tes photos, ressassant tes vieilles histoires, tes
copains, ceux morts dans des embuscades, ton chien Picrate,...
Réquisitionné d'office
pour ces prêches du souvenir, j'ai tant entendu ces histoires que je ne m'en
rappelle plus.
Ma guerre était plus
insidieuse, rôdait dans ma tête,
prenant le temps, attendant
son heure pour frapper.
Passionné par mon travail,
je voyageais dans le monde entier,
accumulant les décalages
avec ma réalité quotidienne.
Insidieusement, les excès
ont aussi eu raison de moi.
Étranges destins qui se
rejoignent dans une chambre d'hôpital psychiatrique.
Et, pourtant j'ai toujours
eu cette volonté de ne pas te ressembler.
Esquivant les reproches et
toute discussion, tu es toujours revenu.
Ma mère a absous toutes tes
frasques, préférant oublier ou presque.
Moi, je ne te pardonnais
pas, te jugeant coupable de haute trahison.
Ces jugements innocents me
paraissent loin, très loin.
Lorsque la brume se lève,
s'épaissit, il est difficile de trouver ses repères,
les étoiles ne guident plus
à travers le brouillard, un récif a fracassé
ma frêle embarcation, me
projetant nu sur la grève.
Recroquevillé sur ce lit,
je pense à toi, cette première fois où tu t'es aussi écroulé.
Plus violent que moi, tu voulais t'échapper, tu t’es retrouvé
emmailloté d’une camisole de force. Tes pensées, probablement proches des
miennes, voulaient s'enfuir, ne se sentant pas à ta place, ici, au milieu de
ces « fous » .
Lors d'une de tes escapades
dans le sud, tu m'avais ramené un cadeau,
tellement proche de moi
qu'il me donnait envie de vomir: Un couteau!
Détestant les armes, je le
revois toujours, avec son faux manche en ivoire.
Digne des fêtes foraines,
il représentait à mes yeux toute la détresse de ma mère, angoissée lors de
ces 15 jours d'absence, s'attendant au pire.
Ce présent, je voulais le
jeter, censé acheter mon pardon. Je l'ai toujours gardé, au fond de ma grande
armoire, derrière une pile de vêtements, à l'abri des regards.
Les murs de ma chambre
d’isolement étaient juste peints, d'une couleur jaune censée apaisée,
difficile à cerner dans le noir ; la tienne était capitonnée pour t'empêcher
de te jeter contre, éviter que tu te fracasses à ton histoire, à l'avenir
incertain. Ta poignée de porte disparue, tu avais le droit à une fenêtre
incassable, vue sur le parc verdoyant où tu ne pouvais te rendre.
Et puis, nous nous sommes
calmés, tous les deux, le thermomètre est redescendu. Nous avons eu alors
droit à une camisole plus subtile, cocktail de médicaments, loin de l'homéopathie:
antidépresseur, anxiolytique, psychotique, somnifère, régulateur d'humeur...
Enfin, je suis sorti,
hagard, au milieu d'inconnus qui me dévisageaient, découvraient ce nouveau
pensionnaire. Retrouvant peu à peu mes marques, c'est à toi que je pensais, à
toi qui t’était complètement détruit, t'isolant encore plus.
Passer un électroencéphalogramme,
les cheveux badigeonnés de graisse pour favoriser la mobilité des électrons,
se rendre dans un autre hôpital, le corps incliné sur une table, la tête
transpercée cette fois-ci de rayons X.
La traque des synapses déficientes
est commencée, les moyens de combat conventionnels sont sortis, en dernier
recours l’arme absolue, l’IRM.
Malgré toute cette
artillerie, rien de détecté ; pas plus chez moi que chez toi.
Pourtant, en dix ans, tu les
aurais toutes eues : maladie saharienne, d’Alzheimer,
de Parkinson,…. A chaque
fois, l’un de ces spécialistes te renvoyait vers son cher confrère pour
examen complémentaire, avec un nouveau traitement à la clef.
Ton corps usé par tant de médicaments
s’est rebellé déclenchant une insuffisance respiratoire grave lors d’un séjour
à Lourdes, ironie du sort. Parfait mécréant, te voilà frappé lors d’un pèlerinage
à la fin de ta vie.
