"Parcours de golf"

                                                                                      Par   Jean Robin

 

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Quelques minutes, c’est tout ?

Autant me demander d’écrire une nouvelle en cinq pages pendant que vous y êtes !

La vie est fantastique, hier c’est moi qui disposait du temps et aujourd’hui on me le réduit.

Quelques minutes, c’est même pas assez pour raconter ma vie, et largement insuffisant pour me confesser, encore eût-il fallu estimer devoir se confesser.

La confession n’est valable que si on a fait quelque chose de mal, mais moi, je suis en paix avec moi-même !

 

Vous n’auriez pas une cigarette ? Quelques minutes c’est le temps qu’il faut pour la fumer, un peu comme celle du condamné.

D’ailleurs regardez moi tous ces gens, ils m’observent comme si on allait m’exécuter, quelle idée !

Toute ma vie je n’ai cessé de penser à ces quelques minutes et voilà, elles me sont offertes, oui la vie est fantastique.

 

J’ai grandi dans une banlieue d’une petite ville minable comme on en trouve partout. Oh non, pas comme vous pensez, car à vous voir, vous ne pouvez pas comprendre.

Là-bas on apprend vite sur l’existence, la vie, la mort, la haine et surtout l’honneur. Peu de gens ont conscience de ce qu’est cette vie, qui ne vous pousse qu’à fuir la routine, la sécurité que nous cherchons tous, que vous cherchez.

Avec ma mère, j’habitais au dernier étage d’un petit immeuble. De là-haut j’étais déjà un visionnaire, un grand visionnaire…

Je voyais de ma chambre un terrain de golf. Un beau golf pour riches comme vous !

Ah je les enviais, et je voulais la même chose, mais différemment.

C’est à ce moment qu’a débuté ma ligne de conduite pour le restant de ma vie : un parcours de golf.

 

Le mien serait le plus beau, le plus vaste, mais avec onze trous. Une belle pelouse, du beau sable, avec un grand lac. Oui, onze trous comme onze étapes, avec des difficultés différentes à chaque fois.

Au golf il n’y pas de vrai vainqueur, tout le monde y arrive, en plus ou moins de coups mais tout le monde y arrive. L’échec total n’existe pas ou alors…

Tout ce long parcours pour exprimer l’immense génie qui est en moi.

Vous pensez que je suis fou ? Non, je ne suis que le côté sombre des hommes, celui que vous possédez tous mais que vous refusez d’accepter.

Et bien moi je l’ai développé, avec intelligence, avec précision, avec délectation…

J’ai passé toute ma vie à  comprendre l’homme que j’ai fini par haïr, ou aimer, je ne sais plus.

 

Le deuxième trou a été consacré à ce que j’appelle mes premières études, le premier n’ayant été que d’essayer de survivre à ma jeunesse.

Mes études de médecine m’ont permis de connaître, de maîtriser, de canaliser, de jouer avec cette belle machine… l’humain. C’est un cadeau de la nature qui nous est fait, mais tout le monde le mérite-t-il ?

Non, certain n’en sont pas dignes et s’en servent mal. Il fallait que je remédie à ce problème.

 

Comprendre jusqu’au bout, voilà le sommet d’un art. Mais peut-on toujours tout comprendre ? Psychologie, psychiatrie, psychanalyse, les trois coups du troisième trou !

 

J’étais fin prêt pour le reste du parcours.

 

Sept trous bien précis pour préparer le dernier. Le onzième, le final.

Quel beau final cela ferait, et c’est vrai qu’il a été beau. Sept trous plus étudiés les uns que les autres, avec toute la maîtrise nécessaire au parfait accomplissement. J’avoue que de ce côté j’ai réussi avec brio. Non ne me remerciez pas.

Un trou par péché capital. Les péchés de l’humanité, ceux de la décadence de l’homme, de sa richesse ou de sa folie. Les sept péchés capitaux.

 

 

Sept ans de travail incessant, de joie, de bonheur, de doute, de fuite et de parties de cache-cache.

 

Et puis nous voilà tous réunis aujourd’hui.

Non ce n’est pas un échec, c’est juste le dernier trou, le dernier putt, celui qui terminera l’aventure, mon aventure.

 

Et dire que c’est moi qui ait été obligé de vous mettre sur le chemin !

Sept ans de galère, sans résultat,

Ah ma chère Sylvia ! vous aurez tenu bon !

C’était le onzième trou, celui qui vous amenait à moi !

Bravo, c’est juste ce que je voulais vous dire et que j’ai toujours tût !

Voilà pourquoi, en quelques minutes.

J’ai fini.

   

- Labina Retcel, conformément au jugement du tribunal de Denver, vous avez été condamné à la peine de mort par électrocution pour le meurtre de sept personnes.

Vous avez été reconnu coupable de crimes plus horribles les uns que les autres, et sain de corps et d’esprit.

Mesdames, Messieurs les témoins, que la sentence soit exécutée.

 

 

 

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