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L'aube à venir
par Marie-Claude Dujon
Je pressai longuement mes lèvres
sur le parchemin cacheté avant de le remettre au cavalier qui attendait pour
partir. Puis je me laissai aller à mon chagrin. A travers une forêt de larmes,
comme dans un halo, le souvenir des événements qui m'avaient amenée jusqu'ici
déroula ses images…
Mon devoir de magicienne était de provoquer la vision
afin de pouvoir prévenir, voire intervenir… Je procédai donc à la
consultation de mon don de voyance, mais pour la première fois de ma vie, je
n'eus qu'un pâle aperçu qui me laissa sans réponse. Je vis des troupes
ennemies s'approcher rapidement du pays, mais cela je le savais déjà… Je ne
comprenais pas ce qui se passait, à moins que…
La réponse ne se fit pas
attendre. La bonne vieille femme responsable des cuisines entra en trombe dans
ma chambre et annonça toute essoufflée :
- Ma Dame… Le roi arrive…
- Le roi ! répondis-je
presque dans un cri.
Ici, à cette heure… Mais
que se passe-t-il donc !
- Ma Dame, je vous salue et
vous prie de m'excuser, entendis-je aussitôt.
Je me retournai et le vit
entrer à grands pas. Son visage était crispé et son regard empli d'une
immense inquiétude.
- Je venais vous prévenir
que vous courez un grand danger, Ma Dame. L'affaire est très grave. L'homme d'église
ami de ma demi-sœur a fait tendre un piège à un petit groupe de vos
semblables. Elles… Elles n'ont pas survécu.
Je crains pour votre vie et
nous devons trouver une solution sans attendre. Tant que je serai près de vous,
vous ne risquerez rien. Mais vous connaissez la situation du pays et il me
faudra partir bientôt puisque l'ennemi approche.
Mais pour l'heure, ma première
inquiétude fut pour le roi.
- Cet homme est dangereux
pour nous autres prêtresses et guérisseuses, lui dis-je. Mais je pense qu'il
est un ennemi pour vous aussi.
Sait-il que nous nous
rencontrons ?
- Je ne le pense pas. Du
moins pas pour l'instant.
- Il ne faut pas qu'il
apprenne la vérité sur votre épée, Majesté. Il est nécessaire de garder
secrets ses pouvoirs divins. Car il pourrait se servir de cela pour fomenter une
révolte contre vous en assurant que vous commercez avec des forces diaboliques,
et il tenterait de vous destituer.
- Rassurez-vous, Ma Dame, le
secret est bien gardé. Mis à part vous, votre tante et moi-même, personne
n'est informé.
- Bien. Quant à moi-même,
je pense qu'il me faut partir au plus vite…
De qui j'étais devenue la confidente, et qui était en fin de comptes, mon seul
ami.
Nous appuyant l'un et
l'autre sur nos forces mutuelles, depuis nos vies de solitude. Défendant
ensemble les mêmes valeurs, et partageant la même vérité de nos âmes, dans
des instants volés de tendresse inconsciente…
Et puis… ses cheveux noirs
retombant en boucles sur sa nuque, son regard franc et si clair, si clair…
Sa voix inquiète me demanda si j'allais mieux.
Je n'osais lever les yeux
vers lui, à présent que mon sentiment s'était fait jour. Mais à ma grande
surprise, il mit un genou à terre devant moi et serra ma main dans les siennes
en l'embrassant longuement. Puis, la voix chargée d'émotion, il murmura avec
peine :
- Ma Dame, accepteriez-vous
de devenir mon épouse… Ma
reine… Je vous aime depuis si longtemps…
Vous seriez protégée à mes côtés, vous ne craindriez plus rien…
La force de tendresse qui nous emporta ne me laissa pas le temps de répondre.
Notre étreinte eut la douceur dorée d'une longue vague éclairée de lumière,
qui roula longuement sur le sable tiède.
Mais la vision était réelle, je le savais : si j'épousais mon roi, il
mourrait… L'homme félon avait tant d'influence qu'il le ferait assassiner,
sous prétexte de son union avec ce qu'il considérait comme une sorcière.
Alors, avant qu'il ne s'éveille,
je m'arrachais douloureusement à ses bras, lui laissant l'améthyste que je
portais et que je posai sur son poignet.
Le magnétisme de la pierre
était puissant et le protégerait. De même, cette gemme avait la réputation
de veiller sur ceux qui s'aiment…
Le voyage fut douloureux
mais j'étais portée par la force de mon amour, par l'idée de sauver dans
cette fuite l'homme que j'aimais, mais également le roi et l'unité de son
peuple.
Cependant, une fois que je fus en sécurité, bien loin de mon pays natal, un
tourment terrible m'assaillit sans relâche : aurait-il compris le sens de mon départ
?
Je décidai alors de lui écrire
une unique lettre pour le lui expliquer, que le chevalier de confiance qui
m'avait accompagnée lui porterait dans la plus grande discrétion. Toute
correspondance ensuite serait trop dangereuse pour être envisagée.
Je lui fis part sur ce long courrier, de ma vision et de ma décision précipitée,
lui redisant mon amour et l'incapacité que j'aurais eu à partir si mon regard
avait encore une fois croisé le sien. Je n'aurais pu assumer ma douleur ni la
sienne.
Je le remerciai et ne le remercierai jamais assez pour ce qu'il m'avait donné
jusque-là. Mais devant ce noir présage, qu'aurais-je pu faire ? J'étais dans
une telle impasse… Je pensais que nous ne nous reverrions jamais, et qu'il
valait mieux ainsi pour sa sécurité et celle de son peuple. Cependant je
savais que je garderai en moi son souvenir qui me suivrait toute ma vie."
A mon réveil, c'était
comme si la grâce m'avait quittée.
Ma vie soudain ne semblait plus être qu'un vide absolu.
Je tombai gravement malade et mon état se dégradait chaque jour, si bien que
le druide qui me soignait décida d'interrompre toute thérapeutique, ayant
compris que ni son savoir ni ses dons ne pourraient quoique ce soit contre le
mal qui m'emportait.
Je sentis brièvement la
caresse d'une branche fleurie le long de mon bras.
Puis une colombe vint se
poser non loin de moi. Au froissement soyeux de ses ailes, une vision lumineuse
prit soudain forme devant mes yeux : mon roi, sous trois pommiers couverts de
fleurs, étreignait avec douceur ma main gauche posée sur son bras…
Le miracle de cette image
m'apporta une force inespérée.
Je parvins à me redresser juste à l'instant où un cavalier inconnu
m'apportait une mystérieuse bourse, sans explications ni mot d'accompagnement.
J'en sortis l'anneau d'or ciselé aux armes de mon roi, qui devait être remis
à la reine le jour du mariage. Dans un éclat de lumière, je glissai la
brillante alliance à mon doigt.
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