La Photo par Lilas Rouighi et Thierry Gex 1er Prix
(Lire du même auteur "La peine d'y penser ?" concours 2004)
La rue "Dusonchet" est une petite allée proprette située dans un quartier tranquille du 6ème arrondissement de la ville de Lyon. Bordée d'immeubles cossus du début du siècle, elle possède l'avantage d'être à deux pas du parc de la Tête d'Or. C'est au 15 de cette rue que réside Robert PLOT depuis maintenant vingt ans. La cinquantaine bien sonnée, ni grand ni petit, ni gros ni maigre, ni beau ni laid, M. PLOT est un homme sans histoires qui mène une existence paisible. Peu enclin aux démonstrations, il entretient des relations courtoises mais distantes avec le monde qui l'entoure. Contemplatif, il prend peu part aux évènements, préférant promener un regard tantôt amusé, tantôt inquiet sur ses concitoyens et sur le tourbillon incessant des situations qui présentent. M. PLOT est célibataire… Avec les années qui se sont écoulées, il a fini par accepter cette situation, y trouvant même un certain nombre d'avantages. Comme beaucoup de vieux garçons, il a ses habitudes, ses manies et ses jugements. Par-dessus tout, il aime sa liberté et voit d'un très mauvais œil toute forme d'intrusion ou toute velléité de la lui réduire : tous ses jeunes désœuvrés avec leur mobylette bruyante qui passent sous sa fenêtre le dimanche matin et qui l'empêche de goûter un repos bien mérité ou encore ces gens dans le métro qui fument – alors que c'est interdit par la loi – sans ce soucier de savoir s'ils n'importunent pas leurs voisins. Très soucieux des conventions et des règlements, il n'accepte pas ces malotrus qui se permettent de transgresser les lois. On lui connaît peu d'amis. Même madame FORJEAN sa voisine de palier, pourtant fort au fait de ce qui se passe dans l'immeuble, serait bien en peine de vous donner des informations précises sur le bonhomme. "Oh ça pour être bien élevé, il est bien élevé…C'est pas comme les voisins du dessus qui passent sans même vous saluer quand ils vous croisent dans l'escalier…Non, M. PLOT, lui c'est un gentleman…Toujours un petit mot aimable, toujours d'égale humeur…Je le disais encore hier à Marcel, mon mari, si tous les gens étaient comme lui, la vie serait quand même bien plus agréable…Bon c'est vrai qu'il est quand même un peu mystérieux…D'abord il vit seul…C'est pas normal, un bel homme comme lui, vivre sans femme…J'suis certaine qu'il a dû vivre une déception sentimentale…J'ai du nez pour ces choses là…Si c'est pas malheureux quand même…Et puis il a peu de visites. J'suis pas toujours derrière la porte à surveiller les allées et venues mais quand même, y s'passe pas grand chose chez lui…Les murs ne sont pas très épais vous savez…Ça se saurait, s'il avait des visites, on entendrait des bruits…Les voisins du dessus par exemple, eh bien quand ils font la bamboula, ça s'entend, et la bamboula, y s'en privent pas…Alors que M. PLOT : rien…C'est ce que je disais à Marcel : C’est bizarre tout de même cet homme qui vit tout seul…Y à quequ' chose de louche, j'sais pas quoi mais…j'ai du nez pour ces choses là.
Robert PLOT est comptable dans une société spécialisée dans
l'importation de produits en provenance de l'Inde. Trente ans qu'il occupe le même
poste, qu'il remplit les mêmes fonctions avec la même application. Employé
modèle, perfectionniste dans l'âme, il n'a jamais faillit à sa tâche. Jamais
la moindre grippe, le plus petit virus ne l'a empêché d'accomplir son devoir.
