"Je voulais vous dire…"

                                                                                             par  Jean-Claude Gaudron

 

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… Vous rendre compte des murs de pierres arrachés au lierre et aux lichens.

Du salpêtre recueilli dans mes caves, afin de concocter, après moult alchimie, les fusées de nos feux d’esprit et d’artifices, aux métaphores éclairantes.

… Vous faire part de cet entrain à vivre, de cet optimisme à tous crins, qui me fit douter de mes plus belles utopies, pour mieux les réaliser.

… Vous conter nos instants de bonheur, du moins vous entretenir de l’idée qu’ils furent heureux et que nous les vécûmes  sans arrière pensée photographique.

J’aimerais vous raconter toutes ces rencontres qui m’enrichirent et qui, je l’espère, vous enrichirent.

S’il semble toujours plus facile de se raconter le vide des solitudes forcées, mouillées des larmes d’un romantisme suranné -Hubert Félix nous le dit bien : « La solitude n’est plus une maladie honteuse. »- il est plus âpre de se définir dans son rapport avec vous :les autres.

Je ne suis jamais seul avec moi-même. (Encore faut-il être soit même.)

Je ne suis rien d’autre que les autres, cela ne m’empêche pas d’avoir mon petit caractère.

Je ne suis rien d’autre que les autres, c’est vous dire si vous étiez avec moi plus souvent que vous ne le pensiez, créant par là même pour vous comme un don d’ubiquité.

J’ai certaines nuits, passé au tamis nos conversations, triant le pour et les contre,  remettant  parfois en cause certaines de mes ou de vos affirmations, enfin toutes formes d’affirmation. Je sais ce que je vous dois.

Je vous ai parfois surpris en vous relatant  avec quelque temps de retard (celui de la réflexion) une de nos conversations. Vous pensiez que déversant ma logorrhée sur mon agora, je ne vous écoutais pas, que je ne vous enregistrais point. Erreur.

Pour vous et pour moi, j’ai démonté et remonté des réveils, des avions, des flingues, des métiers à tisser, monter des canulars, découpé des samples, royalement tranché dans le vif des sujets.

Quand vous arboriez fièrement des seins. Je me suis paré d’atours et d’esprit,  je me suis lavé plus souvent, je me suis épilé pour que vous retrouviez en moi le rassurant bébé de vos émois. Quand vous quêtiez ma dominance, je vous ai fait les gros yeux. Je suis surtout resté fidèle à toutes mes amours.

Quand vous étiez possesseurs de lourds testicules, je vous ai laissé prendre la place que vous  convoitiez, vous laissant en tête à tête avec vos compétences. J’ai, je l’avoue beaucoup ricané dans votre dos, bien qu’en fourbe, en lâche j’ai pratiqué le dos rond à vos certitudes. Sûrement pour l’obtention de quelques subsides, mais peu doué pour ce genre de pratique, je n’ai pas souvenance que vous m’ayez lâché quoique se soit -l’allégeance est plus un don qu’un apprentissage- surtout avec « L’éloge de la fuite.»  dans la poche.

Quand vous me ressembliez, avec ravissement je vous ai contré pour tester la solidité de nos visions, car il n’y a rien de plus triste que d’avoir raison ensemble, ainsi naissent les dogmes. Sauf pour la quête de la quiétude, pour la compréhension d’un regard.

Quand vous étiez, jeunes, vieux, grabataires, mal ou non voyant, femme en sainte, ivre d’amour ou d’opium, je vous ai tenu la main pour traverser la chaussée. J’ai fait rempart de ma pseudo normalité à ce qui se présentait, je n’ai ressenti en cela, ni pitié, ni obligation, ni fierté, juste la logique que vous feriez la même chose pour moi parce que je suis l’autre.

Je vous ai même indiqué avec force précision la Rue du Chat qui pète, que vous quêtiez le nez en l’air, une carte à la main et un fort accent estrange de touriste en bouche.

Vous parlerais-je  de mes caveaux retournés. De ces sorts lancés avec force, rebondissant de part et d’autre dans mes églises repeintes en jeune, avec la moire et la myrrhe. De ces eaux boueuses, qui ont, dans leurs turbulences, submergé mes remords et mes regrets.

Je sens l’indécente vieillesse  venir lentement me labourer le cuir de son index d’os.

 Les rayures à l’âme prennent, dès lors, des relents de soupe aux choux.

Le combat pour la vie deviendra de plus en plus réel quand il me faudra monter dix étages sans ascenseur, avec en plus de mes bouteilles  d’eau, le poids des ans.

 

Il m’arrive de penser à demain, moi le chantre du droit à la paresse hédoniste , à l’extase exquise. Mais l’instant est en fuite, je me dis parfois « putain déjà X temps qui passe, » à la vue d’un souvenir commun.

Malgré la ghettoïsation des incultures et l’aseptisation non sous-titrée, je n’adhère plus à la critique du néant, au tirage à vue sur ambulance en panne. Seule la mise en exergue de l’esprit justifierait la consommation.

Vous allez vous faire de plus en plus rare.

 

Il me reste pourtant encore à construire des châteaux rugueux, plein de recoins, d’étendards de sons et de mots ; à sculpter dans le gras des sentiments de rassurantes ou inquiétantes arabesques folles.

Juste pour nos jouissances.

Pour nous distraire.

 

J’illumine la salle de bal aux lustres d’ambre et de crépon.

Voici l’ultime invitation à ma prochaine surprise partie.

Venez nombreuses et nombreux.

 

       L’Autre                                  

Lyon le mercredi 18 février 2004

 

 

 

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