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Les années de feu et de glace
par Magali Gery
C’étaient
des années de feu, des années au cours desquelles nous croyions avoir le feu
sacré « ni dieu, ni maître », « interdit d’interdire »,
nous étions des stars pas d’ac, refusant le conformisme ; nous préférions
le nihilisme, le culte du minimalisme, recherchant sur d’autres chemins, une
dimension à notre vie.
Lyon,
octobre dix neuf cent soixante dix huit.
Dans
l’appart trop grand des « antonins », toujours des gens qui
passent, partagent les pâtes et les biscuits achetés par sac de trois
kilogrammes : tu sais : ceux qui où sont écrits « le chat »,
« je t’aime », « à bientôt », « gentil »…
Étonnant
comme toute cette terminologie, ces mots codés sont ancrés encore en moi, il
sont au creux de mon être, cachés derrière des strates de souvenirs, de
refoulements ???!!!
Toujours
le bus dévale dans son couloir avec ses deux grands yeux allumés, inévitablement,
nous courrons après, toujours, je demande son ticket à la personne qui descend :
elle est tellement surprise que, toujours, elle me le tend !
Dans le
bus qui cahote comme un bateau fou, plein de buée au milieu d’un océan de béton
et de carrosserie, il me semble à chaque fois possible qu’il ne
s’arrête pas, qu’il poursuive sa route : oublié le gris, découvertes,
les facéties de rouge orange de l’automne affolées par le vent, transformé
mon corps, mon âme qui s’enroulent dans le rythme de la brise, retrouvé mon
humanité le pied sur la mousse.
Nous enlaçons
bras et âmes dans l’élan du cortège, nous prenons, apprenons dans la
diversité, formons une grande chenille humaine déroulant son arc en ciel.
Chambre
violette, silence, tentures indiennes en face de moi. L’une représente un
arbre de vie. J’ai mal à la tête.
Une odeur
très caractéristique de pâté végétal flotte dans la pièce, un complet
diffus joué à la guitare douze cordes monte et se faufile sous la porte ;
Je me laisse aller à mon réveil, ne sachant quelle réalité se rapproche.
J’entre en moi pour trouver le calme avant de me lever : Sur la table de
nuit - non pas le livre d’Alan Miller comme dit Charlelie Couture mais
– des plaquettes de médicaments et un révolver brillant et noir. J’ai
froid, j’ignore ce que je fais ici et où je suis et… avec qui mais je sais
implicitement que là s’arrête mon possible militant.
Porte
ouverte.
Escaliers,
je descends allant à la vie, en bas, une pièce est remplie de vélos, de
livres, un bric à braque baroque et cependant reconnaissable d’un local
d’imprimerie. Au bout, une porte en verre dépoli, derrière, des ombres, des
voix ; il va falloir affronter la réalité, ma réalité ? encore
un clin d’œil à nos références mais quelle référence ? qui s’en
souvient encore ? qui de nous se souvient de la douce folie d’un Gérard
Manset, qui, toi qui me lit me pense, se souvient
de la juvénile agressivité du groupe Téléphone ? Te souviens-tu du
karma de chacun censé justifier l’acceptation des faits ?
quels qu’ils soient - les faits bons ou blessants ou, encore pire,
brisants - Je parle des fait qui changent les choses et…moi. J’entre
dans le groupe qui discute autour d’un plan les libertaires préparent une
action directe symbolique et non violente (Pauvre Nathalie Ménigon). J’aime
leur calme, leur créativité dans les actions spontanées (pauvre Benny Levy
qui se souvient de l’enlèvement de Nogrette), cette maison intellectuelle
est mienne mais, je n’aime pas les groupes, même si celui-ci se défend
d’une hiérarchie quelconque, il y a les « réguliers », ceux qui
passent dans l’ombre, ceux qui, depuis longtemps, sont passés à
l’action… violente.
Je dois
trouver un carton, écrire, voilà j’ai inscrit sur l’ondulé du carton
beige « Bourg d’Oisan » mais il n’y a pas un chat, pas une
voiture, le matin n’est pas câlin, et longtemps, j’ai attendu dans le
paysage nu de mon avenir, le regard perdu.
2 CV ?
oui ! sauter dedans, le sac à dos sur les genoux, nous sommes serrés,
ambiance rassurante, leur destination, leur conversation me parviennent comme un
bruit de fond.
Stéphane
me donne les éléments de transformation de la neige, les lieux des couloirs
nouveaux, les zones de mixte, les zones « péteuses » où aucun spit
tiendra, où seule la rapidité et la légèreté sont gages d’équilibre.
Petit
signe de la main, regard droit dans les yeux, je dis au revoir à Stéphane le
gardien du refuge Adèle Planchard, dernier humain avant…
Sur la
fine ligne de sa colonne vertébrale je reconnais quelques effets de l’été :
emballages de barres vitaminées, orange, traces de pas où déjà s’est formé
un nid de neige mais le ciel mêlé de blanc et de bleu qui s’entremêlent
entre ciel et terre annoncent la nuit pailletée de l’hiver.
Étoiles
vous vous couchez, avant le jour, je dois avoir passé le glacier du Tabuchet.
Petite forme chargée, je progresse lentement sur d’incessants dénivelés
faits de mixte glace et caillasse, les 60 ° de la pente des névés du glacier
du Bec de l’Homme luisent sous la lune.
J’aime
ces bleus faits d’ombre et de lumière, les ombres chinoises des blocs qui
s’étirent en se fondant aux vastes crevasses, c’est tellement terrifiant et
tellement humain ! mais ici, pas de place à la rêverie, chaque pas doit
être au même rythme. Mon Barracuda à la main droite, le spit à la gauche, je
suis prête à pitonner dans la roche là plus haut, je pourrai poser un
coinceur, installer une tyrolienne : se dégager du sac.
J’entends
les fragiles gouttes se désolidariser de l’étau de glace sur la paroi. Le
coinceur a exercé sa pression sur un petit graton qui se termine dans une
faille ; sensation fragile de confort, le contact avec cet amarre me
rappelle mon immense petitesse, quelquefois vraiment, je me demande ce que je
fous là, mais, toujours, je suis, toujours, je monte, pour cette étincelle.
Des jets
de pierres et de neige pulsent ma course, là-bas, je vois les lumières du
village de Villar d’Arène, ce n’est pas possible que, dans un instant, tout
va disparaître, ce sera fini.
Montagne
tu es une belle et terrible leçon de vie, dans le cocon de mon existence, le
froid de mon pied gelé me rappelle chaque
seconde la nécessaire et impérieuse envie de vivre qui m’a fait crier comme
un nouveau né pour m’expulser de tes entrailles glacées.
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