Attente de vie par Didier Thiesse 2ème Prix
(Lire du même auteur "A celle qui était si reine" concours 2004)
L'inspecteur
Sodiquet jeta rageusement la photo sur le bureau du commissaire.
Le
dit Sodiquet, Maurice de son prénom bougonnait.
« Je te rappelle les circonstances mon vieux Paul, une église dans la crypte de laquelle on récupère une soixantaine de kilo de cendres. Conclusion du labo, elles proviennent de la combustion d'une dizaine d'êtres humains, au beau milieu du tas de poussière, un gamin l'air paumé. Et qui ne cesse de répéter,
« j'attends que la mariée dise oui »
J'suis désolé, Paul, mais depuis 10 ans que j'enquête, c'est la première fois que je joue dans une crypte style Buchenwald avec un suspect qui joue le magnétophone en boucle. Enfin et puis merde, j'en ai marre de ce boulot à la con. Moi j'viens des moeurs, j'suis plus du style pute qui s'fait dessouder par son mac...» D'un geste bref le commissaire Paul Shavinky le coupa. « Je sais Maurice, mais je te rappelle qu'il ne doit rien filtrer de cette affaire, hier soir, à la maison, j'ai lu tes constatations et tes conclusions. Faudra peut-être changer de fournisseur, elle doit être daubée... ? ».
Le
commissaire les yeux posés au-dessus de ses demi-lunes semblait attendre une réaction
de son adjoint et néanmoins ami. La situation ne convenait pas à Sodiquet,
comme il le disait, il était plus
à l'aise dans les affaires moins sulfureuses. Comme pour mettre un terme à
l'entrevue, le GSM de l'inspecteur diffusa une joyeuse mélodie.
« Inspecteur Sodiquet, j'écoute » Les sillons qui creusaient son front de quadra n'étaient pas que les rides d'une vie déjà bien remplie. « Comment, le môme s'est échappé, mais vous êtes vraiment une bande d'incapables à peine bon à garder un refuge de la SPA rayon caniches. C'est bon arrête de chialer je passerai après avoir vu le labo » C'est d'un doigt rageur qu'il raccrocha, il reprit la veste qu'il avait nonchalamment déposée sur une chaise solitaire et récupéra la photo du mariage seul indice d'un improbable événement ayant précédé un incendie bien réel. Il claqua la porte du bureau de son ami sans un au revoir. La voiture de service garé dans la cour du commissariat n'avait pas eut le temps de refroidir. Le contact sitôt mis, il prit la route. En chemin, comme à son habitude, dans ce genre d'enquête, il repassa le film des événements. Ce samedi 28 juillet 2001, il était de permanence. A 11 h du matin, son téléphone sonna. Les pompiers souhaitaient vivement sa présence d'enquêteur sur les lieux d'un incendie qu'ils venaient de maîtriser. De l'extérieur, rien ne laissait entrevoir un seul indice qui permette de croire que l'intérieur avait été la proie des flammes. Le capitaine des pompiers qui le reçu semblait mal à l'aise. Sans un mot, il lui tendit le succédané de rapport qu'il avait griffonné sur un feuillet 21x29,7.
Il
était 9h30 lorsque la caserne de pompiers du village avait été
alertée. Aux dires
de quelques témoins, un panache de fumé zébrait le ciel de cette
campagne d'habitude si calme.
Il émanait d'un édifice religieux conservé a titre historique. Depuis
des lustres, il ne s'y passait plus rien. A leur arrivée, les
combattants du feu finirent
d'éteindre les dernières braises qui crépitaient et fumaient ça et
là. Avant de pénétrer au coeur de la chapelle abandonnée, ils
n'imaginaient pas ce qu'ils allaient découvrir. C'est de la crypte,
enfoncé sous la chapelle qu'émanaient des signes
de vie. Le caporal chef Dutiyeul qui y pénétra le premier n'en cru
pas ses yeux. Au milieu
de cendres encore fumantes, un enfant d'une dizaine d'année vêtu d'un
pantalon gris, d'un gilet gris, d'une chemise blanche avec un noeud
papillon et ce qui frappa le caporal, c'était ses gants d'une
blancheur immaculée, remarquable
au milieu de ces débris fumants et crasseux. L'enfant ne pleurait
pas, il tenait serré dans sa main gauche un cliché. Sur la photo,
une cérémonie de mariage
qui aurait bien pu se dérouler dans la chapelle avant que le feu y
ait mis un peu de désordre.
Les cendres conduites aux laboratoires de polices scientifiques et l'enfant
confié à une assistance sociale accompagnée de deux représentants
de l'ordre et voilà le début d'une histoire que l'inspecteur
aurait sans doute préféré réserver
à la télévision. Le tour de la crypte ne révéla aucun indice
majeur, les prélèvements
habituels effectués par les collaborateurs de la brigade locale, l'inspecteur
regagna sa voiture. Incendie criminel, accidentel, cérémonial un peu
spécial, toutes les idées venaient se choquer dans l'étroit
réduit qui abritait son cerveau.
