Comment je suis devenue une fugitive
par Raphaël Arques
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Les autres nouvelles 2004 (Lire du même auteur "Le talisman" 1er prix 2003)
De:
Helen.Mulder@patagonia.arg
A:
Charlie.keyhoe@wingsweekly.com
Objet
: comment je suis devenue une fugitive
Après deux semaines de silence
total, et maintenant que la situation est devenue plus "calme" pour
moi, voici quelques nouvelles et explications que je n'avais pas voulues te
donner lors du dernier comité de rédaction auquel j'ai participé.
Il y a maintenant deux mois, donc,
lorsque jeune stagiaire en provenance de Boise, Idaho - blonde, de surcroît -
j'ai fait mon entrée au sein de la rédaction de Word-Wings-Weekly
("Premier Hebdomadaire Mondial d'Aviation"), je ne pensais bien sûr
pas du tout mettre les pieds dans cet engrenage qui m'a conduit là où j'en
suis actuellement. Si j'avais su, je serais peut-être sagement restée sur le
sentier balisé que la majorité des journalistes suit gentiment sans se poser
-trop - de questions en attendant le chèque de fin de semaine.
Évidemment, la plupart des réponses étaient
suffisamment affligeante pour ne pas se retrouver dans l'article que je t'ai
rendu. Morceaux choisis :
" Je ne sors plus de chez moi depuis le 11
septembre."
" Je suis beaucoup moins pressé depuis mon
divorce."
" Je prendrai le train."
(j'en passe et des pires)
"Ma chère
demoiselle, sachez que j'ai trouvé plus rapide que ce putain de Concorde pour
me rendre en Europe, alors ils peuvent bien en faire des boîtes de conserve,
j'en ai rien à foutre"
Je n'ai hélas, pas pu en savoir davantage :
soudainement dégrisé, il a préféré s'éclipser rapidement, me laissant
seule devant des molosses à lunettes noires et oreillette qui m'indiquèrent
courtoisement le chemin de la sortie.
Voyant que j'étais très intéressée, il m'a donc
entraînée au bar où il m'a raconté la suite entre deux bières. Se prétendant
d'abord enquêteur privé, puis paparazzi, il m'a affirmé qu'il pistait Hunter
depuis plus de six mois, et pour des raisons qu'il a refusées de donner. Hunter
n'est pas le genre d'homme à se pavaner sur les couvertures des magazines,
fussent-t-ils "people". Alors j'ai supposé que j'avais affaire à un
mythomane doublé d'un parano, ou quelque chose comme ça. Cela ne me gênait
pas outre mesure, car on peut faire également un bon article avec des histoires
de ce genre...
Seulement, Jack s'est montré suffisamment précis
sur le cas qui nous occupe : Un matin de juin dernier, alors que Hunter s'apprêtait
à faire sa promenade à cheval, un incident grave s'est produit dans son
atelier du Suffolk. Hunter a aussitôt troqué son canasson pour un puissant 4x4
qui l'a emmené au fin fond de son ranch, dans un vaste endroit boisé et
surveillé, situé à proximité de la base aérienne de Sheppard. Tout ce que
Jack a pu voir, de loin, ce sont des lueurs qui montaient vers le ciel a une
vitesse vertigineuse. Trois heures plus tard, les employés de Woodbridge
voyaient débarquer Hunter.
Selon Jack, chaque déplacement de Hunter en Europe
ressemble à peu près à ceci: Hunter regagne d'abord la zone
"interdite" de son ranch texan. Environ deux heures plus tard, une
Range Rover quitte sa résidence du Suffolk et va le chercher dans la forêt de
Rendelsham, située à proximité... de la base aérienne Américaine de
Benwaters, zone "interdite" également. Évidemment, selon Jack, ce
tour de passe-passe nécessite de sérieuses complicités au sein des Armées américaine
et Britannique, mais aussi des douanes et bien sûr de son entreprise (ne
serait-ce que son chauffeur et ses gardes du corps...). Toujours selon Jack, il
arrive qu'un sosie de Hunter encadré de gardes du corps débarque à Londres Heathrow
par son jet privé habituel, histoire de donner le change sur son emploi du
temps (principalement lors de réunions publiques). Procédure inverse pour le
retour, ce qui permet à Hunter de gagner de précieuses heures de son précieux
temps de Milliardaire.