Sa pugnacité lui a permis de gravir les échelons pour occuper aujourd'hui un
poste qui lui permet d’être autonome L'arrivée de l'informatique fut une épreuve
douloureuse, mais avec beaucoup de persévérance il a su s'adapter aux progrès
technologiques. Le passage à l'euro est un nouveau challenge dont il se serait
bien passé, mais il aura à cœur d'y faire face tout comme il l'a fait au
cours des trois dernières décennies. Au bureau c'est un personnage respectable
et respecté que chacun admire pour sa rigueur et sa conscience professionnelle.
Peu communicatif, il n'entretient que peu de rapports avec ses collègues et les
discussions se bornent le plus souvent aux stricts besoins professionnels. Mais
sa courtoisie et son professionnalisme en font un personnage apprécié. Depuis
trente ans, il emprunte le même chemin tous les matins pour se rendre au bureau
à 8 heures. C'est avec la même précision métronomique qu'il organise sa
journée jusqu'à l'heure du départ sur les coups de 18H00. Personne n'est
jamais parvenu à le prendre en flagrant délit de retard ou de départ en
avance. A midi il descend manger au restaurant en face de l'entreprise. Tous les
jours depuis 30 ans, il quitte son bureau à 12h15, pour se rendre au restaurant
le plus proche l’ANTRE GUILLEMETS, passe sa commande – une entrée, un plat,
un désert, un quart de vin puis un café – et remonte à 13h45 pour se
replonger dans les dossiers qui l'attendent. Il aime bien ce travail. Ses
patrons lui font toute confiance et tant que ses comptes sont justes il n'a pas
besoin de justifier ses activités ou son organisation.
Or ce jour là, alors qu'à son accoutumée il descendait prendre son déjeuner, son attention fut attirée par une photographie sur la porte du restaurant. Une affiche annonçait l'ouverture d'un concours de nouvelles. Au centre de l'affiche se trouvait une photo noir et blanc, représentant une cérémonie de mariage. La scène se déroulait dans une église. Au premier plan du cliché on distinguait les mariés. Ils sont assis et regardent le photographe. Au second plan les convives. Une dizaine de personnes tout au plus. M. PLOT ne saurait dire pourquoi son regard s'est posé sur cette photo à ce moment précis ; lui qui n'avait jamais prêté la moindre attention à cette vitrine depuis plus de 30 ans. Etait ce le regard insistant des mariés qui semblait l'interroger : "serez vous capable d'écrire cette nouvelle…" ou encore ce personnage au second plan, vêtue d'une robe blanche, mais a qui un examen plus approfondi des traits du visage semblait donné un caractère presque masculin …n'était ce pas plutôt ce petit garçon au second plan…Il lui semblait le connaître…ce visage tout rond, ses cheveux châtains bien coiffés, ce regard interrogateur…au-delà de tous ces personnages, Robert PLOT avait la sensation confuse d'avoir déjà vécu cette scène. Son trouble fût si important ce jour là qu'il ne toucha guère à son repas. A 13h45, il se leva de table pour retourner à son travail. Il passa l'après midi à traiter ses dossiers, mais pour la première fois depuis toutes ces années, le cœur n'y était pas. Obnubilé par cette image, il n'arriva pas à se concentrer correctement et se contenta d'exécuter les paperasseries administratives sans grande conviction. En quittant le bureau à 18h00, il décida de repasser devant le restaurant, histoire de regarder une fois de plus l'image. Son trouble s'amplifia encore. Il ne put fermer l'œil de la nuit. Au matin sa décision était prise…Il allait s'inscrire à ce concours afin d'obtenir un exemplaire de cette photo. Il essaya de se plonger totalement dans son travail durant toute la matinée, mais ne pouvait décoller les yeux de l'horloge. Ce jour là, il quitta son poste avec 5 minutes d'avance, ce qui constitua sans doute une première dans la carrière de Robert PLOT. Contrairement à son habitude, en entrant dans le restaurant, il ne se dirigea pas vers la table qui lui était réservée depuis bien longtemps. Il alla directement au comptoir et s'informa sur les modalités à remplir pour participer au concours. Il savait qu'il devait s'acquitter d'un droit d'inscription de 20 F On lui remit la photo, il paya et retourna à son bureau sans même se mettre à table…De retour à son poste, il fixa le cliché avec une telle attention qu'il perdit toute conscience du monde réel dans lequel il était. Il avait revisité cette scène des centaines de fois depuis qu'il avait découvert cette photo…Son après midi fut encore plus laborieuse que celle de la veille…En arrivant le soir à la maison, il en était persuadé…Le petit garçon sur la photo, c'était lui…il y a si longtemps.
