" Faits Divers "

                                                                                                  par   Géraldine Gauzelin Ors

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Tu sais, ma vie n'a rien d'extraordinaire... J'ai même un quotidien assez banal. J'ai 24 ans, je suis coursière pour une petite entreprise de messagerie. J'ai un petit appartement, je gagne juste assez pour payer les factures et sortir de temps en temps. Je ne suis pas alcoolique, je ne fume pas, je n'ai jamais touché à quelque drogue que ce soit en dehors peut-être du chocolat. Je ne collectionne rien, j'aime quelques artistes en particulier mais je ne suis fan de personne. Je ne suis pas quelqu'un d'influençable et je ne déclenche aucune crise de violence suite à un film d'action ou de jeux vidéo. Je n'ai aucune maladie physique ou psychologique déclarée, on peut même dire que je suis un esprit sain dans un corps sain car je suis un peu sportive. Chaque matin, mon réveil hurle à 5 h 30 mais un manque de courage certain me pousse à l'étendre jusqu'à 5 h 40. Et puis sachant que cette flemmingite  aigue ma mise en retard je dois prendre une douche rapide et courir pour ne pas arriver en retard. Pas de petit déjeuner. Juste un petit café chez quelques clients réguliers. Et ma journée se passe au volant de ma camionnette, avec pour compagnie mon poste de radio. Un sandwich à midi et aussi, de temps en temps, une sonnerie de mon téléphone portable ne tire de ma rêverie habituelle. Et puis je rentre chez moi... Enfin ce n'est pas vraiment mon chez moi puisque je ne suis que locataire. Je me prépare un petit repas que je déguste devant la télé. Après le film, je lis un peu pour m'endormir mais surtout pour rêver d'une vie meilleure à travers celle des héros de ces douces fictions. Et ainsi de suite. J'ai une famille aimante et même quelques amis que je vois de temps en temps le week-end. Ordinaire, te disais-je. Mais tout a basculé ce jour-là...

Tout aurait pu arriver, mais je n'aurais jamais pensé à ça ! On dit que les malchanceux sont ceux à qui tout arrive et que les chanceux sont ceux qui arrivent à tout... Et bien dans ce cas la malchance ne m'apparaissait que comme une douce clémence.

D'abord laisse-moi te parler un peu d’elle... Elle est superbe, la plus belle et la plus gentille d'entre toutes. Elle n'est pas très grande, les cheveux mi-longs, châtain clair voire blonds mais elle n’aime pas qu'on dise ça à cause des fameuses blagues sur les blondes. Plus que tout je l’adore. Elle a 15 ans et c’est ma petite soeur.

Elle n'est pas très studieuse malgré sa grande intelligence. J'ai toujours secrètement espéré qu'elle réussirait mieux que moi. Actrice, c'est qu'elle a toujours voulu faire, et je dirais même que je la trouve talentueuse. Si seulement elle se donnait la même peine pour ses études...

Ce jour-là, son cours de théâtre était annulé. Son portable n'avait plus de batterie et toutes ses copines venaient de partir. Aucun moyen de joindre qui que ce soit. Elle prit donc la décision de trouver un bus pour rentrer à la maison. Il était plus de 20 h 30 et l'hiver en pleine force de l'âge faisait que la nuit noire était tombée. Je n’y étais pas et pourtant j'imagine chaque millimètre de son parcours, chaque seconde, chacune de ses pensées. Je peux même sentir son coeur battre la chamade en moi quand sur son chemin elle a croisé ces quatre jeunes. Ils l’ont vaguement chahutés et elle a pressé le pas. Même si sur le coups le stress est monté elle n'aurait jamais pensé qu'ils la suivraient, mais pourtant ils l’ont fait. A ton avis que peut-il passer à travers la tête de quatre mecs qui décident de suivre une fille seule dans la rue ?

Je n'ai pas encore trouvé la réponse à cette question, elle errera probablement toujours dans ma tête sans réponse.

