3ème prix                Une journée particulière   par Sylvain Caunes                           3ème prix

                                                                                                                          ( Lire du même auteur : "Le chef d'orchestre" 2006 )

 

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Pourquoi, à ce moment précis de la nuit, je me suis réveillé ? Quelque chose s’était passé et je ne savais pas quoi. Je me suis levé après avoir allumé ma lampe de chevet. J’ai enfilé ma robe de chambre et mes chaussons car il ne faisait pas très chaud. L’hiver approchait et je n’avais pas encore mis le chauffage en route.

Je me dirigeai vers la porte d’entrée sans éclairer car j’avais l’intention de regarder à travers le judas. En effet, un trait de lumière passait sous la porte.

Quelle heure était-il ? Deux heures du matin ! Je plaquai mon œil à l’œilleton. Rien. Le couloir était vide. On voyait les deux portes des voisins bien fermées, ainsi que celle de la cage d’escalier et de l’ascenseur. Sans faire de bruit, je fis machine arrière. J’avais la bouche pâteuse. J’avais dû faire un cauchemar.

Je pris un verre dans le placard de la cuisine quand j’entendis distinctement un bruit provenant du palier. Je me figeai et écoutai à nouveau. Un autre bruit se fit entendre. C’était comme un frottement, quelque chose que l’on tire.

Je me dirigeai à nouveau vers la porte d’entrée sur la pointe de pieds. Je regardai à travers le judas. Toujours rien, le couloir était vide, mais toujours allumé. La minuterie aurait dû l’éteindre, sauf si quelqu’un avait actionné l’interrupteur.

Donc il y avait quelqu’un dans l’immeuble, qui entrait ou sortait de chez lui, mais pas sur mon palier. Cela me sembla plus logique. Les bruits dans la nuit résonnent beaucoup plus. Cela devait provenir de la cage d’escalier.

Je me sentis rassuré. Je retournai donc boire mon verre d’eau. Je ne devais pas être vraiment réveillé car ce n’est qu’après quelques secondes encore, que je m’aperçus que mon raisonnement ne tenait pas. En effet, je me souvins soudain, que par mesure d’économie d’énergie, il avait été voté, lors de la dernière assemblée des copropriétaires, une modification du mode d’éclairage des parties communes. Il avait été décidé de rendre indépendant, l’éclairage de chaque palier, du hall d’entrée et de la montée d’escalier. Ainsi, une cellule de détection automatique déclencherait l’éclairage, dès que quelqu’un passerait. Cette modification avait été faite le mois dernier. Donc il y avait bien eu quelqu’un sur le palier pour déclencher la minuterie, qui ne durait d’ailleurs pas plus d’une minute ou deux.

En effet, quelques secondes plus tard, la lumière s’éteignit, mais se ralluma juste après. Il n’y avait toujours personne en vue. Je me dis que le nouveau système devait être défaillant. Mais j’entendis à nouveau un léger bruit derrière la porte. Je décidai d’ouvrir celle-ci pour m’assurer du phénomène. J’imaginai que c’était peut-être un chat ou un chien qui se promenait dans la cage d’escalier. Mais mon raisonnement ne tenait pas plus que précédemment. L’escalier était séparé du palier par une porte automatiquement refermée par un groom. Un animal n’aurait pas pu l’ouvrir, et d’ailleurs mes voisins de palier n’avaient pas d’animaux, ou tout du moins, ne semblaient pas en avoir.

Je décidai d’aller chercher quelque chose du genre outil contondant et d’ouvrir la porte. Un copain m’avait donné une matraque. Il collectionnait les armes en tout genre et d’ailleurs, il me semblait un peu persécuté dans sa tête. J’allais donc chercher l’engin qui traînait dans la table de nuit. C’était une matraque en métal torsadé, rétractable, redoutable à ce qu’il m’avait dit et considérée comme une arme par la législation. Je me sentis plus calme. Je tournai la clé dans la serrure et appuyai sur la poignée, mais la porte ne s’ouvrit pas. J’eus beau tirer de toutes mes forces, la porte ne bougeait pas. Elle était bloquée. Une impression de peur s’empara de moi.

Je retournai dans ma chambre et décrochai le téléphone. Mais rien, il n’y avait pas de tonalité. Décidemment, rien de marchait. Je pris alors mon téléphone portable, mais là non plus, il n’y avait pas de réseau. Pourtant habituellement, je n’avais aucun problème de réception.

Je me sentais de plus en plus mal. L’angoisse montait et je me sentais étouffer. Cette impression d’enfermement, d’isolement, cette incompréhension des évènements me submergeaient. Je me précipitai sur la fenêtre. Celle-ci s’ouvrit sans difficulté. L’air me fit du bien, j’avais eu peur qu’elle ne fut également coincée. Tout était tellement incohérent. Malgré mon angoisse persistante, j’essayais d’analyser la situation. Tout ceci ne pouvait pas être une coïncidence. Il y avait quelqu’un derrière tout ça.

