Retour à l'accueil Retour au concours 2005
Les autres nouvelles 2005 Lire les avis des lecteurs
O Corsica, o tempora o mor...
par Didier Thiesse
Les
souvenirs de cette enfance déchirée n’étaient que trop nets. Cette phrase
leitmotive revenait sans cesse à mon esprit :
«Il
est trop jeune, il ne comprendrait pas. Plus tard il sera bien assez tôt pour
qu’il sache. »
Aujourd’hui
il ne restait qu’un survivant de ces instants. Moi, Jean-Paul Panaglia, fils
de René Panaglia et Marie Louise née Révacci.
Les
événements qui remontaient à la surface de mes souvenirs provenaient de 20
ans dans le passé. Aujourd’hui à l’age de 25 ans je ne désirai qu’une
chose, connaître le destin de mes parents. Originaire de Corse ils y avaient
toujours vécu jusqu’à leurs disparitions. Mon père, René était un
extravagant génie. Toujours à l’affût d’une invention délirante. Bien
que gamin à l’époque je me souvenais de ce bric à brac qui occupait la plus
grande partie du garage. En ce temps là je l’admirais sans comprendre grand
chose à ce qu’il fabriquait. Aujourd’hui je devais mettre un usage sur les
inventions qu’il avait laissé à la postérité. C’est à l’adolescence
que j’ai coupé les ponts avec lui. Je nourrissais à son égard une haine
viscérale, convaincu qu’il était le principal coupable de la disparition de
maman. Pour n’importe quel enfant au début de sa vie l’absence de la mère
est une blessure béante qui ne cicatrise pas aisément.
Ma
décision était prise, je devais retourner sur les lieux de cette enfance. Le
paternel avait disparu dans le naufrage de la dernière coquille de noix qu’il
avait inventé. Ce véhicule devait utiliser un nouveau mode de propulsion très
économique. Aux dires des témoins de l’événements, il y aurait eut une énorme
explosion sans bruit mais ayant produit une telle
lumière que les spectateurs restèrent aveugles plus de 5 minutes.
Le
bateau de la SNCM embarquait les véhicules et les voyageurs à destination de
la dite île de beauté. Le surnom me déplaisait, comment aurais je osé
affubler ce département du qualificatif beauté. Y avait il du beau dans la
disparition d’une mère ?
Pour
mon père c’était différent, il avait fauté. N’est ce pas la plus grande
faute que de cacher la raison de la disparition de sa femme. Je le détestais
pour cette raison, je jetais sur lui tous les opprobres de l’humanité. Le
bateau fendait les eaux de la grande bleue. Devenue la sépulture de mon père
elle était par force la gardienne de ce secret que je devais percer. Plus rien
ne compterait pour moi jusqu’à ce que je comprenne ce qui était arrivé.
L’étrave
fendait les lames qui s’écrasaient mollement sur la coque vigoureuse. Le
frottement de l’eau sur la proue avait des vertus hypnotiques. Quasiment en
catalepsie je me récitais les derniers mots que je pensais pouvoir attribuer à
ma mère. Ils appartenaient à un bout de parchemin aux bords brûlés. C’est
sans peine qu’ils étaient venus rythmer mes songes et mes moments d’égarements.
Les yeux fermés ne lisaient qu’eux.
« remercierai
jamais assez…- j’étais dans une
telle impasse - je crois que nous n’aurons plus de contact - sans doute m’en
- toute ma vie – souvenir me
suivra.
Quel
secret transportait ces quelques mots sibyllins ?
Mon
destin voguait avec moi sur les vagues. La mer livrerait-elle un jour le mystère
laissé par ma mère ?
Une
seule question pour combien de réponses. Mon père était-il vraiment impliqué
dans cette disparition. Mon âme d’adolescent au prise avec les soubresauts
hormonaux de cette période de l’existence avait elle bien jaugée les événements ?
L’avenir
allait-il m’apprendre quelques choses. Par où commencer ma quête ? La coque
frottait contre quelques morceaux de bois, reste de barques mal arrimées
devenues épaves. L’appontage s’était bien passé. Je trouvais rapidement
un taxi qui m’amena à l’hôtel que j’avais réservé. Le coin de l’île
ou j’établissais mon « campement » gardait sans doute dans la
trame de ses souvenirs une image de ma famille.
La première nuit entièrement dédiée au sommeil n’accomplit sa tâche
que partiellement. Comment expliquer les flashs qui jalonnèrent mes tentatives
d’endormissement ?
