Eden   par  Danielle Stival  

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                 Retour au concours 2007

 

 

La descente est lente, très lente, infiniment lente.

Sacha plane dans un éther étincelant, comme une plume portée par un vent céleste, il se rapproche, imperceptiblement  d’un point incertain, quelque part en contrebas.

Soudain, comme poussé par une main invisible, il se retrouve plaqué contre la porte, noire et sans fioritures.

 Seul son œil discerne la vive lumière d’un couloir à travers le judas…

 

Et, avant même qu’il comprenne, l’œilleton l’aspire tout entier.

 

 Il n’en est ni surpris, ni inquiet, son corps comme une entité ectoplasmique a subi l’étrange transfuge sans douleur, sans soubresauts, naturellement en somme.

Sacha parcourt ce corridor mais la violence de l’éclairage  ne lui est pas perceptible. Lui baigne dans une lumière douce, dans le même temps, il se trouve comme au dessus d’elle, hors d’atteinte.

Il discerne plusieurs portes et tout au fond, ce qu’il sait nommer comme une entrée d’ascenseur.

Sans aucun signe annonciateur, la porte de gauche s’entrebâille, doucement. Malgré la vive clarté du couloir, une lumière plus vive encore émane de cette pièce  indistincte.

 Puis, dans un fragment de seconde, la porte s’ouvre tout  à fait.

Sacha, d’abord, entend un son, répétitif, familier, apaisant, éternel.

 Il se laisse bercer, longuement, avant que son esprit pose un vocable sur cette sensation profonde : «  le ressac de la mer », s’entend-t-il prononcer.

 Puis, il la voit cette mer : elle occupe tout l’espace.

 La porte a disparu, escamotée dans la vision, et la pièce n’a plus ni murs, ni plancher, ni plafond.

Seul, l’océan sans contours s’offre jusqu’à l’horizon. Une infinité de vaguelettes coniques se juxtaposent, s’entrelacent, toujours renouvelées. Leurs couleurs frappent sa rétine : des verts métalliques, fluorescents, qui finissent, bizarrement en des blancs laiteux et opaques.

Tout à coup, sans crier gare, un immense voilier surgit, directement sur les flots et assez proche de lui. Sa voilure, mollement agitée est faite de papillons, exactement comme la toile peinte de Salvador Dali, contemplée l’avant-veille. Divers personnages s’agitent sur le pont.

 Stupéfait et submergé d’une inexplicable joie, Sacha discerne, lui faisant de grands signes, ses arrières grands parents, ses grands parents, ses parents, ses frères et sœurs,toute sa lignée, tous ceux qu’il aime sans pouvoir leur dire.

Avant que de pouvoir savourer pleinement cet inexplicable moment, il se  sent de nouveau aspiré vers le couloir.

Il peut voir la porte, inexorablement, se refermer, la lumière décliner, alors même que dans un mouvement parallèle, une autre porte s’entrouvre.

Le  sentiment d’une perte irréparable submerge Sacha : il ne veut pas quitter son enchantement.

 Malgré des efforts inouïs, sa volonté reste impuissante et ne parvient pas à le ramener à ce quart de seconde antérieur, si proche pourtant, mais qui s’effiloche et finit par disparaître tout à fait.

Résigné et contraint à la fois, il se rapproche, en apesanteur, de la porte de droite.

Là, la pénombre règne.

 Mais c’est une pénombre accueillante qui, d’ailleurs, permet de discerner, tout au fond de la pièce, un personnage au torse nu, étrangement accoutré d’un turban et d’un pantalon bouffant qui sourit en  voyant arriver Sacha. L’inconnu fume avec volupté un narghilé dont les volutes créent la pénombre.

 Il est à demi couché sur un sofa mauve et or duquel irradie une clarté légère, suffisante en tous cas pour que Sacha, après un court instant, discerne son visage.

 L’homme au turban, contre toute attente possède un regard très clair et ses iris composent des paysages animés, qui, soudain sont autant d’aimants pour Sacha.