Il rêva de cette photo toute la nuit. Il rêva qu’il la cherchait dans son appartement et il ne parvenait pas à se rappeler où il avait pu la ranger, il était furieux et il cassait tout ce qui se trouvait sur sa route. Il se réveilla fatigué et vaguement inquiet.
C’était
dimanche, sa journée préférée, il se leva s’habilla et alla boire son café
prés du marché, puis il fit ses courses dans le brouhaha et les odeurs de
poulet, il alla acheter ses olives préférées chez un tunisien qu’il aimait
tout particulièrement.
Sur le chemin du retour il acheta les traditionnels choux à la crème pour la tante Adèle. La vielle dame portait ces quatre vingt treize printemps avec une obstination patiente et elle attendait ses choux à la crème chaque dimanche à quatorze heures précises.
Et depuis dix ans Robert se rendait à ce rendez-vous.
Il croisa une famille voisine qui avançait en grappe, la mère semblait débordée entre les sacs et les enfants et de la voix, elle tentait de tout faire avancer dans la même direction, sans rien perdre. Il les salua distraitement et en les dépassant il entendit la mère dire au petit dernier que s’il n’était pas sage Robert viendrait le manger. Il se sentit peiné et faillit pousser un grognement histoire de donner raison à la mère.
En rentrant, il fit soigneusement sa toilette, prenant plaisir à se raser en écoutant la radio, il s’habilla, fit un brin de rangement. Tous les dimanches il allait manger à la Toque Blanche, un restaurant à St jean tenu par un de ses plus vieux amis Victor. En quittant son appartement il fit un tour d’inspection, fermant le gaz, éteignant les lumières, serrant les robinets, il avait la hantise d’un accident domestique. Il vérifiât que sa porte était bien fermée et sortit. Devant l’ascenseur, il s’aperçut qu’il avait oublie les choux à la crème et en bougonnant il retourna chez lui, les prit l et refit un tour d’inspection.
St jean était désert et froid, en arrivant à la Toque Blanche il salua Irène ; l’épouse de Victor, vêtue de son éternel tablier blanc, il lui tendit les choux pour qu’elle les mette au frais et s’installât à sa table habituelle. Le repas était simple et délicieux, comme d’habitude Victor lui fit goûter un de ces petits vins qu’il dénichait lors de ces tournées directement chez des producteurs. Chaque dimanche Victor faisait quelques pauses en s’installant près de lui, tantôt pour boire un coup, tantôt pour faire des commentaires sur la politique ou sur le foot, Robert hochait la tête régulièrement. Il connaissait par cœur les discours de Victor, sa calvitie qu’il tentait de cacher, ce tic à l’œil gauche qui le rendait sympathique et lui donnait un air polisson, et il n’écoutait plus vraiment.
A treize heures trente, il sortit du restaurant pour aller prendre le bus, la maison de retraite n’était pas loin mais il n’avait pas très envie de marcher. Dans le bus, il vérifia qu’il avait la photo et la mit dans la poche intérieure de son manteau. La maison de retraite était tenue par des sœurs au milieu d’un immense parc. Les dix minutes de marche, qui séparaient la grille d’entrée du bâtiment, permettaient à Robert de se préparer mentalement à la visite.