Elle
semblait me parler à travers le temps et l’espace. Elle voulait me dissuader
de la démarche que j’entreprenais. Lors de mon réveil, j’étais ému et
soumis au tiraillement de l’indécision. Que devais-je faire ?
Abandonner,
m’entêter au risque de ne rien découvrir. Je ne mis pas de temps à prendre
ma décision. La situation n’admettait pas l’ambiguïté, je devais aboutir
ne serais ce que pour en faire une psychothérapie. Ma vie n’avait pas d’équilibre.
Aucune des rencontres qui auraient du aboutir à un amour stable ne s’était
concrétisée. Je devais obtenir une explication sur cet état.
L’hôtel
où je m’étais établi était proche d’Ajaccio. C’est dans cette cité
que se situaient les contacts dont je possédais la liste. Ils ou elles avaient
tous connus mes parents. J’optais pour le choix du hasard. Je pointais les
yeux fermés un nom sur la liste. Quand je recouvris la vue, le nom d’une
femme était sous le stylet. Elisabeth Fanaletti.
L’adresse
m’avait emmené au pied d’un immeuble vétuste qui devait bien avoir plus de
cent ans. La porte que je poussais pour m’y introduire fit un bruit épouvantable
digne des plus grands films d’épouvante. L’escalier chichement éclairé était
bien étroit. Je me surpris à penser aux tracas des déménageurs face à une
telle situation. J’atteins, non sans mal le troisième et dernier étage. Un
seul logement y résidait. Le nom scotché maladroitement sur le plaquage ne
faisait aucun doute. J’étais arrivé. Je saisis délicatement le petit
marteau en céramique, de peur qu’il ne se brise. Je frappais deux coups que
j’espérais discret et sans agressivité. Un bruit se fit entendre attestant
d’une présence vivante. Puis une voix.
« Qui
c’est qu’est là !?, J’attends plus personne moi ! »
Je
répondis calmement et sur un ton qui se voulait rassurant.
« C’est
le fils Panaglia, Jean-Paul »
Sans
que j’eu le temps de compter le temps la porte pivota.
« Mon
petitou… c’est lui. Quel gaillard tu es devenu, tu dois plaire aux filles
toi ! »
Je
ne pu empêcher l’accolade de celle qui m’accueillait. Tant de chaleur après
tant de temps. Quelle mémoire avait celle qui semblait bien plus de
soixante-dix ans ?
Réussissant
à me dégager je repris une contenance en me rajustant.
« Hé
oui c’est bien moi le petitou », reprendre les phrases d’accueil est
un vieux truc d’homme politique qui permet de réfléchir à la suite à
donner.
La
vieille ne me laissa pas le temps de poursuivre et usa de cet accent attaché à
la Corse.
« Qu’est
ce qui te ramène ici ? Je croyais bien que le monde nous avait oublié.
Pourtant… » Les mots s’éteignaient au bout de la phrase.
Je
devais savoir.
« Continuez,
je suis certain que le hasard m’a guidé jusqu’à vous. Que vouliez vous me
dire », je marquai une pause, « Je ne suis pas revenu en Corse
par hasard. Je ne pourrai pas continuer à vivre sans savoir… »
L’aïeul
se raidit. « Personne ne
cherchait plus. C’était mieux ainsi, ce n’est jamais bon de réveiller le
passé », elle chercha dans le coin de son fauteuil les aiguilles à
tricoter abandonnées à mon arrivée. « J’ai du travail, c’est pas
certain que la grande faucheuse me laisse le terminer. Aller, au revoir,
j’ai bien aimé ta visite. »
Je
restais calme. « J’ai frappé au bon endroit, vous savez beaucoup
de chose sur mes parents. Profiter de mon passage, soulagez-vous avant que la
grande faucheuse ne vienne pour vous juger. »
« Arrête
fiston, c’est pas bon de jouer avec la mort. Elle a pas le sens de l’humour,
elle. J’avais encore quelques rangs à terminer. Enfin, bref, poses toi là ! »
Je
ne me fis pas prier, face à l’émotion mes jambes avaient du mal à me
soutenir.
« Le début de cette histoire est bien antérieur à ta naissance. Tu te souviens de ton père, ce génie… »
« Ne me parlez pas de cet assassin… »
Le ton se fit plus sévère. « Tu n’as pas le
droit de juger sans savoir. Ecoute-moi bien. Après tu pourras te faire une idée
plus proche de la vérité. Donc je reprends. Ton père était un génie, ta mère
aussi et elle avait en grande partie influencée ton géniteur. Heureusement que
tu es assis, la révélation que je vais te faire en démonterait plus d’un.
