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Un été en Normandie

                                                                                                        par Jean-Pierre Chiron

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Nantes, le 17 juin 1942.

 

                                      Cher Paul

          Serons nous les seuls à avoir vécu cette guerre comme autre chose qu’une période d’affrontements, de brutalité et de privations ?

         Je suis persuadée que sur cet amas de violence, d’autres histoires d’amour sont nées. Peut on empêcher les gens de tomber amoureux, de s’aimer même en des moments aussi difficiles ?

          Ces deux dernières années resteront comme les plus belles de ma vie, même s’il a fallu tromper Martin qui n’y était pour rien, même s’il a fallu que je joue la comédie devant Agathe et Catherine qui étaient de toutes manières trop jeunes pour me comprendre.

          Et pourtant notre parcours prend fin alors que c’était l’histoire de notre vie, j’en reste intimement persuadée. Mais la guerre nous a rattrapé. On ne pouvait indéfiniment passer entre ses mailles.

          Certains diront que c’est le prix à payer, d’autres verront cela comme une justice divine. Il est vrai que nous avons joué avec le feu et que certains en  ont payé le prix fort. Pourtant je n’ai pas de remords et c’est cela qui m’inquiète le plus.

 Pourrons nous oublier Madame Goldstein qu’il a fallu dénoncer pour pouvoir profiter de son appartement, se voir secrètement à l’abri de tous ?

  Pourrons nous nous pardonner cette famille entière que tu as fait déporter uniquement pour me montrer le pouvoir qui était le tien à la tête de ton commissariat ? 

Et toutes ces personnes dont je n’ai jamais su le nom qui ont disparu pour notre bon plaisir : profiter de leurs appartements, de leurs richesses, parfois même de leurs charmes.

Tout cela était délicieusement pervers je te l’accorde. Nous avons fui un quotidien pesant, nous avons basculé dans la folie de cette guerre mais à notre unique et égoïste profit.

Je ne peux plus.

Ne m’en veux pas. Tu dois me comprendre et me laisser retourner dans ma petite vie banale et pitoyable. Le vertige me fait peur à présent et, même si nos étreintes folles me manqueront toujours, j’ai trop de mal désormais à me regarder dans la glace.

Je ne regrette rien, je te j’ai dit, mais d’étranges fantômes hantent désormais mes nuits comme mes jours. Même le regard innocent de Martin semble me juger alors que, j’en suis persuadée, il ne sait rien sur nous. Je surprends parfois le regard innocent de mes filles sur moi et je l’interprète comme étant du soupçon, du dégoût.

 Ce qui me fait le plus peur, alors que cette guerre semble s’éterniser, c’est le retour à une vie sans toi. Tu m’as fait découvrir le plaisir, la perversité, la légèreté et l’insouciance. Comment vais-je faire pour retourner dans les bras et les draps de mon mari puisqu’il le faut bien ? Vais-je être capable de vivre encore dans l’indifférence de ce qui a pu arriver à tous ces gens dont nous avons décidé la mort comme ça, juste par jeu ?

Ne m’en veux pas. Je reste à toi mon amour

         Elisabeth

                                                                           ***

 Saint-Nazaire, le 25 juin 1942

   

                                      Chère Elisabeth

          Comme la mer était belle ce matin, à l’aurore. Sa couleur presque rosée m’a rappelée le feu que j’ai pu faire naître sur tes joues, si souvent…

          J’entends bien tes doutes malgré l’absence de remords qui m’habite moi aussi. Ces victimes étaient condamnées de toute manière. Les Allemands sont redoutables et sûrs de leur bon droit, de leur idéologie.

          Si j’ai su me mettre à leurs services pour mieux te posséder, je revendique le plaisir que j’ai pris à les utiliser pour nous. Ce n’était que plus effroyablement délicieux.

          Mais le vent semble tourner et la résistance prend de l’ampleur. Nous avons affaire à des terroristes qui n’ont plus rien à perdre, c’est ce désespoir dans le combat qui les fera triompher, j’en suis persuadé désormais.