Il pestait tout en conduisant. Sans être un flic hors pair, il avait
résolu quelques affaires
assez biscornues. Mais il se trouvait aujourd'hui comme un joueur
de football devant un terrain trop grand et sans ballon pour jouer. Depuis
ce samedi rien n'était plus comme avant. Maintenant deux mois que l'enquête
piétinait, et aujourd'hui la fuite du seul indice vivant. Enfin si
l'on peut dire. Jusqu'à
aujourd'hui entouré de la tendresse des assistantes de la DASS, le gamin
ne sortait pas de son mutisme. Si par bonheur une phrase sortait de
son gosier, elle était
toujours la même « j'attends que la mariée dise oui... » Considérant
que sa présence ne changerait rien sur le lieu qu'avait fuit
l'enfant, il rejoignit la police scientifique à qui il avait confié
d'autres analyses. En effet à force
de recherche, il avait constaté la combustion effective de tout le
mobilier de l'église et
des corps des participants à la noce. De plus, le plomb des vitraux
qui ornaient le haut de
la crypte avait fondu.
Le
laboratoire de la police scientifique était une référence d'ordre.
Tout y était rangé
avec précision et soigneusement étiqueté. N'importe quel néophyte
comprenait le principe de classement. D'un coté, les outils servants
aux différentes analyses,
de l'autre les résultats. Peu ragoûtant les étagères où trônaient
quelques viscères
dans des bocaux transparents remplis de conservateur. Le
responsable vieille connaissance de Maurice vint le saluer
joyeusement. « Alors toujours sur la brèche avec ton affaire ?» Il ne releva pas le sourire narquois qui ornait les lèvres du laborantin. Absorbé par ses réflexions, il avait traversé la première pièce. C'est arrivé à la porte qui donnait sur un débarras, qu'il se retourna prestement. «
Ça fond à quelle température le plomb ?» «
S'il n'est pas allié avec d'autres métaux, 327.5' exactement. Ceci
à la pression du bord de mer bien entendu. » «
Et un incendie comme celui de la chapelle, ça atteint quelle température?
» «
Écoute, à la vue des dégâts et des restes carbonisés, il a bien
du atteindre 1000°.
Mais je ne m'explique pas comment le petit a pu tenir le coup dans une
telle fournaise. D'ailleurs, t'a toujours pas de nouvelles ?» Maurice
se grattait le dessus du crâne, comme pour extraire une idée. «...Non,
enfin je sais plus, va falloir que je téléphone à la brigade, voir
si y ont du nouveau.» La
visite de courte durée ne lui avait apporté que des informations
compliquant encore plus la situation. Il se repassait mentalement les
éléments jusqu'alors découverts. Une chapelle, un mariage, enfin
une photo de mariage, un incendie, un survivant qui s'est fait la
malle, une température sordide qui n'aurait du laisser aucun rescapé,
du plomb fondu... Il faudrait un miracle pour qu'il obtienne le déclic
qui allait faire démarrer l'enquête. Sa vigilance aurait du aller à la route, pourtant les informations diffusées par la radio l'interpellèrent. Les laboratoires de recherches d'une université américaine venaient de découvrir un moyen de télé porter la matière. Jusqu'à présent les expériences s'étaient limiter à agir sur de l'énergie et non pas sur de la matière humaine. Les résultats étaient encourageants, ce qui intéressa le plus Maurice, ce furent les quelques détails techniques sur lesquels buttaient les scientifiques. Les problèmes de stabilité des rayonnements en usage pour ce genre de manipulation. Le résultat était une boule de plasma comparable au soleil et constituée de différentes couches de température. Un élément interpella Maurice, la température de fusion du plomb. Un feu rouge mit fin à ses interrogations. D'un coup de frein magistral, et surtout à l'aide de l'ABS, il échappa au constat. Le stationnement devant les locaux de la Dass fut effectué de main de maître. Il tira nerveusement sur le frein à main de sa voiture de service, au risque de distendre le câble. Il devait se retenir de faire exploser la boule de nerf qui grossissait dans son gosier. Après tout, les personnels affectés aux gardes des enfants n'étaient pas des agents assermentés préparés aux gardes à vue et autres manifestations de surveillances de proximité. Le temps de sa réflexion, il avait gravi les escaliers menant aux bureaux des assistantes sociales et autres éducateurs sociaux. Lorsqu'il pénétra dans le local, se fut pour y constater un désordre difficilement qualifiable. Mais il était assez habitué à rencontrer les populations s'occupant du social. Il s'était toujours demandé si s'était une forme de mimétisme qui les incitaient à pratiquer le chaos. Sans doute était ce là une manière de ne pas inquiéter ce qui devaient les rencontrer. A l'entrée dans la pièce il fut
accueilli par un bonjour sonore qui
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