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O Corsica, o tempora o mor...

                                                                                                                                          par Didier Thiesse

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Les souvenirs de cette enfance déchirée n’étaient que trop nets. Cette phrase leitmotive revenait sans cesse à mon esprit :

«Il est trop jeune, il ne comprendrait pas. Plus tard il sera bien assez tôt pour qu’il sache. »

Aujourd’hui il ne restait qu’un survivant de ces instants. Moi, Jean-Paul Panaglia, fils de René Panaglia et Marie Louise née Révacci.

Les événements qui remontaient à la surface de mes souvenirs provenaient de 20 ans dans le passé. Aujourd’hui à l’age de 25 ans je ne désirai qu’une chose, connaître le destin de mes parents. Originaire de Corse ils y avaient toujours vécu jusqu’à leurs disparitions. Mon père, René était un extravagant génie. Toujours à l’affût d’une invention délirante. Bien que gamin à l’époque je me souvenais de ce bric à brac qui occupait la plus grande partie du garage. En ce temps là je l’admirais sans comprendre grand chose à ce qu’il fabriquait. Aujourd’hui je devais mettre un usage sur les inventions qu’il avait laissé à la postérité. C’est à l’adolescence que j’ai coupé les ponts avec lui. Je nourrissais à son égard une haine viscérale, convaincu qu’il était le principal coupable de la disparition de maman. Pour n’importe quel enfant au début de sa vie l’absence de la mère est une blessure béante qui ne cicatrise pas aisément.

Ma décision était prise, je devais retourner sur les lieux de cette enfance. Le paternel avait disparu dans le naufrage de la dernière coquille de noix qu’il avait inventé. Ce véhicule devait utiliser un nouveau mode de propulsion très économique. Aux dires des témoins de l’événements, il y aurait eut une énorme explosion sans bruit mais ayant produit une telle  lumière que les spectateurs restèrent aveugles plus de 5 minutes.

Le bateau de la SNCM embarquait les véhicules et les voyageurs à destination de la dite île de beauté. Le surnom me déplaisait, comment aurais je osé affubler ce département du qualificatif beauté. Y avait il du beau dans la disparition d’une mère ?

Pour mon père c’était différent, il avait fauté. N’est ce pas la plus grande faute que de cacher la raison de la disparition de sa femme. Je le détestais pour cette raison, je jetais sur lui tous les opprobres de l’humanité. Le bateau fendait les eaux de la grande bleue. Devenue la sépulture de mon père elle était par force la gardienne de ce secret que je devais percer. Plus rien ne compterait pour moi jusqu’à ce que je comprenne ce qui était arrivé.

L’étrave fendait les lames qui s’écrasaient mollement sur la coque vigoureuse. Le frottement de l’eau sur la proue avait des vertus hypnotiques. Quasiment en catalepsie je me récitais les derniers mots que je pensais pouvoir attribuer à ma mère. Ils appartenaient à un bout de parchemin aux bords brûlés. C’est sans peine qu’ils étaient venus rythmer mes songes et mes moments d’égarements. Les yeux fermés ne lisaient qu’eux.

« remercierai jamais assez…-  j’étais dans une telle impasse - je crois que nous n’aurons plus de contact - sans doute m’en -  toute ma vie – souvenir me suivra.

Quel secret transportait ces quelques mots sibyllins ?

Mon destin voguait avec moi sur les vagues. La mer livrerait-elle un jour le mystère laissé par ma mère ?

Une seule question pour combien de réponses. Mon père était-il vraiment impliqué dans cette disparition. Mon âme d’adolescent au prise avec les soubresauts hormonaux de cette période de l’existence avait elle bien jaugée les événements ?

L’avenir allait-il m’apprendre quelques choses. Par où commencer ma quête ? La coque frottait contre quelques morceaux de bois, reste de barques mal arrimées devenues épaves. L’appontage s’était bien passé. Je trouvais rapidement un taxi qui m’amena à l’hôtel que j’avais réservé. Le coin de l’île ou j’établissais mon « campement » gardait sans doute dans la trame de ses souvenirs une image de ma famille.  La première nuit entièrement dédiée au sommeil n’accomplit sa tâche que partiellement. Comment expliquer les flashs qui jalonnèrent mes tentatives d’endormissement ?

