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Lui...et les autres

                                                                         par Emilie Lafont

 

    Cela fait maintenant dix ans qu’ils sont là, ensemble dans la même cellule, ou plutôt une « chambre » comme disent les docteurs, mais non vraiment cela à vraiment l’air d’une cellule, un lit, une table et des barreaux aux fenêtres…

Au fond cela leur importe peu, ils sont bien ensemble, tous ensemble réunis, comme une grande famille, comme si rien ne pouvaient les atteindre…

Si bien que peut-être…Non ils ne savent pas, ils ne sont pas surs d’eux ; ils veulent encore y réfléchir…

Chacun y va de son avis généralement quand ils parlent, et ça les fatiguent, c’est pour cela que les docteurs leurs donnent autant de médicaments, pour les calmer et qu’ils arrivent à parler chacun leur tour, mais non ça ne marche pas ils veulent tous être là comme une tribu jamais l’un sans l’autre… Ils sont usés par toute cette force que cela demande… Fatigués, épuisés, malgré tous les efforts des gens qui tentent de les aider rien n’y fait, comme si leur bonheur d’être « eux » pouvait un jour leur amener le malheur… Un jour… Peut-être aujourd’hui…

 

    Le petit garçon, tout timide et replié sur lui-même lui ne serait pas contre, après tout ça ne le gênerais pas plus que ça, peut-être est-ce mieux là bas, cela l’éloignerai de son père. Son père, qui disait tout le temps qu’il l’aimait, malgré ça ne l’a pas empêché de devenir la personne qu’il hait le plus au monde, le petit ne comprend pas comment on peut aimer son fils et le frapper chaque jour un peu plus fort sachant que celui-ci ne peut répliquer de peur que cela empire… «Si tu en parles, tu apporteras la honte sur la famille, pense à ta mère tu ne voudrais pas lui faire de la peine ? ». Si seulement il avait eu le courage d’en parler, il ne serait sûrement pas ici en ce moment, à entendre les autres trouver une solution pour leur libération… Heureusement que les docteurs sont venus les chercher ainsi il est protégé mais le souvenir reste cruel, irrépressible et inoubliable d’une enfance malheureuse… Les autres disent que c’est de sa faute, il aurait du être plus fort, se révolter, parler, seulement parler, appeler au secours... Ils ne seraient sans doute pas ici à l’heure qu’il est…

 

    Franck, lui c’est plutôt le violent du « groupe », il parle comme s’il possédait en lui toute la haine et la violence du monde, c’est en partie à cause de ce qu’il a fait qu’ils sont dans cette « cellule », enfermés, éradiqués du monde extérieur jusqu’à la fin … Si proche soit-elle…

Tous ceux qui ont osés s’approcher de lui, même avec les meilleures intentions du monde se sont trouvées face à un mur de haine, toujours plus désireux de faire du mal autour de lui, toujours plus de coups, plus de mots, comme s’il voulait sans cesse montrer que rien au monde ne vaux la peine d’être bien traité, syndrome d’une violence fondamentale, qui vient de plus loin que de son propre être…Comme si tout son environnement dégageait des ondes qui le conduisait à être ce qu’il est, un être dénué de sentiments, n’acceptant que le langage de la haine…

Pour lui, il n’est pas question de le faire, non ce ne serait que lâcheté, il n’a pas fini son travail ici, il doit encore rendre quelques coups, il n’en a que trop reçu, comme si il se nourrissait de ça, sa survie ne dépendrait que de ses actes, plus de place pour les sentiments, il refuse de se laisser entraîner par les « autres », il veut lutter encore et encore pour rétablir l’équilibre, non ils ne l’auront pas comme ça… Ça serait bien trop simple… Et pourtant… Pourtant peu à peu, ils prennent le dessus…

 

    C’est la jeune femme qui tente de calmer tout le monde, elle aime prendre le rôle de la mère, celle qu’elle n’a jamais eu, trop occupée à obéir à ce qui lui servait de mari… Elle aime rassurer le petit garçon, comme celui-ci aurait tant voulu qu’on le fasse quand son père le frappait, et bien pire encore qu’il n’a jamais pu avouer… Son père, leur père, comme un fil conducteur entre eux ; de là naissent tous leurs problèmes, c’est pour cela qu’ils le veulent…

Elle est d’accord elle, malgré ce que pense Franck, la lâcheté n’existe pas quand on vit ce qu’ils ont dû subir… Trop c’est trop elle a beau tenter de panser les blessures, à trop penser elles reviennent toujours plus vivaces que jamais, comme si personne ne pouvait leur accorder une once de bonheur pas même le calme temporaire et superficiel des médicaments… C’est décidé, elle va tenter de les convaincre après tout, son pseudo rôle de mère lui donne la force et l’amour pour les amener à cette résolution, tous la suivront même Franck, sa haine n’est qu’un bouclier, il suffit de trouver le talon d’Achille et on finit par atteindre le cœur, après tout, ils sont ensemble, unis…

 

    Il a mal à la tête, de plus en plus, il est habitué bien sur, dix ans que ça dure même les docteurs n’y peuvent rien « votre cerveau ne peut suivre » c’est tout ce qu’ils ont pu lui durant ses rares périodes de lucidité… Il ne peut même plus penser, réfléchir, il ne sait plus comment on fait, ils ont pris la place, toute la place… Résultat d’une vie remplie de malheurs, il était dépassé, ils ont su l’aider à mieux organiser son esprit mais à quel prix ?