Dans le train retour, ton état
s’aggrave tellement qu’à ton chevet l’abbé a remplacé le médecin.
Prenant de l’avance sur l’heure, il t’a déjà octroyé les derniers
sacrements.
Gare de Nantes, ambulance,
urgences du CHU, réanimation
Depuis, plus de nouvelles.
Les journées interminables
au milieu de mes colocataires me laissent le temps de t’imaginer sur un lit,
le corps affaibli, entubé par le nez pour sortir les glaires, branché sur une
machine respiratoire bruyante, perfusé pour te nourrir. Les yeux fermés, dans
un haut bleu, ta vie défile-t-elle sur l’envers de tes rétines?
J’aimerai tant quitter mon
univers d’uniformes bleus pour aller à tes côtés.
Attendre l’heure d’entrée
autorisée, laver mes mains avec un antiseptique,
enfiler une blouse blanche
et trouver cette chambre n°7. Tes cheveux blancs
reposent sur l’oreiller,
tes joues creuses, ton front sur lequel je pose ma main.
Assis, je pense à toutes
ces années et retrouve quantités d’instants joyeux avec toi.
Les kilomètres ne te
faisaient pas peur. Retrouver des amis logeant à 2 heures de route pour déjeuner;
le lendemain, repartir à l'opposé, direction un pays étranger, histoire
d'acheter des cigarettes détaxées ; le troisième jour, rouler tôt pour
être à l’heure sur les pentes du Galibier, … Ces vacances sur les routes
m’ont transmis le goût de la bougeotte, toujours à la recherche d’espaces
nouveaux.
Cloués dans cette pièce
commune, certains forment des groupes, tuant le temps en jouant aux cartes
tandis que je regarde.
Caresser ta peau, essuyer à
l’aide d’une serviette les gouttes perlant sur ton front.
Ce contact corporel, nous
n’avons jamais su l’établir, perdant ces gestes élémentaires de se serrer
l’un contre l’autre. Oubliés les bains où tu m’astiquais, le chauffage
portatif, en toile de fond le bruit de l’hélice brassant l’air. Refaire
parler tes mains qui m’applaudissaient lors d’arrêts spectaculaires dans ma
cage de football, les prendre entre les miennes, ces grandes paluches décharnées,
les serrer pour leur insuffler l’énergie de la vie, celle-là même que
j’ai perdue.
Lorsque le temps nous le
permet, nous pouvons sortir, profiter des rayons de soleil de la cour intérieure.
Les même groupes se retrouvent pour jouer aux boules, d’autres utilisent
cette opportunité pour fumer. La clope au bec, il me renvoie ton image.
Tu ne peux plus fumer tes
gitanes maïs depuis nombre d’années, et je t’imagine mal en réanimation
avoir cette autorisation. Là, si tu me le demandais, je crois que je courrai te
chercher un de ces paquets bleus cartonnés pour t’en allumer une.
Ces journées loin de tout
m’ont rapprochées de toi.
La surface totale de ma
paume ne sera jamais assez grande pour transmettre toute mes pensées. Faire
parler chacune de ses nervures, la plus petite strie en contact avec les rides
de ton front pour tout te dire.
Handicapés de la
communication familiale, nous n’avons jamais su parler, toi avec ton père,
moi avec toi ; et moi réussirai-je avec mon fils?
A cet instant, je n’ai jamais été aussi proche de toi.
Proche de te perdre, je ne trouve sûrement pas les mots justes. Des pensées colorées s’échappent de mon cerveau, tourbillonnent telles des feuilles d’automne. Elles s’envolent vers toi, fébriles à l’idée de te retrouver, juste pour te dire: « Papa »
Carreau.
Les applaudissements me réveillent, mon visage suant sous le soleil de septembre. Depuis combien de temps, suis-je ici ?
Aujourd’hui, jour de ton anniversaire, déjà une semaine en réanimation, et,
Toujours pas de nouvelles de toi ?
Retour concours 2004 Les autres nouvelles 2004 Retour à l'accueil