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Contes de fées

                                                                                                   par Aurélie Barragan

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Une légende raconte que les fées apparaissent à ceux qui ont touché le fond, ceux qui ont tout perdu, surtout l’espoir. Ce sont nos larmes qui les appelleraient. Comment croire à une telle histoire ? Qui n’a jamais parlé d’avoir vu des fées ? Peut être ceux qui n’ont pas réussi à surmonter leur souffrance malgré votre aide… car je dois l’avouer, j’étais sceptique avant de vous rencontrer !  

Tout a commencé par cette douce soirée de printemps. Ma famille et moi-même rentrions d’un repas chez des amis, à quelques kilomètres de notre domicile. Il ne pleuvait pas, il ne faisait pas nuit, ce n’était pas un jour de fête, il n’y avait pas d’évènement particulier à fêter ce jour-là. Et pourtant, une voiture a dévié de sa trajectoire, comme ça, sans aucune raison apparente, pour venir percuter notre voiture. Tout a été très vite, mon mari a juste eu le temps de voir la voiture arriver sur lui, mais n’a pas eu le temps de dévier, la voiture rouge nous a percutés de plein fouet, ne laissant aucune chance à mon mari ni à mon fils, assis à l’arrière. Comment en-ai-je réchappé ? Les policiers disent que la voiture d’en face est arrivée dans le « bon angle ». Le « bon angle » ?? Celui qui a causé la mort de mon mari et de mon fils… Ils disent que je devrais être heureuse d’être encore en vie, mais sincèrement, quand on a tout perdu, comme ça, en l’espace de quelques instants, la vie n’importe plus trop…

 Je me suis réveillée de mon coma deux semaines après l’accident. A mon chevet, une infirmière attendait patiemment que je me réveille. Elle eut la lourde tâche de m’annoncer le décès de mon mari, mort sur le coup (« il n’a pas souffert, vous savez » - comment voulez-vous que cela me console ??) puis de mon fils. Les secours n’avaient rien pu faire, l’hémorragie était trop importante. Je pensais avoir touché le fond quand elle m’apprit que j’avais les 2 jambes et le bassin brisés, que cela pouvait laisser des séquelles, voire me laisser paralysée. Je n’en finissais pas de tomber dans des abîmes de plus en plus profondes, de plus en plus sombres. Quand elle me parla du bébé… Je ne compris pas tout de suite, et devant mon air mouillé de larmes mais néanmoins interrogateur elle m’apprit que j’étais enceinte, que le choc n’avait pas provoqué de fausse couche et que je devrais accoucher dans 8 mois. Il est impossible d’expliquer mon état d’esprit d’alors. Tout s’emmêlait dans ma tête, je voyais les visages de mon mari et de mon fils, tous deux disparus à jamais, je me voyais assise sur un fauteuil roulant, tenant dans mes bras un bébé… C’était impossible ! je ne comprenais déjà pas pourquoi moi, j’avais survécu quand ma famille était partie si vite. Mais alors en plus, je devais mettre au monde un nouvel enfant ! C’était inconcevable. Je ne voulais qu’une chose, quitter ce monde et retrouver mes êtres chers. Devant mes pleurs et mes cris, les médecins et infirmières décidèrent de me tranquilliser. Malgré la drogue, j’entendais tout ! « Faites attention, ne lui en donnez pas trop, il ne faudrait pas faire du mal au bébé », « elle va devenir complètement folle », « ce bébé n’a aucune chance de survivre avec tous les médicaments qui sont injectés à sa mère »…

 Et le temps passa, des heures, puis des jours à alterner les crises de larmes, de crier ma volonté d’en finir, de végéter sous l’effet des tranquillisants… régulièrement on me sortait : on me mettait sur une chaise roulante puis on me sortait dans le jardin de l’hôpital. Je n’avais pas l’esprit assez clair encore pour pouvoir ne serait-ce que penser à bouger. Donc on me laissait là, pendant une heure, peut-être deux, peut-être plus… Je voyais défiler des parents, des amis, tous en larmes. Ils savaient se contenir au début, mais à force de voir ma totale indifférence, mon mutisme total, les larmes de rage leur coulaient le long des joues sans qu’aucun d’entre eux ne puisse les retenir.

 Du fait de ma grossesse, les doses de médicaments étaient tous les jours réduites : il ne fallait pas faire de mal au bébé. Selon les médecins, je n’étais pas dans un état mental nécessaire à la décision de le garder ou pas. Ce sont nos parents, à mon mari et à moi, qui décidèrent qu’ils ne pouvaient pas se résoudre à se séparer de ce bébé, dernier hommage à mon mari selon eux… Donc je végétais, et mon ventre grossissait. Au bout de 2 mois, les médecins arrêtèrent complètement les tranquillisants, le bébé était devenu accroc… ils me donnèrent donc des substituts pendant quelques temps pour déshabituer le bébé le plus tôt possible… et sans rien dire, sans jamais m’y opposer, j’avalais les pilules, une à une, toujours le regard dans le vide.

