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L'héroïne

                                                                           par Souhila Benaïssa

 

Je suis sur le point de changer ma vie. J'ai décidé de me remettre en question, de faire voguer ma vie sur une autre vague que la houle qui m'a guidée jusqu'à présent. Pas que je me sois perdu mais le chemin prend des airs de déjà vu à chaque nouveau détour et je me lasse. Il est temps de changer. Est il temps de se remettre sur le droit chemin? Non je ne dirais pas cela, celui que je compte prendre me semble aussi tortueux que le premier. Cependant, il sent le neuf et la découverte à chaque pas. J'ai l'impression de passer un cap, ou plutôt un cap supérieur. C'est comme si j'évoluais somme toute. Personne ne m'a octroyé ce droit, néanmoins je n'ai pas eu l'honneur de connaître des maîtres en la matière dont je suis peut être le seul amateur... hum quoique professionnel dorénavant. Donc j'ai décidé de me remettre le diplôme. Je vais passer à autre chose.

 Elle a une migraine atroce aujourd'hui. La nuit n'a pourtant pas été vraiment mouvementée. C'est comme dormir sur des cailloux que de passer une nuit à panser les plaies de l'âme. On ne dort pas, on ferme les yeux très fort mais  rien ne vient, seulement les fantômes angoissant de nos soucis les plus ridicules. Une séance de thalasso mademoiselle vous ferait du bien , lui conseilla le bonhomme du deuxième. Bien sûr, j'y pensais avec mon salaire de misère, je comptais justement m'y rendre et manger des patates pendant 6mois, vieux croûton Non une séance de cinéma lui ferait du bien, elle adore...

 Je ne me laisserais pas guidé par mes plus bas instincts, non, a quoi bon... il faut agir consciencieusement avec sens et raison. Le temps n'est plus aux folies. J'avais décidé que je changerais. Je passe devant un stand de saucisses chaudes et coca à emporter, je scrute la jolie demoiselle qui sert, un sourire fatigué collé à ses lèvres depuis sûrement plusieurs heures. Hum.. non, les saucisses, c'est trop gras... je passerais à l'appartement me faire une salade. Je dois rester séduisant tout de même. Et je devrais peut-être engraisser mon porte-monnaie plutôt. Je vais garder mes quelques sous pour un cinéma. Pourquoi pas?

 Une file interminable devant le cinéma, pensait t'elle, en tournant sur la rue qui donne sur le cinéma mais ô surprise, le cinéma est vide, du moins pas de file indienne interminable. Elle allait pouvoir choisir son film et entrer s'installer tranquillement. Les films à l'affiche ce jour là, n'étaient pas vraiment intéressants...

un seul retint son attention, une histoire bizarre de secret, de non dit, de mensonges et de fausses vérité... une comédie dramatique lui sembla t'il. Elle se décida pour celui là. 5 minutes plus tard, elle était assise au creux d'un vieux fauteuil fatigué sentant le chewing-gum sous le siège, au beau milieu d'une salle de cinéma pratiquement vide, un cornet de pop corn à la main et une boisson light d'une autre. Des petits plaisirs qui font grandement du bien. C'est ici qu'elle se sentait bien, avec au creux du ventre l'excitation connue de l'attente du début du film...  

Je ne rentrais pas chez moi finalement. Perte de temps. Je passais directement au cinéma, planté devant l'affiche, je me décidais tant bien que mal pour un film assez alléchant qui me rappelait de vague souvenirs. Un thriller je dirais... Je passais devant l'étalage de bonbons multicolores et confiseries en tout genre pis optait finalement pour le traditionnel pop corn au ciné. Je m'installais en haut, à droite dans un coin sombre, normal au ciné, et discret. Ne pas rester à découvert, au beau milieu de la salle... déformation professionnelle... J'en riais intérieurement, une petit sourire en coin se dessinait sur mes lèvres, heureusement personne ne pouvait me voir rire « seul comme un fou ». Bon voyons voir, la salle est carrément vide, c pas mal, le cinéma à soi tout seul. Quoique une jeune femme vient d'entrer, je ne suis pas seul... Jolie, bien faite, les traits cependant tirés, elle doit beaucoup trop penser, dommage pour une jeune femme. Elle conviendrait.

