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Un été en Normandie
par Jean-Pierre Chiron
Nantes,
le 17 juin 1942.
Je suis persuadée que sur cet amas de violence, d’autres histoires
d’amour sont nées. Peut on empêcher les gens de tomber amoureux, de
s’aimer même en des moments aussi difficiles ?
Et
toutes ces personnes dont je n’ai jamais su le nom qui ont disparu pour notre
bon plaisir : profiter de leurs appartements, de leurs richesses, parfois même
de leurs charmes.
Tout
cela était délicieusement pervers je te l’accorde. Nous avons fui un
quotidien pesant, nous avons basculé dans la folie de cette guerre mais à
notre unique et égoïste profit.
Je
ne peux plus.
Ne
m’en veux pas. Tu dois me comprendre et me laisser retourner dans ma petite
vie banale et pitoyable. Le vertige me fait peur à présent et, même si nos étreintes
folles me manqueront toujours, j’ai trop de mal désormais à me regarder dans
la glace.
Je
ne regrette rien, je te j’ai dit, mais d’étranges fantômes hantent désormais
mes nuits comme mes jours. Même le regard innocent de Martin semble me juger
alors que, j’en suis persuadée, il ne sait rien sur nous. Je surprends
parfois le regard innocent de mes filles sur moi et je l’interprète comme étant
du soupçon, du dégoût.
Ce
qui me fait le plus peur, alors que cette guerre semble s’éterniser, c’est
le retour à une vie sans toi. Tu m’as fait découvrir le plaisir, la
perversité, la légèreté et l’insouciance. Comment vais-je faire pour
retourner dans les bras et les draps de mon mari puisqu’il le faut bien ?
Vais-je être capable de vivre encore dans l’indifférence de ce qui a pu
arriver à tous ces gens dont nous avons décidé la mort comme ça, juste par
jeu ?
Ne
m’en veux pas. Je reste à toi mon amour
Elisabeth
***
Chère Elisabeth
Mais le vent semble tourner et la résistance prend de l’ampleur. Nous
avons affaire à des terroristes qui n’ont plus rien à perdre, c’est ce désespoir
dans le combat qui les fera triompher, j’en suis persuadé désormais.
Nantes, le 2 juillet 1942
La folie t’aveugle.
N’as-tu point compris la situation ?
Pas
un jour ne passe sans que j’éprouve l’envie de faire mes valises, de tous
les laisser. Seules mes filles me retiennent ici, et encore…
Libère
moi de nous je t’en supplie. J’en viens presque à souhaiter ton départ sur
un autre front, une autre ville. Même la mort me semblerait apaisante. Parfois
j’imagine apprendre par le journal, le décès d’un officier français dans
l’exercice de ses fonctions, quelque part en Normandie… seule la mort
pourrait prendre le pas sur nous. Tu vois où j’en suis, quelles sont mes pensées.
Je
ne viendrais pas à ce rendez vous, du moins je ne crois pas…
S’il
te plaît, ne m’en veux pas, essaie de me comprendre.
Ton Elisabeth
***
Comment as-tu pu renoncer à toutes nos caresses les plus folles, les
plus intimes ?
C’était le moteur de ma vie, ce qui me faisait tenir le coup dans
cette guerre qui devient plus dure de jour en jour. Dans cet enfer je me
raccrochais à l’idée de te revoir, de m’enfouir à nouveaux dans tes appâts,
de m’y perdre comme un homme amoureux, comme un petit garçon apeuré et
gauche.
Comment ai-je pu souhaiter ta mort, ton départ vers un monde plus cruel
encore ? Je le sais nous n’avions pas le choix.
Je ne te remercierai jamais assez…
Lire du même auteur : " Seul le petit garçon..." 3ème prix 2002
"La journée sera belle" 4ème prix 2004
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