Alors
qu’il s’approchait de la porte il vit une vieille dame dans un peignoir bleu
qui sortait en trottinant poursuivie par une infirmière. Il les dépassa en
saluant l’infirmière et s’apprêta à respirer cet air d’hôpital qu’il
détestait. Dans l’entrée sœur Pichot, l’infirmière en chef
l’attendait, comme chaque dimanche, le sourcil éternellement froncé, elle
esquissa une sorte de sourire, qui ressemblait plus a un rictus. Robert lui
trouvait un air constipé permanent.
Il la salua et l’écouta débiter le bulletin de santé d’Adèle, elle avait une curieuse façon de parler «nous sommes un peu fatigues par l’automne, c’est une saison difficile, mais nous gardons bon appétit » disait-elle d’une voix morne. Au début, Robert n’arrivait jamais à savoir si elle parlait d’elle-même ou d’Adèle et cela l’agaçait, avec le temps il ne faisait plus vraiment attention, il se contentait de ponctuer son discours par un "hum, hum" concentré.
Sœur Pichot l’accompagna jusqu’au salon, Adèle était comme toujours près de la grande fenêtre, l’œil rivé au dehors absorbé par la contemplation du parc. Il s’approcha, déposa les choux empaquetés et attendit que la vieille dame le voit et l’accueille par son traditionnel «ah vous êtes arrivé ! On ne m’avait pas prévenu ». Ce jour là elle semblait particulièrement perdue dans ses pensées alors il s’assit défît le paquet et disposa les choux sur une assiette. Soudain, il se souvint de la photo et il la sortit de sa poche et la posa sur les genoux d’Adèle, ce frôlement sembla la sortir de son rêve, elle vit Robert et prononça la phrase rituelle. Elle regarda les choux, sourit, et chercha ses lunettes pour mieux voir cette photo, elle poussa un petit cri de surprise «oh ! Comme j’aimais ce chapeau, tu sais j’ai été la première à le commander au village, et ce jour là c’était la première fois que je le portais. » Elle lui montrait la jeune femme qui se tenait derrière les mariés, tête baissée manifestement absorbée par quelque chose.
« Comme tu étais mignon, quel âge pouvais-tu bien avoir a cette époque ? 6 ans, 8 ans ?
Mon dieu que c’est loin, oh et voilà Henri, ton oncle Henri qu’il était beau ! »
Elle lui raconta le mariage, les tenues, le temps ce jour là, mais elle ne parvenait pas à se rappeler le nom des mariés. Robert lui demanda qui à son avis avait pris la photo, mais elle ne se le rappelait pas. Ils prirent le thé tranquillement, l’écheveau des souvenirs se dévidait doucement et Adèle racontait, Robert n’arrivait pas à la suivre et à se rappeler les personnes ou des situations qu’elle évoquait. Vers seize heures il prit congé avec en poche la photo et une liste de courses pour la semaine suivante.
La tante venait de lui confirmer ce qu'il avait deviné. Se posaient dès lors un certain nombre de questions : d'où venait cette photo ? Pourquoi avait-elle croisé son chemin après tant de temps ? Pur hasard ou volonté délibérée d'un ami plus ou moins bien intentionné ? Et si c'était le cas, quel en était le message? Cela faisait beaucoup de pourquoi.
Bien que les nuits précédentes furent courtes, il n'était pas fatigué…Il était bien trop absorbé par toute cette histoire. Que ressentait t-il au juste ? Sans doute une vague inquiétude, la peur d'être le jouet d'une machination – l'idée le laissait malgré tout perplexe, lui qui avait eu une vie rangée, sans débordement aucun depuis tant d'années…non décidément cette hypothèse ne tenait pas vraiment debout – par-dessus tout, il vivait dans un état d'excitation qu'il n'avait plus connu depuis bien longtemps et aussi étrange que cela puisse paraître, il n'était pas sûr de ne pas aimer cela. Il avait la ferme intention de mener son enquête pour savoir d'où venait tout cela et quelle en était la finalité.