Il ne peut continuer ainsi, ils ont raison, ils doivent trouver une solution, si seulement il pouvait être seul pendant plusieurs heures il pourrait enfin remettre toutes ses idées en place, tenter de reprendre pied, « nous sommes unis, tu ne peux pas nous laisser » ils le répètent sans cesse comme une sempiternelle litanie, une musique d’accompagnement qui devient trop forte, presque assourdissante…

Ils ont gagné… C’est aujourd’hui… Il a déjà tout installé, il est prêt, ils sont prêts, chacun se prépare à la fin, ou au commencement plutôt, c’est sur ça sera mieux… Il se lève, regarde par la petite lucarne de la porte, personne dans le couloir, depuis le temps plus personne ne lui prête attention, les bruits qui sortent de la cellule sont devenus un quotidien, c’est de leur faute… Il se dirige vers la chaise, cette chaise sur le laquelle il aimait s’asseoir, devant la table, il écrivait son journal. Le journal qu’ils aimaient tous, chacun laissant une trace, une écriture différente pour chaque page, pour chacun d’eux, d’après les médecins ça aurait dû être leur délivrance… Non, ils se trompent depuis le début, ils se refusent à le comprendre, ils n’ont jamais su l’aider, alors qu’ « eux » ont toujours été présents chacun à sa manière… Alors que ces pensées ne cessent d’affluer dans son esprit, elle est déjà à son cou, elle qui les conduira dans un endroit meilleur, ils veulent le croire…

C’est Franck qui fit tomber la chaise, lui qui parlait de lâcheté, il était finalement pressé…

 

    Ce fut court, tant mieux, ils n’ont pas souffert, au moins une fois dans leur vie la douleur fut à peine perceptible…

Ils sont bien maintenant … Le petit garçon est dans une grande maison, il a une grande chambre remplie de jouets, il s’amuse avec son chien, ils sont devenus inséparables tous les deux, à l’étage au dessous, ses parents sont en train de préparer le dîner en se jetant de temps à autre des regards amoureux comme au premier jour de leur mariage… Sur la cheminée on peut voir plusieurs photos de la famille dans divers endroit tous les trois (ou quatre si l’on compte le chien) serrés les uns contre les autres les yeux remplis de bonheur…

Franck est maintenant champion de boxe, les coups qu’il donne ne se font que sur un ring, et le soir lorsqu’il rentre, il rejoint sa femme et son fils, heureux de les retrouver après une journée éprouvante, fier de ce qu’il est devenu, les souvenirs passés ne peuvent plus gâcher sa vie, c’est bon de ressentir des émotions si nouvelles et si extraordinaire à la fois…Mais au fond, il les a toujours eues en lui, elles étaient simplement étouffées par ce qu’il avait vécu… Il n’y pense plus maintenant, il est bien…

Elle n’existe plus, ils n’ont plus besoin d’elle, chacun a retrouvé sa place…

Ils ont tous disparus, il peut enfin penser à sa guise, ce qu’il ressent se sont ses propres sentiments, ils n’ont pas changés simplement il peut les comprendre maintenant sans passer par chacun d’eux, il est heureux, dans cet endroit magnifique il va pouvoir réapprendre a vivre seul, tout seul, une tranquillité depuis longtemps oubliée…

 

 

    Lorsque les médecins arrivèrent, il était déjà trop tard, il était mort, pendu, ils n’avaient rien vu venir et pourtant … C’était dur pour lui de supporter toutes ses personnalités, chacune d’entre elles montrait un peu des horreurs qu’il avait vécu, le petit garçon battu par son père qu’il avait été avait toujours refusé de grandir, d’un autre côté, Franck comme il l’appelait avait en lui toute la haine qu’il pouvait ressentir… L’image qu’il s’était fait d’une mère aimante, qu’ils avaient réussi à lui faire créer aurait du l’aider à tout canaliser… Ils n’auraient pu prévoir qu’il se déciderait comme ça…

 

    Au pied de la chaise ils retrouvèrent le journal dans lequel chacune de ses personnalités pouvait librement s’exprimer… Sur la dernière page on retrouva écrit avec plusieurs écritures « Remercierai jamais assez…J’étais dans une telle impasse…Je crois que nous aurons plus de contact… Sans doute mieux ainsi… souvenir me suivra toute ma vie… ». Ils remarquèrent cependant que l’écriture de la « mère » n’apparaissait pas… Comme si les « autres » s’adressaient à elle dans un dernier cri de reconnaissance, comme si c’était elle qui les avaient conduits là… Et si au fond ils avaient réussis à l’aider, peut-être est-il mieux là où il est…

 

 

 

 

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