Mes fenêtres donnaient sur l’arrière de l’immeuble, et je ne voyais que les espaces verts de la copropriété et la forêt qui s’étendait au-delà. Je ne voyais donc pas les allées et venues des voisins. Je cherchais un moyen de m’échapper de ce piège. J’étais au 9ème étage. Pas question de faire de l’acrobatie pour atteindre la fenêtre d’un voisin. Je n’osais pas non plus crier au secours. Cela me paraissait incroyable et j’avais peur du ridicule.

Il y eut encore des bruits dans le couloir. J’allai derrière la porte et demandai clairement s’il y avait quelqu’un. Mais personne ne répondit. Les bruits continuèrent.

Je retournai sur mon lit. Je grelottais. Je restais ainsi, prostré, n’osant plus bouger, ne sachant plus que faire. Je pensais réellement à un cauchemar duquel j’allais sortir à un moment ou à un autre.

Je ne sais pas combien de temps j’ai pu rester ainsi. A un moment, j’eus l’impression étrange du silence. Plus de bruit, plus un bruit. Le silence pesant. Je retournai à la porte. Il n’y avait plus de lumière sur le palier. Alors, j’essayai d’ouvrir la porte. Celle-ci s’ouvrit sans problème et la lumière du palier s’éclaira. Le palier était vide et les portes de mes voisins, fermées. Je reculai, médusé, refermai la porte et me précipitai sur le téléphone. Il fonctionnait à nouveau. Idem pour mon portable. Il y avait du réseau.

Epuisé mais rassuré, je me couchai et m’endormis comme une masse. Le réveil me fit sursauter. 7 heures.

Je me levai comme un zombi quand d’un coup, je me remémorai les évènements de la nuit. Est-ce que c’était un cauchemar ?

Je n’étais pas dans mon assiette. Je décidai de ne pas travailler ce matin et d’essayer d’y voir plus clair. Une enquête s’imposait.

J’allai sonner chez mon voisin d’en face. Sa femme m’ouvrit. Les petits piaillaient derrière elle, dans un joyeux vacarme. On se préparait pour l’école. Son mari était déjà parti et ils n’avaient rien remarqué pendant la nuit. Cela ne m’étonna qu’à moitié. Ils avaient dormi du sommeil du juste. Je la remerciai et j’allai sonner à la porte de l’autre voisin. Ils avaient emménagé un an auparavant. C’était un couple discret, poli. Je fis leur connaissance peu après leur arrivée, car ils m’avaient demandé de l’aide pour un problème d’électricité. Je les avais dépanné et ils m’avaient retenu à l’apéritif. Depuis, le courant passait bien entre nous… et on s’était reçus mutuellement depuis. Ils étaient très discrets sur leur profession. Je crois que lui, travaille dans un ministère et qu’elle est employée à Orly. Leur intérieur est assez banal avec des meubles sympas à monter en kit et une déco pas tape à l’œil, mais pas de mauvais goût.

Je pensai ne pas les trouver car ils partent de bonne heure le matin. A ma grande surprise, la porte s’ouvrit et j’aperçus, dans la pénombre, Danièla , ma voisine en robe de chambre, pas même peignée. Lorsqu’elle me vit, elle ouvrit grand la porte et me fit signe d’entrer.

-         Bonjour Bernard, passe au salon.

-         Excuse-moi de te déranger.

-         Non, ce n’est rien, c’est de ma faute, je n’ai pas pu me lever ce matin. Veux-tu un café ?

-         Oui merci.

Je la vis s’éloigner vers la cuisine. Malgré sa coiffure un peu hirsute, elle était belle, et, de la trouver ainsi, au lever, dans cette tenue, je ressentais quelque chose d’inhabituel. Elle revint avec un plateau qu’elle posa sur la table basse, s’assit à côté de moi sur le canapé et commença à verser le café dans nos tasses. Ce faisant, elle se pencha devant moi et je sentis son odeur et la chaleur de son corps. Dans l’échancrure de son décolleté j’entrevis ses seins, qu’elle ne dissimula pas. J’essayais de détourner le regard, mais je n’y arrivais pas. Elle me parut le sentir mais ne modifia en rien sa position. Puis elle me tendit ma tasse

-         Sans sucre, je crois me souvenir.

-         Oui, sans sucre, merci.

Pendant que je buvais mon café à petites gorgées, elle me fixait intensément au point qu’elle me mit mal à l’aise.

A cet instant, j’avais oublié l’objet même de ma visite. Alors, elle me reprit la tasse des mains, la posa, et sans que je puisse réagir, elle se rapprocha de moi et posa ses lèvres sur les miennes.

Elle s’offrit à moi avec une telle chaleur, un tel abandon, que je ne me débattis même pas, ne cherchais même pas à comprendre et pris ce qu’elle m’offrait dans un moment de totale inconscience.

Je ne suis pas un « tombeur professionnel » comme on dit, mais je peux quand même dire que je n’ai pas trop de mal à faire des conquêtes féminines. Si je suis toujours célibataire, à quarante ans, c’est par choix. Je ne me vois pas marié, ni père de famille. Mes amours se transforment vite et souvent, en vraie amitié, car je suis très clair sur mes intentions et certaines femmes l’acceptent. Je garde toujours la tête froide. Mais là, je ne menais pas le débat. Elle m’avait cueilli comme on cueille une fleur, d’un coup sec.