Il passa la soirée et une partie de la nuit à ressortir de vieilles photos. Images jaunies qu'il n'avait pas regardées depuis des temps immémoriaux. Il passa en revue une partie de son enfance et de son adolescence. Il reconnut la tante Adèle, ainsi qu'une bonne partie de sa famille qui avait disparue depuis. Ce sont des scènes entières de sa jeunesse qui remontèrent ce soir là. Les soirées de fêtes en famille, sa première communion, les étés au bord de la mer avec ses parents, son beau vélo rouge qu'il avait reçu à Noël, puis plus tard les sorties entre copains, les bals, les premiers émois sentimentaux, les premières balades en voitures, la première cigarette fumée en cachette…Oh ! ça, il n'avait pas toujours été le monsieur paisible qu'il était devenu. Il avait été jeune, avait fait les 400 coups avec ses copains : Les fruits maraudés chez le voisin, les courses de Vélo solex sur le boulevard au milieu des voitures (il est vrai qu'à l'époque la circulation automobile n'était pas ce qu'elle est actuellement), les heures passées au bistrot du coin de la rue à refaire le monde, les blagues qui les amusaient tant, comme celle qui consiste à sonner à une porte puis à s'enfuir en courant…Il retrouva quelques photos du lui à l’âge de 7 ou 8 ans : Il s'agissait bien du même petit garçon que celui sur la photo du mariage…par contre lui ne retrouva pas une seule trace de ce mariage…Pas le moindre souvenir. Au milieu de tous ces clichés il tomba sur le visage d'Isabelle. Il eut un étrange pincement au cœur et rangea la boite à souvenir.
Le lendemain, il se rendit à son travail comme d’habitude, il se sentait étrangement confus, s’il avait pu mettre des mots sur ses sentiments cela l’aurait apaisé. Dans son bureau, en retrouvant ses objets familiers, il se rassura. A dix heures alors qu’il s’accordait une petite pause pour chercher un document aux archives, il vit arriver Arlette la standardiste essoufflée lui annonçant qu’il avait un appel personnel, il n’aima pas la façon dont elle prononça «personnel», il n’avait jamais d’appels «personnels». Il eut alors le pressentiment d’une catastrophe et lui demanda affolé de lui passer l’appel dans son bureau. Lorsqu’il regagna son bureau l’appareil semblait hurler, il le saisit et ce fut Adèle qu’il eut en ligne. En dix ans elle ne l’avait jamais appelé ni au téléphone, ni mon petit…comme elle le fit ce jour là. Il fût d’abord si soulagé qu’il eut du mal à comprendre ce qu’elle lui disait. Il lui fit répéter plusieurs fois. Et non il n’y avait rien de grave lui dit-elle, il s’agissait encore de cette photo, elle s’était souvenue que Louise sa sœur était aussi présente ce jour là et qu’elle pourrait le renseigner, et non elle ne connaissait pas ces coordonnées mais il pourrait les retrouver parce que son nom d’épouse était Bonnefond, qu’elle habitait Villefranche et qu’avec tous ses ordinateurs se serait bien le diable s’il n’y arrivait pas, elle ajouta un «bonne journée mon petit »et raccrocha. Robert était stupéfait, il ne se souvenait pas avoir jamais dit à Adèle où il travaillait, cette femme était décidément étonnante. Il se mit à rechercher les Bonnefond sur Villefranche à l’aide du Minitel, il y en avait huit il nota les coordonnées, et se dit qu’il appellerait plus tard. La journée passa péniblement, en sortant du travail il alla chercher son pain, puis il rentra. Il ne savait pas trop comment s’y prendre pour contacter tous ces Bonnefond sans paraître ridicule. Arrivé chez lui, il y avait un papier scotché sur la porte, il crut que c’était un mot de la concierge pour donner la date de la prochaine réunion des locataires. Lorsqu’il l’ouvrit, il eut un haut le corps. C’était l’adresse de Louise Bonnefond à Villefranche ainsi que son numéro de téléphone. Alors il eut peur, il posa le papier sur la table de la cuisine et resta là un moment à le fixer, tandis que mille questions se bousculaient sous son crâne. Il prit un verre d’alcool. Manifestement quelqu’un cherchait à l’aider ou à l’égarer.