Elle chercha alors à se mettre à l'abri... Elle balayait sans cesse le périmètre du regard mais aucun bar ouvert, ni restaurant à l'horizon. Dans la panique elle n'a pas vue qu'elle s'éloignait du centre pour une périphérie plus isolée. C'est au détour d'une ruelle à proximité d'une usine désaffectée, qu'ils l’ont bloquée. Elle pourrait dire que tout ce qui est arrivé est de la faute de son prof de théâtre, de ses amies, de mes parents, ou de son insouciance. Mais non, c'est bien la faute de ces quatre jeunes gens. Ils ont ricané quelques méchancetés puis se sont regroupés autour d'elle. Elle était terrifiée, je sens son estomac se nouer en moi. Elle était coincée dans l'ascenseur en descente directe pour l'enfer. Elle s'en veut toujours de ne pas avoir chargé son portable. Mais ce n'est pas sa faute, les jeunes n'ont-ils donc plus le droit à l'insouciance propre à leur âge ? ! Dans un instinct de survie elle bondit et se mit à courir pour leur échapper, mais ma soeur n'a rien d'une athlète de décathlon... Et c'est à cet instant précis, alors que son coeur lui aurait crevé la poitrine, qu'ils se jetèrent sur elle. Théoriquement c'est là qu’on se réveille en sursaut et qu'on se fait consoler de ce mauvais cauchemar, mais elle ne dormait pas. Elle a hurlé «à l’aide !», mais les deux ou trois rares passants ou riverains, par peur de représailles sans doute, n'ont rien fait, pas même appelé la police. Tout d'abord, sa tête heurta la gouttière, ce qui lui sectionna l’arcade sourcilière. Bel examen médico-légal me diras-tu, mais cela ne s'est pas limité à plus de peur que de mal. Elle eut droit à une correction pour sa tentative de fuite, délivrée à coups de poing et coups de pieds. Je n'aurai jamais cru qu'une telle violence gratuite puisse exister. Ils l’ont tabassée, elle, une jeune fille seule, à quatre mecs, juste histoire de lui montrer qui commande. Comment une enfant aussi gentille et innocente qu'elle, peut mériter ça ? ! Ne trouves-tu pas ça injuste ? ! Chacun a une femme, une soeur ou une fille, méritent-elles cette torture ? ! Bien sûr, ils ne se sont pas arrêtés là... En effet alors qu'elle pleurait et qu'elle les suppliait de toute son âme, ils l’ont violée un par un ! ! Ils ont osé voler à cette jeune fille sa virginité, son âme et sa vie future par la même occasion. C'est un acte de terrorisme, c'est comme de mettre une bombe à retardement dans sa tête. Je vois son regard désespéré, ses larmes coulent dans mes veines comme une brûlure. Elle a imploré le mais ça ne les a pas arrêtés. Ils lui ont volé son sourire et sa joie de vivre ! Quand chacun d'entre eux eut fini, le premier sorti un couteau et la poignarda sauvagement au niveau du flanc gauche. Puis ils prirent la fuite dans un long ricanement. Elle était là, étendue sur le sol... Éteinte, son corps et son esprit n’était plus que douleur, une douleur infinie, plus grande encore que celle de perdre un être cher, celle de se perdre soi. Son vide me remplit et m'aspire de l'intérieur. Après un temps qu'elle est incapable de déterminer, dans un ultime souffle, elle se traîna jusqu'à la route et s'y abandonna. Une voiture finit par s'arrêter puis prévint les secours qui ne tardèrent pas à arriver, mais pour elle tout n'était plus qu'éternité. Elle fut soignée... En tout cas pour les blessures du corps... Un agent prit sa déposition et la police retrouva même ces quatre types. La confrontation ne fit que la replonger au coeur de ce cauchemar. Mais le couteau qui n'a pas été retrouvé et certains autres événements ont compliqué l'affaire. Le premier fut que la mère de l'un d'entre eux témoignait sous serment qu'elle était leur alibi. Mais le pire c'est qu’un jour où j'arrivais chez mes parents... La maison était silencieuse. J'ai d'abord pensé qu'il n'y avait personne, mais c'est alors que j'entendis un bruit sourd, de ce genre de bruit qui vous glace le sang... La chute d'un objet sur le sol. Je me précipitais donc en haut des escaliers, la porte de la chambre de ma soeur était verrouillée. Parfois la terreur peut vous envahir d'une telle force qu'elle s'empare de vos muscles est j’enfonçais la porte du deuxième coup. Ma soeur, ma douce petite soeur pendait au bout d'une corde ! Ils lui avaient même volé l'envie de vivre ! Mon sang ne fit qu’un tour et je saisis le couteau qui était dans ma poche (j'en ai besoin pour mon travail) et trancha la corde. Je ne sais plus trop comment j'ai fait mais je l’ai sortie de là, puis transportée d'urgence à l'hôpital.

« Elle s'en tire bien » affirmèrent les médecins mais comment peut-on bien s'en tirer après un viol et une tentative de suicide ? ! ! Les psychiatres la prononcèrent très instable et l'enquête ne tint donc pas compte de son témoignage, ils furent acquittés ! ! ! Et c'est un soir après ça, que ma soeur, réfugiée chez moi, me raconta tout en détails. Tous ses mots sont venus se coller à ma peau, sa douleur s'est infiltrée par mes pores jusqu'à emplir chaque cellule de mon être. Je ne trouvais point de mots pour la consoler, même un magicien n’aurait pu guérir ses blessures. Elle n’allait plus à l'école, ne mangeait plus, ne dormait plus... Elle ne vivait plus. Qu'avaient fait ses monstres ? ! Ils avaient fait pire que la tuer ils lui avaient arraché son coeur. Leur crime restait impuni et je voyais ma soeur enfermée dans la prison de son esprit. C'est là que je décidais d'agir. Je les ai retrouvés et un par un les ai torturés... Mais je ne leur ai pas pris la vie. Je les ai brûlés, coupés, cognés, fais violer, humiliés mais je ne les ai pas tués pour qu’eux aussi gardent toute leur vie l'image de la douleur infinie. Je sais bien que je n'avais pas le droit de faire justice moi-même mais j'aime tellement ma petite soeur. Mon crime resta impuni.

La vie est souvent injuste avec ceux qui lui donne tout, mais l'honnêteté et quelque chose que je lui dois. Alors c'est aujourd'hui que j'ai décidé de t'avouer la vérité. À toi et toi seule ma petite soeur. Je ne fais pas ça pour une quelconque reconnaissance ou pour libérer ma conscience. J'espère juste que ton sentiment de vengeance en sera abreuvé... Et que ta douleur en sera un peu apaisée. Car si moi je n'ai pas été emprisonnée et que je suis restée libre, toi ma soeur tu ne le sera plus jamais... Même si tu as réappris à vivre.

 

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