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L'aube à venir

                                                                                                    par Marie-Claude Dujon

 

Je pressai longuement mes lèvres sur le parchemin cacheté avant de le remettre au cavalier qui attendait pour partir. Puis je me laissai aller à mon chagrin. A travers une forêt de larmes, comme dans un halo, le souvenir des événements qui m'avaient amenée jusqu'ici déroula ses images…

 "Le jour commençait à décliner et la brume se levait le long des murailles du château, présageant d'une nuit obscure et humide. Je frissonnais violemment et songeais qu'il ne ferait pas bon traverser la forêt cette nuit ; les loups affamés ne laisseraient guère de chance au malheureux animal égaré... Mais une angoisse soudaine me saisit à la gorge et je sus immédiatement que quelque chose d'infâme se préparait. Bien au-delà du danger que pouvait représenter les loups…


Mon devoir de magicienne était de provoquer la vision  afin de pouvoir prévenir, voire intervenir… Je procédai donc à la consultation de mon don de voyance, mais pour la première fois de ma vie, je n'eus qu'un pâle aperçu qui me laissa sans réponse. Je vis des troupes ennemies s'approcher rapidement du pays, mais cela je le savais déjà… Je ne comprenais pas ce qui se passait, à moins que…

La réponse ne se fit pas attendre. La bonne vieille femme responsable des cuisines entra en trombe dans ma chambre et annonça toute essoufflée :

- Ma Dame… Le roi arrive…

- Le roi ! répondis-je presque dans un cri.

Ici, à cette heure… Mais que se passe-t-il donc !

- Ma Dame, je vous salue et vous prie de m'excuser, entendis-je aussitôt.

Je me retournai et le vit entrer à grands pas. Son visage était crispé et son regard empli d'une immense inquiétude.

- Je venais vous prévenir que vous courez un grand danger, Ma Dame. L'affaire est très grave. L'homme d'église ami de ma demi-sœur a fait tendre un piège à un petit groupe de vos semblables. Elles… Elles n'ont pas survécu.

Je crains pour votre vie et nous devons trouver une solution sans attendre. Tant que je serai près de vous, vous ne risquerez rien. Mais vous connaissez la situation du pays et il me faudra partir bientôt puisque l'ennemi approche.

 Je compris soudain pourquoi ma vision n'avait pu aller plus loin : elle me concernait. Tout ce qui me touchait personnellement ne m'était presque jamais révélé.

Mais pour l'heure, ma première inquiétude fut pour le roi.

- Cet homme est dangereux pour nous autres prêtresses et guérisseuses, lui dis-je. Mais je pense qu'il est un ennemi pour vous aussi.

Sait-il que nous nous rencontrons ?

- Je ne le pense pas. Du moins pas pour l'instant.

- Il ne faut pas qu'il apprenne la vérité sur votre épée, Majesté. Il est nécessaire de garder secrets ses pouvoirs divins. Car il pourrait se servir de cela pour fomenter une révolte contre vous en assurant que vous commercez avec des forces diaboliques, et il tenterait de vous destituer.

- Rassurez-vous, Ma Dame, le secret est bien gardé. Mis à part vous, votre tante et moi-même, personne n'est informé.

- Bien. Quant à moi-même, je pense qu'il me faut partir au plus vite…

 Je levai alors les yeux sur le roi qui eut un tel regard à cet instant, que mon cœur chavira et que je crus défaillir. Je me détournai rapidement, et ce à quoi je n'avais jamais pensé jusqu'alors m'assaillit tout à coup. L'évidence était là. J'étais bouleversée… Bouleversée non pas du fait que ma vie soit en danger, ni par l'obligation de quitter mes proches, ce château, ce pays et de fuir, mais de devoir m'éloigner de cet homme. Cet homme si droit. Cet homme de devoir pour son peuple.
De qui j'étais devenue la confidente, et qui était en fin de comptes, mon seul ami.

Nous appuyant l'un et l'autre sur nos forces mutuelles, depuis nos vies de solitude. Défendant ensemble les mêmes valeurs, et partageant la même vérité de nos âmes, dans des instants volés de tendresse inconsciente…

Et puis… ses cheveux noirs retombant en boucles sur sa nuque, son regard franc et si clair, si clair…

 Je ne sais ce qui se passa durant quelques secondes tant je fus prise par l'émotion, sans doute un malaise me terrassa-t-il, mais je sentis un bras ferme me relever et me soutenir.
Sa voix inquiète me demanda si j'allais mieux.