Après beaucoup d’hésitations il téléphona, un jeune homme lui répondit, sans doute son fils, lorsqu’il eut Louise en ligne il reconnut immédiatement sa voix et cela lui parut si étrange qu’il en oublia de parler. Il se reprit se présenta, elle le reconnut très vite et sembla heureuse de son appel. Il lui parla de la photo et de la nouvelle, elle parut amusée par la situation et elle accepta de le voir le lendemain car dit-elle «de toute façon elle devait monter à Lyon «. Ils convinrent d’un rendez-vous à 18h30 devant l’opéra.
Décidément cette affaire prenait des proportions grotesques. Plus de doute possible, il ne s'agissait plus de hasard mais bel et bien d'une machinerie montée contre lui. Mais pourquoi ? Et par qui ? Qui pouvait avoir intérêt à faire ressurgir ce passé ? Il avait beau réfléchir, il ne se souvenait pas avoir causé préjudice à qui que ce soit, en tout cas pas au point de justifier de tels agissements. A la lecture du mot, son premier réflexe fut de se rendre chez madame FORJEAN pour savoir si elle avait vu quelqu'un poser ce mot. Elle lui répondit par la négative ajoutant même : "je suis surprise car je n'ai pas quitté mon domicile de la journée du fait d'une vieille sciatique qui s'est réveillée, et vous savez ce que c'est, vous restez clouée au lit…si c'est pas malheureux…". Il la remercia et interrompit la conversation avant qu'elle n'enchaîne sur la prostate de son mari. Si sa voisine n'avait rien vu, il était peu probable que d'autres personnes de l'immeuble puissent le renseigner.
Le lendemain midi,
durant sa pause déjeuner, il questionna Marie Jo la patronne de l'Antre
Guillemet au sujet du concours de nouvelle. Il décida de jouer carte sur table
en indiquant à la restauratrice qu'il était le petit garçon sur la photo, et
que fort de cette "coïncidence" il souhaitait se mettre en rapport
avec les organisateurs de ce concours. Marie-Jo lui expliqua que l'idée était
celle de Didier, un jeune homme qui venait souvent manger ici, et d'une femme
qui se prénommait Isabelle mais qu'elle n'avait jamais rencontré. Le
restaurant était réputé dans le quartier pour la qualité de ses menus mais
aussi parce qu'il abritait toutes sortes de manifestations culturelles :
expositions de peinture, spectacles et ce n'était pas la première fois qu'il
organisait un concours de ce genre. Elle avait donc accepté la proposition du
jeune homme sans se poser de question. Robert demanda s'il était possible de
rencontrer le Didier en question. Marie-Jo lui répondit qu'il venait dîner
tous les jeudis soirs vers 19h00 et qu'il serait donc possible de le voir ici même
le surlendemain.
La seule évocation du prénom "Isabelle" suffit à plonger Robert dans une profonde mélancolie. Etait-il possible qu'elle soit à l'origine de tout cela ? . Tant d'années s'étaient écoulées depuis ce mariage raté. Certes il y avait des centaines d'Isabelle en France mais le lien semblait trop gros pour être dû à une simple coïncidence.