Je me retrouvai ainsi, allongé à côté d’elle sur le canapé, nu comme un ver et la tenant dans mes bras. Elle était lovée contre moi, complètement abandonnée. Elle était touchante. Son corps était très beau, sa peau douce et claire. Son visage, détendu, évoquait celui d’une madone. Elle ouvrit les yeux.

Au moment où j’allai parler, elle mit un doigt sur ma bouche.

-         Chut

-         Mais…

-         Il faut que tu saches que je t’ai aimé dès notre première rencontre. Désolée, mais c’est ainsi. Ne dis rien, c’est mieux. Je préfère ne pas savoir ce que tu en penses. Pour l’instant, embrasse-moi, si tu le veux bien.

Ce que je fis, évidemment, toujours sans trop me poser de questions.

Ensuite, je commençai à m’inquiéter.

-         Et ton mari, est-ce qu’il rentre à midi ?

-         Non, ne t’inquiète pas, il est en déplacement pour la journée.

Je passais donc une journée tout à fait agréable, et après les cauchemars de la nuit, très réparatrice, moralement. Le temps passa très vite et elle me poussa dehors vers cinq heures de l’après-midi.

 

-         Je reprenais mes esprits petit à petit. Cela avait été si soudain, si inattendu,  Monsieur le Commissaire.

-         Oui je comprends.

-         Quand même avec toute l’expérience des femmes que j’avais, je n’en revenais pas. J’étais comme sur un nuage, comme…amoureux. Oui, c’était un vieux souvenir, mon premier amour. Elle était plus âgée que moi, j’avais 16 ans et elle 21. elle était hôtesse de l’air. Ca a duré cinq ans, ans  mais un jour, elle m’a annoncé qu’elle se mariait. Mon psy ne m’a pas guéri, mais au moins, j’ai compris mon comportement avec les femmes.

Le soir, je voulus téléphoner à mon ami de toujours, mon confident, Alain, pour lui raconter mes états d’âme. On s’était toujours appuyé l’un sur l’autre. Il était mon écoute et moi la sienne. Je pris le combiné, mais à nouveau, il n’y avait pas de tonalité. Pour mon portable, il n’y avait pas de réseau non plus. Je me précipitai à la porte et m’attendis à ce qu’elle me résiste comme la nuit dernière, mais elle s’ouvrit sans problème. Alors, je pris l’ascenseur pour aller téléphoner de l’extérieur. Là, le portable captait normalement. Mon copain pensa que je plaisantais et mit un certain temps à accepter mon récit. En tout cas, il y avait un problème à l’intérieur de l’immeuble.

Lorsque je rentrai chez moi, j’entendis que mon couple de voisins, avait une conversation animée, mais je n’en compris pas le sens.

Je n’avais toujours pas élucidé le mystère de la nuit dernière et Danièla m’avait affirmé qu’ils n’avaient rien entendu. Je n’osais pas leur demander non plus, s’ils avaient un problème de téléphone. Ma position vis-à-vis de Stéphane, le mari, m’en empêcha.

Je rentrai chez moi, et sans téléphone, la soirée fut plutôt calme. J’en avais besoin.

-         Voilà Monsieur le Commissaire, ce que je peux vous dire sur les évènements qui ont précédé votre irruption chez moi avec le GIGN. Admettez que cela fait beaucoup en deux jours. J’espère que vous réparerez ma porte.

-         Oui, Monsieur Porta, je comprends. Vous avez été manipulé. Ils avaient besoin de votre appartement en raison de sa  situation afin de compléter leur installation. La veille, ils installaient tout le matériel chez eux et le lendemain, pendant que Madame occupait votre journée, agréablement il me semble, ils installaient chez vous les antennes et autres relais nécessaires. C’est vraiment un travail de professionnel, et vous ne pouviez pas le remarquer.

Nous avons pu les repérer dès le démarrage de leur système d’interception radio. Ils devaient récupérer les informations émises par le centre de transmission  de  la DST caché dans ces baraquements au milieu de cette forêt. Vous ne les aviez même pas remarqués, Mr Porta. Vous n’êtes pas curieux, mais vos voisins l’étaient, eux. Par contre, ils ne savaient que nous nous étions équipés depuis peu, d’un tout nouveau matériel, capable de détecter de telles interceptions. C’est pourquoi, on est venu chez vous d’abord, puis chez eux ensuite.

         Au revoir, Monsieur Porta, je vous laisse vous remettre de vos émotions et je récupère votre matraque. Vous pourriez vous blesser, me dit-il avec un sourire en coin.

 

-         Mais dites moi, Monsieur le Commissaire, comment ont-ils fait pour bloquer ma porte et faire en sorte que je ne puisse rien voir sur le palier ?

-         Pour la porte, un simple vérin a suffi. Par contre pour le judas, ils ont utilisé ce petit capuchon translucide. Au fond, il y avait la photo de votre palier, vide ! Astucieux, non ?

 

 

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