Personnellement, j'ai tout de suite pensé que ce
milliardaire pouvait utiliser un avion militaire secret capable de voler à Mach
6 ou plus. Après tout, si l'on en croit les rumeurs qui circulent depuis plus
de 10 ans, nos militaires posséderaient des prototypes de reconnaissance (appelés
"Aurora") bien plus véloces que l’avion de reconnaissance SR 71.
Pourquoi ne pas envisager alors qu'ils aient pu développer également un modèle
de transport en collaboration avec des sociétés privées, pour les opérations
"tordues" nécessitant une certaine urgence ? Dans ce cas, Hunter, en
bon petit "soldat", pouvait très bien en profiter lui aussi...
A la tombée de la nuit, nous avons vu arriver par le
sentier deux gros Chevrolet 4x4 aux vitres teintées qui ont fait plusieurs
tours dans les sous-bois avant de stopper. Au bout d'une demi-heure, ce fut le
tour d'une Range Rover de pointer son nez et de se garer tous feux éteints.
C'est alors que quelque chose, sombre, triangulaire,
de la taille d'un avion de chasse, est descendu des nuages dans un silence total
et s'est posé dans la clairière. Quelqu'un est sorti de
Jack avait filmé toute la scène mais je ne pourrais
garantir le résultat vu le manque de luminosité générale et l'emplacement où
nous nous trouvions. Disons que ce n'est sans doute pas encore avec ce genre de
film que l'on pourra prouver quoi que ce soit, alors désolée pour le scoop.
Puis les 4x4 sont tous partis. Nous avons attendu
encore une demi-heure et nous sommes sortis de notre cachette. Hélas, alors que
nous regagnions la voiture de Jack torches à la main, nous avons entendu des
aboiements derrière nous, puis des cris. Des phares à longue portée se sont
également allumés en de multiples endroits, comme si la forêt, soudain, s'était
mise à grouiller de flics ou de soldats. Jack a décidé qu'il valait mieux se
séparer. Il m'a ordonné de continuer sur le sentier jusqu'à la voiture, sans
allumer ma torche, tandis qu'il attirait les "méchants" de son coté.
J'ai marché aussi vite que possible sans me cogner à un arbre, j'ai sauté
dans la voiture et j'ai quitté le coin en vitesse. Je me suis garé à un
endroit convenu, j'ai pris mes affaires et nettoyé d'éventuelles traces
d'empreintes, puis j'ai regagné mon hôtel.
Pourtant, même s'ils n'avaient aucunes preuves et
aucunes raisons officielles de m'inculper de quoi que ce soit, ces types ne
m'ont pas lâchée. J’ai d’abord subie des menaces à peine voilées et des
intimidations. Puis, il y a 15 jours, j’ai trouvé mon appartement complètement
à sac. J'ai donc préféré me mettre "hors-jeu"... et j’ai décidé
de rejoindre Jack, ou plutôt Alexander, dans la clandestinité.
Quant à moi, il parait que j'ai 11 minutes et 6
secondes pour quitter ce cybercafé avant d'être repérée. 11 minutes et 6
secondes, cela fait 666 secondes. 666, le chiffre de la bête : Étrange coïncidence,
n'est-ce pas ?
Helen
PS : Si le prochain numéro de Word-Wings-Weekly n'est pas encore bouclé, tu pourrais peut-être
insérer ces deux infos dans les "Brèves" :
(Lire du même auteur "Le talisman" 1er prix 2003)
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