Elle semblait me parler à travers le temps et l’espace. Elle voulait me dissuader de la démarche que j’entreprenais. Lors de mon réveil, j’étais ému et soumis au tiraillement de l’indécision. Que devais-je faire ?

Abandonner, m’entêter au risque de ne rien découvrir. Je ne mis pas de temps à prendre ma décision. La situation n’admettait pas l’ambiguïté, je devais aboutir ne serais ce que pour en faire une psychothérapie. Ma vie n’avait pas d’équilibre. Aucune des rencontres qui auraient du aboutir à un amour stable ne s’était concrétisée. Je devais obtenir une explication sur cet état.

L’hôtel où je m’étais établi était proche d’Ajaccio. C’est dans cette cité que se situaient les contacts dont je possédais la liste. Ils ou elles avaient tous connus mes parents. J’optais pour le choix du hasard. Je pointais les yeux fermés un nom sur la liste. Quand je recouvris la vue, le nom d’une femme était sous le stylet. Elisabeth Fanaletti.

L’adresse m’avait emmené au pied d’un immeuble vétuste qui devait bien avoir plus de cent ans. La porte que je poussais pour m’y introduire fit un bruit épouvantable digne des plus grands films d’épouvante. L’escalier chichement éclairé était bien étroit. Je me surpris à penser aux tracas des déménageurs face à une telle situation. J’atteins, non sans mal le troisième et dernier étage. Un seul logement y résidait. Le nom scotché maladroitement sur le plaquage ne faisait aucun doute. J’étais arrivé. Je saisis délicatement le petit marteau en céramique, de peur qu’il ne se brise. Je frappais deux coups que j’espérais discret et sans agressivité. Un bruit se fit entendre attestant d’une présence vivante. Puis une voix.

« Qui c’est qu’est là !?, J’attends plus personne moi ! »

Je répondis calmement et sur un ton qui se voulait rassurant.

« C’est le fils Panaglia, Jean-Paul »

Sans que j’eu le temps de compter le temps la porte pivota.

« Mon petitou… c’est lui. Quel gaillard tu es devenu, tu dois plaire aux filles toi ! »

Je ne pu empêcher l’accolade de celle qui m’accueillait. Tant de chaleur après tant de temps. Quelle mémoire avait celle qui semblait bien plus de soixante-dix ans ?

Réussissant à me dégager je repris une contenance en me rajustant.

« Hé oui c’est bien moi le petitou », reprendre les phrases d’accueil est un vieux truc d’homme politique qui permet de réfléchir à la suite à donner.

La vieille ne me laissa pas le temps de poursuivre et usa de cet accent attaché à la Corse.

« Qu’est ce qui te ramène ici ? Je croyais bien que le monde nous avait oublié. Pourtant… » Les mots s’éteignaient au bout de la phrase.

Je devais savoir.

« Continuez, je suis certain que le hasard m’a guidé jusqu’à vous. Que vouliez vous me dire », je marquai une pause,  « Je ne suis pas revenu en Corse par hasard. Je ne pourrai pas continuer à vivre sans savoir… »

L’aïeul se raidit.  « Personne ne cherchait plus. C’était mieux ainsi, ce n’est jamais bon de réveiller le passé », elle chercha dans le coin de son fauteuil les aiguilles à tricoter abandonnées à mon arrivée. « J’ai du travail, c’est pas certain que la grande faucheuse me laisse le terminer. Aller, au revoir, j’ai bien aimé ta visite. »

Je restais calme.  « J’ai frappé au bon endroit, vous savez beaucoup de chose sur mes parents. Profiter de mon passage, soulagez-vous avant que la grande faucheuse ne vienne pour vous juger. »

« Arrête fiston, c’est pas bon de jouer avec la mort. Elle a pas le sens de l’humour, elle. J’avais encore quelques rangs à terminer. Enfin, bref, poses toi là ! »

Je ne me fis pas prier, face à l’émotion mes jambes avaient du mal à me soutenir.

« Le début de cette histoire est bien antérieur à ta naissance. Tu te souviens de ton père, ce génie… »

« Ne me parlez pas de cet assassin… »

Le ton se fit plus sévère. « Tu n’as pas le droit de juger sans savoir. Ecoute-moi bien. Après tu pourras te faire une idée plus proche de la vérité. Donc je reprends. Ton père était un génie, ta mère aussi et elle avait en grande partie influencée ton géniteur. Heureusement que tu es assis, la révélation que je vais te faire en démonterait plus d’un. Ton père est bien ton père. Ta mère est bien ta mère. Jusque là tout va bien ? »

 J’hochai la tête avec beaucoup de compassion. Elisabeth continua. 