 Au rythme où le niveau du cornet diminuait, elle se disait que d'ici le début du film elle aurait fini ses pop corn. Il fallait calmer le jeu. Elle posa son cornet en carton sur le siège voisin et se mit en devoir d'attaquer la canette de coca cola. Un pschitt retentissant explosa dans la salle. Elle jeta un regard circulaire, comme pour pouvoir s'excuser, s'enfouit plus profondément dans son fauteuil. Personne ne semblait l'avoir entendu, du moins le croyait-elle. Les lumières s'éteignirent dans un vacarme tonitruant annonçant les bandes annonces. Elle se calla bien profondément dans son siège et savoura cet instant qu'elle aimait tant.

 Je sourit dans le noir de la maladresse de cette jeune femme étonnante. Le pschitt de la canette l'avait fait sursauter sur son siège jetant des regards apeurés aux alentours, j'adorais... Je devrais peut-être me rapprocher ou bien rester plus loin me permettrait de mieux espionner ses faits et gestes, de sourire, de me murmurer des choses. Parler seul était une manie que j'avais acquise dès mon plus jeune âge, on pensait qu'avec l'âge, je la perdrais mais malheureusement ou heureusement non... je me surprenais parfois à parler à voix haute alors que je commençais dans un murmure...

j'avais une vie intérieure trop riche pour me permettre de tout garder en esprit, ma pensée débordait au bord de la bouche. Si jamais je me mettais à me parler, elle m'entendrais peut-être, trop près d'elle, il valait mieux rester à ma place initiale. Mon regard se promenait sur ses cheveux et je ne vis pas que les bandes annonces étaient déjà finies. Si elle savait...

 Toute à son film, elle n'avait pas vu cet homme au fond de la salle, qui la scrutait d'un regard pénétrant en marmonnant des choses dans sa barbe. Elle avait oublié tout ses problèmes : son emploi de pigiste insatisfaisant, son manque d'affection, son manque d'argent aussi... A cet instant, seul comptait le film. Et il semblait fort captivant. Il commençait de manière spéciale, pas de début doucereux pour mettre le spectateur sur bonne garde, non, la brutalité se manifeste de suite, se jetant à la figure des spectateurs ahuris, vous prenant à la gorge dès la première séquence d'images.  Une sorte de comédie dramatique avec un brin de thriller, c'était presque fantastique.

Un cadavre dans le placard, une histoire à rebours semble t'il et une famille... on mélange le tout et voilà le résultat : une histoire sordide bien à sa place dans une grande salle obscure et presque vide. Une histoire qui pourrait presque se prêter à la réalité dans cette même salle obscure et vide.

 Cette fois, je fixais l'écran avec avidité, un film comme je les aime. Je reçu avec extase la séquence d'images sordides qui se présentaient d'emblée à mes yeux agrandis d'excitation. Bon choix.. ce film serait un décor parfait, une inspiration parfaite... N'oublie pas  ce que tu as décidé , me dis je. Changer quoi? M'entendis je répondre à ma petite voix intérieure. Faut il oublier le passé? Penser à ce qui s'ouvre devant moi comme opportunité. Continuer, ce serait faire un faux pas. Continuer ce serait faire un pas de plus et tomber dans un gouffre profond et sans fond.

Je me disais que je pourrais faire l'effort de trouver « femme à mon pied », fonder une famille... cette tergiversation me semblait aussi stupide qu'illusoire, c'était impossible, d'un ridicule presque comique. Je le savais au fond, changer ne changerait rien. Il me faut continuer dans cette voie ou changer peut être mais prendre une « déviation » qui me repousserait de l'échéance mais je resterais toujours sur le même itinéraire, je ne pouvais changer, tous les chemins ne mènent-ils pas à Rome? Dit-on. Je ne peux pas envisager d'arrêter. Les femmes ne me le permettent pas. Et le destin non plus, dis je tout haut en fixant intensément les cheveux auburn de la jeune femme quelques sièges plus loin.

 Elle fixait l'écran avec ahurissement. Qu'est ce que c'est que ce film? Se disait elle.