Les images perdues l’instant auparavant ressurgissent fugacement et, il sait en un éclair comment les retrouver.

Alors même qu’il allait plonger tout entier dans la pupille gauche du génie, celui-ci, d’un seul souffle, le repousse, sardonique.

Et le souffle se prolonge, se prolonge, renvoyant Sacha, loin du regard magique qu’il avait cru salvateur.

Des larmes surgies des profondeurs lui inondent le visage, mais, impitoyablement, le périple se poursuit.

 Sans qu’il ne puisse rien empêcher, Sacha se voit encore emporter, et de nouveau, il flotte dans cet anonyme corridor.

Le temps s’étire, dans une attente vague, sans ennui. Sacha se  perçoit, il se reconnaît même, mais sans sa corporéité, bizarrement tout cela lui semble parfaitement naturel.

Sans un bruit, la porte de l’ascenseur glisse et s’escamote dans la profondeur du mur.

La paroi du fond apparaît, lisse et argentée comme un miroir, aucune image cependant ne se reflète en elle.

Debout, cette fois, le personnage enturbanné vient de resurgir, mais ses paupières sont closes. Il porte avec noblesse une longue robe améthyste, drapée.

Alors que Sacha le contemple, ébahi et inquiet, un paysage se crée derrière lui, sur le fond de la cabine.

 Comme en un kaléidoscope, le miroir argenté s’efface et il voit apparaître une aimable campagne, verdoyante et fleurie : les arbres disséminés çà et là, les haies, deux petites mares en contrebas dessinent un idéal  bocage.

Sans fondu-enchainé, s’impose soudain un nouveau changement : l’image d’un pique-nique collectif.

 Une émotion puissante étreint Sacha, il croit reconnaître tous ses amis, installés là avec les enfants.

De nouveau, les larmes perlent à ses yeux, mais la surprise suspend son émoi : le génie lui parle.

 Sans que ni  la bouche ni le regard de l’apparition ne s’ouvrent, Sacha perçoit le message, comme télépathiquement :

« Le temps pour moi n’est pas un mystère ; je peux, si tu le désires, te faire indéfiniment parcourir cette dimension énigmatique, dans une félicité constante.

Il m’est donné de pouvoir réunir les vivants et les morts et de procurer à tous le sentiment d’éternité.

Il te suffit d’acquiescer en pensée et en me rejoignant, tu comprendras.

 Mon offre est sans conditions, mais tu dois te décider très  vite »

Mais pour Sacha, le temps, en cet instant, semble ne plus exister, suspendu par une perplexité sans fond, une hésitation déchirante. Il contemple, incrédule cette entité qui l’attend impatiemment.

Une énergie inconnue monte en lui, qui lui souffle : «  acceptes, acceptes… »

Et, rassemblant ses forces, il se prépare pour ce voyage inconnu.

Alors même qu’il amorce une révérence de soumission, un bruit incongru émane du génie, un son bref et sec, assez violent, sans logique, sans lien avec la vision.

Ce bruit parasite crée en Sacha, une frustration douloureuse.

 Mais le bruit se répète, encore et encore, impérieux, sa source se déplace et devient plus lointaine alors même que son intensité va croissante.

Soudain, toutes les images s’effacent de l’esprit de Sacha : «  Dring, dring, Dring », un silence, puis encore «  dring, Dring Dring »

Sortant des limbes, Sacha sait qu’il entend la sonnette de sa porte d’entrée, avant que de savoir où il se trouve réellement.

Il résiste encore, mais en pure perte, il lui faut se résoudre à ouvrir les yeux.

Le spectacle des reliefs du repas de la veille, des bouteilles vides, des bougies consumées, de la fête, ratée pour tout dire, lui fait mal, instantanément.

Pourquoi cet affrontement, ces disputes continuelles avec lisa, alors que l’un sans l’autre ils sont si désemparés ?

« Dring, dring, dring » le visiteur inconnu insiste résolument…

Sacha, revenu à la vie, plein d’espoir va coller son œil à l’œilleton…

                                                                                                    

              

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