 Un jour, alors que l’été se finissait presque, j’étais dehors quand il se mit à pleuvoir ; pas une grosse pluie, non une pluie de début d’automne, légère et chaude. A cette époque, j’avais retrouvé mes esprits mais les visages des miens me hantaient toujours, jours et nuits… Lentement mes larmes se mirent à couler et à se mêler aux gouttes de pluie. Je ne pouvais plus supporter tout cela !

 Je crus d’abord à une hallucination, comme celles que j’avais lorsque j’étais sous tranquillisants et que je voyais mon fils courir vers moi en pleurant… A travers mes larmes, je vous vis pour la première fois, vous, mes amies, mes sauveuses ! De votre petite voix, vous chantiez, je ne sais pas quoi, mais vous chantiez. Votre voix était tellement douce, cet air tellement apaisant, un souffle d’air pur dans mon esprit. Puis une infirmière arriva et vous disparurent alors qu’elle me ramenait dans ma chambre en s’excusant de m’avoir laissée là, sous la pluie !

 Longtemps, ce jour-là, je restais les yeux fermés à me remémorer la douceur de votre chant… C’est ce jour-là que je sentis le bébé bouger pour la première fois. C’est une sensation unique et merveilleuse. Toute la soirée je restais une main sur le ventre à fredonner ce petit air que vous m’aviez mis dans le cœur, jusqu’à ce que je m’endorme… Cette nuit fut merveilleuse : ce fut la première nuit calme et sans cauchemar que je fis depuis l’accident.

 Un jour passa, puis deux, puis une semaine sans que je vous revois… Je commençais à douter de ma raison : des fées ! Et puis quoi encore ? Ce devaient être les restes des médicaments…

On m’apprit bientôt que mes jambes étaient guéries mais que le bassin restait fragile et que, par conséquent, leur diagnostic quant au fait que je remarche un jour, ne pouvait être fiable. Les exercices d’entretien, dont je ne voyais absolument pas l’utilité, étaient assommants et horriblement douloureux. Un jour que je faisais ces exercices sur les barres parallèles, les larmes me revinrent, je ne pouvais plus supporter la fatigue, la douleur, et je me laissais tomber. Les larmes coulèrent en torrent sur mon visage. C’est là que vous êtes revenues, votre chant attira mon attention, puis je vis, dans la lumière diffuse, une ombre, puis deux, puis trois : vous étiez à nouveau là, devant moi ! Je ne sais plus ce que vous me chantiez mais mon cœur se mit à battre à tout rompre, je voyais ma famille souriante, tranquille, la sensation de bien-être revint, le bébé semblait apprécier lui aussi, une étrange communication s’était mise en place entre lui et moi à ce moment précis. Pour la première fois, je réalisais que ce bébé était là et n’attendait que moi pour pouvoir vivre. Je réalisais qu’en vouloir à ce bébé d’être là alors que son aîné et son père étaient morts était injuste et que je devais me ressaisir pour lui. Vous êtes restées longtemps cette fois, vous avez chanté de nombreuses chansons, je souriais… Quand la lumière disparut, je me traînais jusqu’à mon fauteuil et retournai dans ma chambre, l’esprit serein. J’étais décidée à vraiment tout tenter pour que ce bébé arrive dans de bonnes conditions et pour cela je devais guérir.

 Les semaines passèrent à travailler dur pour retrouver l’usage de mes jambes. Les médecins s’étonnaient des améliorations rapides sur mon bassin mais je voulais pouvoir promener le bébé à venir, lui apprendre à faire du vélo, marcher avec lui jusqu’à l’école… je voulais… vraiment…

 Puis arrivèrent Noël et les fêtes, les amis et les parents vinrent me rendre visite et furent surpris de ma loquacité nouvelle, de mon sourire. Je reprenais goût à la vie. Je remarchais pour le nouvel an. Tous les soirs je fredonnais votre chanson avant de m’endormir.

 Victoire est née en février, le jour de la Saint Valentin. Au cours de l’accouchement, la douleur fut terrible, mais malgré tout je sentais votre présence. Je ne pus vous voir mais je savais que vous étiez là, tout près.

 Aujourd’hui, je suis sortie de l’hôpital et j’emmène Victoire pour la première fois sur la tombe de son père et de son frère. Elle leur ressemble énormément à tous les deux. Le sourire surtout.

Je tenais à vous remercier aujourd’hui. Et je sais déjà que je ne vous remercierai jamais assez… j’étais dans une telle impasse… Je crois que nous n’aurons plus de contact, mon cœur est tranquillisé, c’est sans doute mieux. Votre souvenir me suivra toute ma vie et j’espère que Victoire chantonnera encore cette berceuse à ses enfants, pour qu’ils sourient à la vie ! Je vais maintenant brûler cette lettre pour que la fumée vous apporte ces quelques mots, que le vent répartisse les cendres de cette partition à travers le monde pour que quelqu’un, peut-être au bord du gouffre, retrouve la force et la joie de vivre à travers ses larmes.

 

Lire du même auteur : "Lire & voir.com" Concours 2004

 

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