Vraiment spécial... elle aurait peut-être du lire les informations concernant le film avant de choisir celui-ci, il allait lui ficher une frousse bleue, elle le sentait. D'autant que seule dans cette grande salle, cela n'était pas très réconfortant. Cet homme au fond de la salle marmonnant dans sa barbe l'inquiétait d'autant. Elle se mit à penser à Éric, venant de nulle part, il hantait à nouveau son esprit. Ils s'étaient disputé la semaine dernière, par sa faute, elle le savait mais était trop fière pour le reconnaître. Une subite envie de l'appeler la prit. Elle était à deux doigt d'allumer son portable, après tout elle ne dérangeait presque personne.  

Une fois encore, j'avais faim. Une faim de loup... je pensais m'être rassasié durant toute ces années mais la « faim » me reprenait aujourd'hui dans ce cinéma. La vue de cette jeune femme seule me tourmentait. Il y avait longtemps que je ne m'était retrouvé dans cette situation, j'essayais depuis un certain temps d'éviter cette position indélicate afin de ne pas « avoir faim ». Et aujourd'hui, plein de convictions et de résolutions, de bonne volonté et de fermeté, je me laissais stupidement mourir de faim dans un stupide cinéma. Mais non je n'allais pas mourir de faim, il en était hors de question. Il me fallait survivre coûte que coûte. Ce sera la dernière fois...

 Elle se tortillait sur son siège comme prise d'une inquiétude soudaine. Ce film était décidemment étrange. Elle farfouilla dans son sac, attrapa son portable, composa un numéro et... plus de réseau... « quelle idiote... » pensa t'elle. Inconsciemment, elle attrapa son agenda, en arracha une page, prit un stylo offert par Éric quelques mois auparavant et resta pantoise à le fixer intensément. Pourquoi?

Il se leva, se dirigea vers l'auréole sombre dans le noir à pas feutrés. Plus il avançait, plus il lui semblait  sentir l'odeur du shampoing fruité de la jeune femme. Cette odeur l'excitait d'autant plus qu'il se sentait presque courir vers elle mais se retint et s'assit avec tellement de douceur derrière elle qu'elle ne remarqua rien.

 Elle ne regardait plus le film. Elle avait ,serré dans la main, le stylo que lui avait offert Éric, elle le décapuchonna, le huma longtemps puis se mit à tracer des lettres, courant sur le papier, fuyant loin très loin.. Elle l'avait senti, elle ne voulait pas se retourner, elle était tétanisée, le regard fixé sur l'écran, aucun geste n'était possible dorénavant hormis la fuite de l'encre sur le papier. De toute façon à quoi bon...  Elle était dorénavant ce qu'elle a toujours rêvé d'être: une star de cinéma. Elle était l'héroïne...  

Je l'avais toujours sur moi, comme un pendentif, comme un talisman, je ne m'en séparais jamais. Je me sentais avec comme un asthmatique se sentait avec son médicament au fond de sa poche. En sécurité, une curieuse sensation d'apaisement, comme si la crise n'allait se manifester que le jour de l'oubli du médicament vital. La simple présence de ce dernier parvenait à calmer les crises.

Il en était de même pour mon fil de pêche, son toucher tranchant me ravissait, à la fois fragile discret et solide, il était l'arme idéale. Qui vous reprocherait d'en avoir sur vous? Je me mis à le caresser, sentant sa lame racler contre la peau usée de mon pouce, il ne parvenait plus à me couper, il reconnaissait ma peau. Je suis un professionnel... j'allais réaliser mon film, j'ai trouvé mon actrice, j'allais créer un chef d'oeuvre digne du film que nous regardions ensemble en ce moment même.

 Une cordelette s'éleva dans les airs et se posa en un geste rapide et sûr sur un cou gracieux et pâle qui ne le resta pas longtemps. Sous le tranchant du fil, la peau se teinta dune coloration rouge sang proprement dite, sans artifice, le voile tomba sur la scène d'horreur, une ombre se faufila discrètement hors de la salle et une feuille de papier déchiré tomba de la main de la victime. Des bout de phrases que l'on retrouvera plus tard issues d'un dialogue du film. Ce fut, semble t'il, les dernières phrases dites par l'héroïne. « ...vous remercierais jamais assez....j'étais dans une telle impasse... je crois que nous n'aurons plus de contact... sans doute mieux... souvenir me suivra toute ma vie... ».

 

 

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