"Je voulais vous dire…"
par Jean-Claude Gaudron
Les autres nouvelles 2004 (lire les avis des lecteurs)
…
Vous rendre compte des murs de pierres arrachés au lierre et aux lichens.
Du
salpêtre recueilli dans mes caves, afin de concocter, après moult alchimie,
les fusées de nos feux d’esprit et d’artifices, aux métaphores éclairantes.
… Vous
faire part de cet entrain à vivre, de cet optimisme à tous crins, qui me fit
douter de mes plus belles utopies, pour mieux les réaliser.
…
Vous conter nos instants de bonheur, du moins vous entretenir de l’idée
qu’ils furent heureux et que nous les vécûmes
sans arrière pensée photographique.
J’aimerais
vous raconter toutes ces rencontres qui m’enrichirent et qui, je l’espère,
vous enrichirent.
S’il semble
toujours plus facile de se raconter le vide des solitudes forcées, mouillées
des larmes d’un romantisme suranné -Hubert Félix nous le dit bien :
« La solitude n’est plus une maladie honteuse. »- il est plus âpre
de se définir dans son rapport avec vous :les autres.
Je ne suis
jamais seul avec moi-même. (Encore faut-il être soit même.)
Je
ne suis rien d’autre que les autres, cela ne m’empêche pas d’avoir mon
petit caractère.
Je
ne suis rien d’autre que les autres, c’est vous dire si vous étiez avec moi
plus souvent que vous ne le pensiez, créant par là même pour vous comme un
don d’ubiquité.
J’ai
certaines nuits, passé au tamis nos conversations, triant le pour et les
contre, remettant
parfois en cause certaines de mes ou de vos affirmations, enfin toutes
formes d’affirmation. Je sais ce que je vous dois.
Je
vous ai parfois surpris en vous relatant avec
quelque temps de retard (celui de la réflexion) une de nos conversations. Vous
pensiez que déversant ma logorrhée sur mon agora, je ne vous écoutais pas,
que je ne vous enregistrais point. Erreur.
Pour
vous et pour moi, j’ai démonté et remonté des réveils, des avions, des
flingues, des métiers à tisser, monter des canulars, découpé des samples,
royalement tranché dans le vif des sujets.
Quand
vous arboriez fièrement des seins. Je me suis paré d’atours et d’esprit,
je me suis lavé plus souvent, je me suis épilé pour que vous
retrouviez en moi le rassurant bébé de vos émois. Quand vous quêtiez ma
dominance, je vous ai fait les gros yeux. Je suis surtout resté fidèle à
toutes mes amours.
Quand
vous étiez possesseurs de lourds testicules, je vous ai laissé prendre la
place que vous convoitiez, vous
laissant en tête à tête avec vos compétences. J’ai, je l’avoue beaucoup
ricané dans votre dos, bien qu’en fourbe, en lâche j’ai pratiqué le dos
rond à vos certitudes. Sûrement pour l’obtention de quelques subsides, mais
peu doué pour ce genre de pratique, je n’ai pas souvenance que vous m’ayez
lâché quoique se soit -l’allégeance est plus un don qu’un apprentissage-
surtout avec « L’éloge de la fuite.» dans la poche.
Quand
vous me ressembliez, avec ravissement je vous ai contré pour tester la solidité
de nos visions, car il n’y a rien de plus triste que d’avoir raison
ensemble, ainsi naissent les dogmes. Sauf pour la quête de la quiétude, pour
la compréhension d’un regard.
Quand
vous étiez, jeunes, vieux, grabataires, mal ou non voyant, femme en sainte,
ivre d’amour ou d’opium, je vous ai tenu la main pour traverser la chaussée.
J’ai fait rempart de ma pseudo normalité à ce qui se présentait, je n’ai
ressenti en cela, ni pitié, ni obligation, ni fierté, juste la logique que
vous feriez la même chose pour moi parce que je suis l’autre.
Je
vous ai même indiqué avec force précision
Vous
parlerais-je de mes caveaux retournés.
De ces sorts lancés avec force, rebondissant de part et d’autre dans mes églises
repeintes en jeune, avec la moire et la myrrhe. De ces eaux boueuses, qui ont,
dans leurs turbulences, submergé mes remords et mes regrets.
Je
sens l’indécente vieillesse venir
lentement me labourer le cuir de son index d’os.
Les
rayures à l’âme prennent, dès lors, des relents de soupe aux choux.
Le
combat pour la vie deviendra de plus en plus réel quand il me faudra monter dix
étages sans ascenseur, avec en plus de mes bouteilles
d’eau, le poids des ans.
Il
m’arrive de penser à demain, moi le chantre du droit à la paresse hédoniste
, à l’extase exquise. Mais l’instant est en fuite, je me dis parfois
« putain déjà X temps qui passe, » à la vue d’un souvenir
commun.
Malgré
la ghettoïsation des incultures et l’aseptisation non sous-titrée, je
n’adhère plus à la critique du néant, au tirage à vue sur ambulance en
panne. Seule la mise en exergue de l’esprit justifierait la consommation.
Vous
allez vous faire de plus en plus rare.
Il
me reste pourtant encore à construire des châteaux rugueux, plein de recoins,
d’étendards de sons et de mots ; à sculpter dans le gras des sentiments
de rassurantes ou inquiétantes arabesques folles.
Juste
pour nos jouissances.
Pour
nous distraire.
J’illumine
la salle de bal aux lustres d’ambre et de crépon.
Voici
l’ultime invitation à ma prochaine surprise partie.
Venez
nombreuses et nombreux.
L’Autre
Lyon
le mercredi 18 février 2004
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