          Néanmoins je voudrais te revoir une dernière fois mon amour. Pourquoi pas dans  cet hôtel face à la cathédrale ? Le propriétaire est juif, il me sera aisé de le faire chanter pour obtenir la suite. Nous n’aurons rien à craindre après, il ne parlera pas…

          S’il te plait accepte ce dernier rendez vous, mon aimée.

                    Tendrement

                    Paul

                                                                                       ***

Nantes, le 2 juillet 1942

                                       Cher Paul

 

         La folie t’aveugle.  

         N’as-tu point compris la situation ?

  Je suis dans l’incapacité physique et morale de te voir sans basculer définitivement dans ta vie.

Pas un jour ne passe sans que j’éprouve l’envie de faire mes valises, de tous les laisser. Seules mes filles me retiennent ici, et encore…

Libère moi de nous je t’en supplie. J’en viens presque à souhaiter ton départ sur un autre front, une autre ville. Même la mort me semblerait apaisante. Parfois j’imagine apprendre par le journal, le décès d’un officier français dans l’exercice de ses fonctions, quelque part en Normandie… seule la mort pourrait prendre le pas sur nous. Tu vois où j’en suis, quelles sont mes pensées.

Je ne viendrais pas à ce rendez vous, du moins je ne crois pas…

S’il te plaît, ne m’en veux pas, essaie de me comprendre.

         Ton Elisabeth

                                                                  

                                                                                           ***

                                                                              Saint-Nazaire, le17 juillet 1942

                                       Mon Elisabeth

          Ceci est sans aucun doute ma dernière lettre.

          Tu n’es pas venue à notre rendez-vous. Je m’en doutais mais cela m’a tout de même fait très mal, comme le sourire sur le visage du maître d’hôtel qui doit en ce moment même croupir dans un train en direction de l’Allemagne 

          Comment as-tu pu renoncer à toutes nos caresses les plus folles, les plus intimes ?

         C’était le moteur de ma vie, ce qui me faisait tenir le coup dans cette guerre qui devient plus dure de jour en jour. Dans cet enfer je me raccrochais à l’idée de te revoir, de m’enfouir à nouveaux dans tes appâts, de m’y perdre comme un homme amoureux, comme un petit garçon apeuré et gauche.

          J’ai donc demandé à partir sur le front Russe. La bataille engagée y est dure et l’armée Allemande à besoin d’hommes pour avancer encore vers Leningrad qui reste imprenable. Je sais que les conditions de combat sont dures mais, puisque je ne peux te revoir, peu importe. Rien ne sera pire que le manque de toi.

          Tu peux donc te sentir libérée, puisque tel est ton vœu.

                    Tu resteras mon seul et unique amour.

                                       Paul

 

                                                                                       ***

                                                                                      Nantes le 13 Août 1942

                                       Mon Paul

          Comment en sommes nous arrivés là ?

          Maintenant que je sais notre amour perdu, je ne sais plus quoi penser.

          Comment ai-je pu souhaiter ta mort, ton départ vers un monde plus cruel encore ? Je le sais nous n’avions pas le choix.

          Tu pars en Russie et pourtant jamais je ne me suis sentie  aussi proche de toi. Moi non plus je n’oublierai rien.

          Je vais essayer de rebâtir un semblant de vie pour mes filles et pour l’enfant qui bouge en moi depuis quelques semaines déjà…Ce lien avec toi, personne ne me m’enlèvera, jamais.

          Ton sacrifice me sauve de la honte et du qu’en- dira- t- on. Je ne l’aurais pas supporter, je suis ainsi…  

         Je ne te remercierai jamais assez…

          J’étais dans une telle impasse…

          Je crois que nous n’aurons plus de contact malheureusement mais c’est ainsi et c’est sans doute mieux.

          Mon amour, ton souvenir me suivra toute ma vie.

          Notre enfant en sera la preuve vivante.

                    Je t’aime

                    Elisabeth.

 

Lire du même auteur : " Seul le petit garçon..." 3ème prix 2002

"La journée sera belle" 4ème prix 2004

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