Ton père est bien ton père. Ta mère est bien ta mère. Jusque là tout va
bien ? »
J’hochai
la tête avec beaucoup de compassion. Elisabeth continua.
« Ta
mère n’était pas de notre monde. »
La pause entre chaque mot était mesurée. Je sentais
ma stabilité mentale m’échapper.
« Ton
père adorait ta mère plus que tout au monde. Ils s’étaient rencontrés lors
d’un colloque scientifique. Rapidement ta mère lui expliqua ses origines.
Elle appartenait à une autre dimension qui étudiait notre planète. Jamais
elle n’aurait pensé tomber amoureuse d’un terrien. Ton père était si différent.
D’une curiosité insatiable, d’une extrême tolérance, il était différent
des autres humains. La nature n’ayant pas de frontières elle fit le reste.
Fruit de cette union, tes parents ton toujours adoré. Quelque temps après ta
naissance ta mère fut retrouvée par ses supérieurs. Elle avait désobéi aux
règles et devait rejoindre son monde d’origine », Je la coupai alors.
« Admettons,
cela n’explique pas le dernier message sur ce bout de parchemin à moitié brûlé
et à demi compréhensif. »
« Calmes
toi, j’y arrive. Ta mère ne l’a pas dit à ton père. C’est moi qui
l’ai aidé à bricoler un télé-transporteur, c’est comme ça qu’elle
l’appelait. Elle était géniale, j’ai énormément appris avec elle. Pas
tant en physique qu’en amitié et en dévouement », quelques larmes
glissaient le long des joues de la narratrice. « Pardonne-moi, trop de
souvenirs reviennent d’un coup. Donc à l’aide de cette machine elle a
rejoint son univers. L’engin ressemblait à une espèce de sarcophage en
verre. Je me souviens de l’avoir aidé à se glisser à l’intérieur. Elle
m’avait expliqué tous les réglages et m’avait juré que j’aurais la
preuve de son arrivée à bon port. Je lui avais promis que je détruirais
toutes les preuves de son départ. Ce que j’ai fait après avoir reçu le
parchemin que tu as entre tes mains. Ton père est arrivé à ce moment. Il
savait qu’elle devait rejoindre son monde et ne l’admettait pas. Le feu était
en train de réduire en cendres toutes les preuves. Il s’est emparé d’un
extincteur, il a sauvé de l’incendie ce qui est entre tes mains. »
Je
pleurais à mon tour retournant entre mes doigts le précieux document seul témoin
de cet événement. J’avais besoin d’une dernière réponse.
« Vous
connaissez l’intégralité du message ? »
« Bien
entendu. Ecoute et retient le, je ne le répéterais pas :
Elisabeth,
je ne vous remercierai jamais assez. Lorsque mes origines m’ont rattrapé j’étais
dans une telle impasse. Les circonstances font que je crois que nous n’aurons
plus de contact, tant avec les miens qu’avec vous. C’est sans doute mieux.
Votre souvenir me suivra toute ma vie. N’oubliez pas de dire à mon mari et
mon fils que je les aimerais toujours. »
J’étais
submergé de chagrin et de stupeur.
« Et
mon père ? A-t-il connu la vérité avant de disparaître ? »
« Oui
c’est pour cela qu’il a disparu. Maintenant tu es en age de comprendre. Ton
père a très rapidement saisi ce qui était arrivée. Il a alors utilisé son génie
et a réussi à recréer un télé-transporteur. Il était à bord du bateau qui
a explosé. »
Elisabeth
se mit à tousser violemment, elle suffoquait. Je lui portais secours quand elle
serra une dernière fois ma main avant de laisser son corps peser de tout son
poids sur le sofa qui l’accueillait. Je tremblais. Je me levais. Je sentais
que je devais visiter cet appartement devenu une tombe. La porte de la chambre
s’écarta devant moi. Posé sur deux tréteaux en inox une cuve de verre. Plus
qu’un simple parchemin avait été sauvé des flammes. Une lumière baignait
son intérieur. J’ouvris le couvercle supérieur, me glissais à l’intérieur.
J’étais bien. La lumière m’enveloppa.
Lire du même auteur : "Attente de vie" 2ème prix 2002
"A celle qui était si reine" Concours 2004
Retour à l'accueil Retour au concours 2005
Les autres nouvelles 2005 Lire les avis des lecteurs