Le soir en se rendant au rendez-vous avec Louise, dans le métro il s’inquiéta de savoir s’il la reconnaîtrait. Ce fut elle qui le reconnu, elle arriva les bras chargés de sacs, élégamment vêtue. Elle avait conservé son port de tête altier et elle avait toujours les yeux pétillants et un peu moqueurs. Il se sentit maladroit et vaguement honteux de ne pas avoir gardé contact toutes ces années. Ils s’engouffrèrent dans un café, et tandis qu’elle ôtait tranquillement ses gants, il sortit la photo et la plaça devant elle. Elle sourit étrangement et lui dit que ça lui faisait bizarre de revoir cette photo après tant d’années. Elle ajouta qu’Isabelle avait déjà du talent pour prendre des photos, le cœur de Robert s’emballa, et il eut soudain très chaud.
Bien sûr c’est Isabelle qui avait pris la photo, il se rappela la scène avec une précision étonnante, du mariage, des mariés heureux et touchants. Isabelle avait une robe blanche et son appareil photo autour du cou qu’elle ne quittait pas à l’époque, elle voulait photographier l’âme des gens. Il se souvint des discussions qu’ils avaient eut sur le sujet, des disputes aussi. Isabelle était toujours déçue par ces clichés, elle disait que les gens ne voulaient pas se donner. Comment avait-il pu oublier ce mariage ?
Louise était silencieuse, elle buvait son thé à petites gorgées. Elle leva les yeux vers lui et lui demanda s’il avait eu des nouvelles d’Isabelle. Il répondit que non, mais n’osa pas lui demander si elle savait quelque chose. Son «moi non plus »le rendit si triste qu’il faillit pleurer. Elle ajouta qu’elle n’avait jamais comprit ce qui c’était vraiment passé et ce fut lui qui répondit «moi non plus »d’une voix cassée. Ensuite ils parlèrent de tante Adèle, de la famille, de leurs vies respectives. Ils se quittèrent devant le métro et Robert rentra l’esprit plus confus que jamais.
Tant d'images se
bousculaient dans son esprit. Nos fantômes finissent toujours par nous
rattraper et ces souvenirs qu'il avait fuit pendant tant d'années lui
revenaient plus précis que jamais. ISABELLE : ces huit lettres le hantaient à
nouveau comme elles l'avaient hanté, il y a plus de trente ans. Isabelle avait
d'abord été une amie d'enfance de Robert, de ces amitiés indéfectibles,
gratuites, faites de serments secrets, qui sont faites pour durer toute la vie,
que rien jamais ne pourra détruire. Puis ils avaient grandi. Elle était
devenue une jeune femme attirante. Peu à peu sans qu'ils puissent s’en rendre
vraiment compte l'amitié s'était transformée en amour, la tendresse avait
laissé la place à la passion. Chacun de son coté avait connu des flirts
d'adolescence mais rien de très sérieux et après un certain nombre
d'aventures infructueuses ils s'étaient trouvés enfin.
La première fois cela s'était passé au cinéma. Il ne se souvenait plus du titre du film qu'ils étaient allés voir. Il se rappelait juste du fait qu'ils étaient restés dans la salle longtemps après la fin du film, elle à rêver et lui à la regarder. Il découvrait une femme qu'il connaissait depuis toujours. Il lui semblait la voir pour la première fois. Sans savoir pourquoi il avait eu les mains moites et le cœur battant à tout rompre. Puis ils étaient sortis du cinéma. Il pleuvait fort ce jour là. Ils avaient rejoint en courant un petit bar proche baptisé le Péristyle et avaient pris un chocolat, trempés encore de l'averse qu'ils venaient d'essuyer. Elle avait dû s'apercevoir de son trouble car elle posa sur lui un regard étrange, presque équivoque. Ils n'échangèrent pas plus de trois mots dans ce café. Dès que la pluie cessa, il l'a raccompagna jusque chez elle et au moment de se quitter, elle posa ses lèvres sur les siennes. Plus de trente ans après, il était encore capable de sentir la douceur de ce premier baiser. Ils renouvelèrent l'expérience du baiser de nombreuses fois dans les mois qui suivirent. Il ne se posa jamais la question de savoir si c'était bien ou mal. Il était heureux. Il découvrait l'Amour avec un A majuscule. Il avait 18 ans à l'époque et elle 21. Il n'avait jamais connu de relation charnelle et son expérience se limitait aux baisers d'adolescents. Elle lui fit connaître les plaisirs de l'amour et sa vie en fût bouleversée. Il découvrit le tatouage qu'elle s'était fait faire dans le creux des reins et qui représentait une licorne. Il savait depuis longtemps l'intérêt qu'Isabelle portait à cet animal mythique et était au courant du tatouage mais n'avait jamais pu le voir n'osant pas demander à celle qui était son amie de lui permettre d'admirer le dessin.
