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L'héroïne
par Souhila Benaïssa
Je suis sur le point de
changer ma vie. J'ai décidé de me remettre en question, de faire voguer ma vie
sur une autre vague que la houle qui m'a guidée jusqu'à présent. Pas que je
me sois perdu mais le chemin prend des airs de déjà vu à chaque nouveau détour
et je me lasse. Il est temps de changer. Est il temps de se remettre sur le
droit chemin? Non je ne dirais pas cela, celui que je compte prendre me semble
aussi tortueux que le premier. Cependant, il sent le neuf et la découverte à
chaque pas. J'ai l'impression de passer un cap, ou plutôt un cap supérieur.
C'est comme si j'évoluais somme toute. Personne ne m'a octroyé ce droit, néanmoins
je n'ai pas eu l'honneur de connaître des maîtres en la matière dont je suis
peut être le seul amateur... hum quoique professionnel dorénavant. Donc j'ai décidé
de me remettre le diplôme. Je vais passer à autre chose.
un seul retint son attention,
une histoire bizarre de secret, de non dit, de mensonges et de fausses vérité...
une comédie dramatique lui sembla t'il. Elle se décida pour celui là. 5
minutes plus tard, elle était assise au creux d'un vieux fauteuil fatigué
sentant le chewing-gum sous le siège, au beau milieu d'une salle de cinéma
pratiquement vide, un cornet de pop corn à la main et une boisson light d'une
autre. Des petits plaisirs qui font grandement du bien. C'est ici qu'elle se
sentait bien, avec au creux du ventre l'excitation connue de l'attente du début
du film...
Je ne rentrais pas chez moi
finalement. Perte de temps. Je passais directement au cinéma, planté devant
l'affiche, je me décidais tant bien que mal pour un film assez alléchant qui
me rappelait de vague souvenirs. Un thriller je dirais... Je passais devant l'étalage
de bonbons multicolores et confiseries en tout genre pis optait finalement pour
le traditionnel pop corn au ciné. Je m'installais en haut, à droite dans un
coin sombre, normal au ciné, et discret. Ne pas rester à découvert, au beau
milieu de la salle... déformation professionnelle... J'en riais intérieurement,
une petit sourire en coin se dessinait sur mes lèvres, heureusement personne ne
pouvait me voir rire « seul comme un fou ». Bon voyons voir, la
salle est carrément vide, c pas mal, le cinéma à soi tout seul. Quoique une
jeune femme vient d'entrer, je ne suis pas seul... Jolie, bien faite, les traits
cependant tirés, elle doit beaucoup trop penser, dommage pour une jeune femme.
Elle conviendrait.
j'avais une vie intérieure
trop riche pour me permettre de tout garder en esprit, ma pensée débordait au
bord de la bouche. Si jamais je me mettais à me parler, elle m'entendrais peut-être,
trop près d'elle, il valait mieux rester à ma place initiale. Mon regard se
promenait sur ses cheveux et je ne vis pas que les bandes annonces étaient déjà
finies. Si elle savait...
Un cadavre dans le placard,
une histoire à rebours semble t'il et une famille... on mélange le tout et
voilà le résultat : une histoire sordide bien à sa place dans une grande
salle obscure et presque vide. Une histoire qui pourrait presque se prêter à
la réalité dans cette même salle obscure et vide.
Je me disais que je pourrais
faire l'effort de trouver « femme à mon pied », fonder une
famille... cette tergiversation me semblait aussi stupide qu'illusoire, c'était
impossible, d'un ridicule presque comique. Je le savais au fond, changer ne
changerait rien. Il me faut continuer dans cette voie ou changer peut être mais
prendre une « déviation » qui me repousserait de l'échéance mais
je resterais toujours sur le même itinéraire, je ne pouvais changer, tous les
chemins ne mènent-ils pas à Rome? Dit-on. Je ne peux pas envisager d'arrêter.
Les femmes ne me le permettent pas. Et le destin non plus, dis je tout haut en
fixant intensément les cheveux auburn de la jeune femme quelques sièges plus
loin.
Vraiment spécial... elle
aurait peut-être du lire les informations concernant le film avant de choisir
celui-ci, il allait lui ficher une frousse bleue, elle le sentait. D'autant que
seule dans cette grande salle, cela n'était pas très réconfortant. Cet homme
au fond de la salle marmonnant dans sa barbe l'inquiétait d'autant. Elle se mit
à penser à Éric, venant de nulle part, il hantait à nouveau son esprit. Ils
s'étaient disputé la semaine dernière, par sa faute, elle le savait mais était
trop fière pour le reconnaître. Une subite envie de l'appeler la prit. Elle était
à deux doigt d'allumer son portable, après tout elle ne dérangeait presque
personne.
Une fois encore, j'avais faim.
Une faim de loup... je pensais m'être rassasié durant toute ces années mais
la « faim » me reprenait aujourd'hui dans ce cinéma. La vue de
cette jeune femme seule me tourmentait. Il y avait longtemps que je ne m'était
retrouvé dans cette situation, j'essayais depuis un certain temps d'éviter
cette position indélicate afin de ne pas « avoir faim ». Et aujourd'hui,
plein de convictions et de résolutions, de bonne volonté et de fermeté, je me
laissais stupidement mourir de faim dans un stupide cinéma. Mais non je
n'allais pas mourir de faim, il en était hors de question. Il me fallait
survivre coûte que coûte. Ce sera la dernière fois...
Il se leva, se dirigea vers l'auréole
sombre dans le noir à pas feutrés. Plus il avançait, plus il lui semblait
sentir l'odeur du shampoing fruité de la jeune femme. Cette odeur
l'excitait d'autant plus qu'il se sentait presque courir vers elle mais se
retint et s'assit avec tellement de douceur derrière elle qu'elle ne remarqua
rien.
Je l'avais toujours sur moi,
comme un pendentif, comme un talisman, je ne m'en séparais jamais. Je me
sentais avec comme un asthmatique se sentait avec son médicament au fond de sa
poche. En sécurité, une curieuse sensation d'apaisement, comme si la crise
n'allait se manifester que le jour de l'oubli du médicament vital. La simple présence
de ce dernier parvenait à calmer les crises.
Il en était de même pour mon
fil de pêche, son toucher tranchant me ravissait, à la fois fragile discret et
solide, il était l'arme idéale. Qui vous reprocherait d'en avoir sur vous? Je
me mis à le caresser, sentant sa lame racler contre la peau usée de mon pouce,
il ne parvenait plus à me couper, il reconnaissait ma peau. Je suis un
professionnel... j'allais réaliser mon film, j'ai trouvé mon actrice, j'allais
créer un chef d'oeuvre digne du film que nous regardions ensemble en ce moment
même.