 « Ta mère n’était pas de notre monde. »

La pause entre chaque mot était mesurée. Je sentais ma stabilité mentale m’échapper.

« Ton père adorait ta mère plus que tout au monde. Ils s’étaient rencontrés lors d’un colloque scientifique. Rapidement ta mère lui expliqua ses origines. Elle appartenait à une autre dimension qui étudiait notre planète. Jamais elle n’aurait pensé tomber amoureuse d’un terrien. Ton père était si différent. D’une curiosité insatiable, d’une extrême tolérance, il était différent des autres humains. La nature n’ayant pas de frontières elle fit le reste. Fruit de cette union, tes parents ton toujours adoré. Quelque temps après ta naissance ta mère fut retrouvée par ses supérieurs. Elle avait désobéi aux règles et devait rejoindre son monde d’origine », Je la coupai alors.

« Admettons, cela n’explique pas le dernier message sur ce bout de parchemin à moitié brûlé et à demi compréhensif. »

« Calmes toi, j’y arrive. Ta mère ne l’a pas dit à ton père. C’est moi qui l’ai aidé à bricoler un télé-transporteur, c’est comme ça qu’elle l’appelait. Elle était géniale, j’ai énormément appris avec elle. Pas tant en physique qu’en amitié et en dévouement », quelques larmes glissaient le long des joues de la narratrice. « Pardonne-moi, trop de souvenirs reviennent d’un coup. Donc à l’aide de cette machine elle a rejoint son univers. L’engin ressemblait à une espèce de sarcophage en verre. Je me souviens de l’avoir aidé à se glisser à l’intérieur. Elle m’avait expliqué tous les réglages et m’avait juré que j’aurais la preuve de son arrivée à bon port. Je lui avais promis que je détruirais toutes les preuves de son départ. Ce que j’ai fait après avoir reçu le parchemin que tu as entre tes mains. Ton père est arrivé à ce moment. Il savait qu’elle devait rejoindre son monde et ne l’admettait pas. Le feu était en train de réduire en cendres toutes les preuves. Il s’est emparé d’un extincteur, il a sauvé de l’incendie ce qui est entre tes mains. »

Je pleurais à mon tour retournant entre mes doigts le précieux document seul témoin de cet événement. J’avais besoin d’une dernière réponse.

« Vous connaissez l’intégralité du message ? »

« Bien entendu. Ecoute et retient le, je ne le répéterais pas :

 Elisabeth, je ne vous remercierai jamais assez. Lorsque mes origines m’ont rattrapé j’étais dans une telle impasse. Les circonstances font que je crois que nous n’aurons plus de contact, tant avec les miens qu’avec vous. C’est sans doute mieux. Votre souvenir me suivra toute ma vie. N’oubliez pas de dire à mon mari et mon fils que je les aimerais toujours. »

J’étais submergé de chagrin et de stupeur.

« Et mon père ? A-t-il connu la vérité avant de disparaître ? »

« Oui c’est pour cela qu’il a disparu. Maintenant tu es en age de comprendre. Ton père a très rapidement saisi ce qui était arrivée. Il a alors utilisé son génie et a réussi à recréer un télé-transporteur. Il était à bord du bateau qui a explosé. »

Elisabeth se mit à tousser violemment, elle suffoquait. Je lui portais secours quand elle serra une dernière fois ma main avant de laisser son corps peser de tout son poids sur le sofa qui l’accueillait. Je tremblais. Je me levais. Je sentais que je devais visiter cet appartement devenu une tombe. La porte de la chambre s’écarta devant moi. Posé sur deux tréteaux en inox une cuve de verre. Plus qu’un simple parchemin avait été sauvé des flammes. Une lumière baignait son intérieur. J’ouvris le couvercle supérieur, me glissais à l’intérieur. J’étais bien. La lumière m’enveloppa.

 Papa ! Maman ! J’arrive

 Le vendeur à la crié de NICE MATIN informait la foule :

 « Un immeuble vétuste détruit par le feu dans la banlieue d’Ajaccio. Le corps d’une retraité retrouvé dans les décombres ! Sa mort aurait été antérieur à l’incendie ! Le mystère plane… ! »

 

 

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