Je n'osais lever les yeux vers lui, à présent que mon sentiment s'était fait jour. Mais à ma grande surprise, il mit un genou à terre devant moi et serra ma main dans les siennes en l'embrassant longuement. Puis, la voix chargée d'émotion, il murmura avec peine :

- Ma Dame, accepteriez-vous de devenir mon épouse…  Ma reine… Je vous aime depuis si longtemps…
Vous seriez protégée à mes côtés, vous ne craindriez plus rien…
La force de tendresse qui nous emporta ne me laissa pas le temps de répondre. Notre étreinte eut la douceur dorée d'une longue vague éclairée de lumière, qui roula longuement sur le sable tiède.

 Je me réveillai en sursaut, toute en sueur, sous le coup assassin d'un songe cauchemardesque.
Mais la vision était réelle, je le savais : si j'épousais mon roi, il mourrait… L'homme félon avait tant d'influence qu'il le ferait assassiner, sous prétexte de son union avec ce qu'il considérait comme une sorcière.

Alors, avant qu'il ne s'éveille, je m'arrachais douloureusement à ses bras, lui laissant l'améthyste que je portais et que je posai sur son poignet.

Le magnétisme de la pierre était puissant et le protégerait. De même, cette gemme avait la réputation de veiller sur ceux qui s'aiment…

Le voyage fut douloureux mais j'étais portée par la force de mon amour, par l'idée de sauver dans cette fuite l'homme que j'aimais, mais également le roi et l'unité de son peuple.
Cependant, une fois que je fus en sécurité, bien loin de mon pays natal, un tourment terrible m'assaillit sans relâche : aurait-il compris le sens de mon départ ?

Je décidai alors de lui écrire une unique lettre pour le lui expliquer, que le chevalier de confiance qui m'avait accompagnée lui porterait dans la plus grande discrétion. Toute correspondance ensuite serait trop dangereuse pour être envisagée.
Je lui fis part sur ce long courrier, de ma vision et de ma décision précipitée, lui redisant mon amour et l'incapacité que j'aurais eu à partir si mon regard avait encore une fois croisé le sien. Je n'aurais pu assumer ma douleur ni la sienne.
Je le remerciai et ne le remercierai jamais assez pour ce qu'il m'avait donné jusque-là. Mais devant ce noir présage, qu'aurais-je pu faire ? J'étais dans une telle impasse… Je pensais que nous ne nous reverrions jamais, et qu'il valait mieux ainsi pour sa sécurité et celle de son peuple. Cependant je savais que je garderai en moi son souvenir qui me suivrait toute ma vie."

 Les images devant mes yeux s'éteignirent. A cette heure, ma lettre était loin déjà…Je m'endormis alors, épuisée, et fus en proie à une violente fièvre que je ne parvins  pas à terrasser.

A mon réveil, c'était comme si la grâce m'avait quittée.
Ma vie soudain ne semblait plus être qu'un vide absolu.
Je tombai gravement malade et mon état se dégradait chaque jour, si bien que le druide qui me soignait décida d'interrompre toute thérapeutique, ayant compris que ni son savoir ni ses dons ne pourraient quoique ce soit contre le mal qui m'emportait.

 Alors en ce matin de doux printemps, on m'amena auprès des eaux limpides du lac afin que le cristal des eaux m'apporte un peu d'apaisement.

Je sentis brièvement la caresse d'une branche fleurie le long de mon bras.

Puis une colombe vint se poser non loin de moi. Au froissement soyeux de ses ailes, une vision lumineuse prit soudain forme devant mes yeux : mon roi, sous trois pommiers couverts de fleurs, étreignait avec douceur ma main gauche posée sur son bras…

Le miracle de cette image m'apporta une force inespérée.
Je parvins à me redresser juste à l'instant où un cavalier inconnu m'apportait une mystérieuse bourse, sans explications ni mot d'accompagnement.
J'en sortis l'anneau d'or ciselé aux armes de mon roi, qui devait être remis à la reine le jour du mariage. Dans un éclat de lumière, je glissai la brillante alliance à mon doigt.

Alors notre enfant tressaillit en moi.

 

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