Ils décidèrent de ne pas se cacher. Ils s'aimaient et se moquaient bien de ce que pouvait penser leur entourage. Tous deux de religion catholique, il se fiancèrent et bientôt, on arrêta une date pour le mariage. A cette époque les relations extra conjugales étaient vues d'un mauvais œil et il s'agissait pour l'honneur des deux familles de régulariser au plus vite cette situation. Robert n'avait pas opposé la moindre résistance. Il aimait sa future épouse et était ravi à l'idée de passer sa vie auprès d'elle. Les jours qui précédèrent la cérémonie du mariage furent pour le moins chargés. Entre les faire-part à envoyer, la messe à préparer, la cérémonie à mettre en place, le vin d'honneur puis le repas, dresser la liste des invités (surtout ne pas en oublier), le costume, l'orchestre pour le bal qui allait suivre le repas…il n'avait pas eu une minute de répit. C'est à peine s'il avait eu le temps de voir Isabelle. Depuis un peu plus d'un mois leurs rencontres s'étaient légèrement espacées : chacun s'occupant d'une partie des festivités, chacun préparant des surprises pour l'autre.
Le jour J arriva enfin. C'était un beau samedi de printemps. La journée s'annonçait splendide. Robert n'avait pas dormi de la nuit mais se sentait dans une forme éblouissante. Il passa la matinée à se préparer, s'habiller se parfumer. Ils avaient rendez-vous à 14h00 devant monsieur le Maire. Il s'y rendit avec cinq minutes d'avance, heureux à l'idée de découvrir celle qu'il aimait dans sa tenue de mariée. Tous ses amis, sa famille étaient là. Les visages radieux, les yeux pétillants. La fête s'annonçait magnifique. Chacun avait sorti le costume des beaux jours et pas une personne ne manquait au rendez-vous en dehors de la mariée. Il s'écoula une bonne vingtaine de minutes sans que personne n'apparaisse. Une tension s'était installée. Dans la salle on entendait des remarques qui se voulaient humoristiques ou rassurantes : "après tout c'est son jour, elle peut bien se faire attendre un peu" ou encore "ah ces bonnes femmes, jamais à l'heure…", jusqu'au moment ou apparu une enfant tenant le bouquet de la mariée dans la main. Elle traversa la salle et le remis au marié. Dans le bouquet se trouvait un mot. Robert pris le morceau de papier. En tremblant il l'ouvrit et lu : "Je ne viendrai pas, ne m'attends pas, ne m'attends plus…pardonne-moi…Isabelle".
Il ne savait pas comment il avait pu survivre à ça. Il n'avait pas vraiment de souvenir concernant les jours suivants. La famille d'Isabelle s'était chargée de toutes les démarches pour annuler le banquet, et tout ce qui avait été préparé. Quant à lui il avait connu une période de léthargie, ne comprenant pas ce qui venait d'arriver. Un peu plus tard il avait cherché à savoir. Il avait interrogé sa famille, ses amies, s'était renseigné pour savoir qui l'avait vu en dernier. Mais elle semblait avoir tout simplement disparu. Personne n'était en mesure de lui répondre. A dire vrai, il n'a jamais su si cette ignorance était réelle ou bien une façon de protéger la fuite. Il devait bien y avoir au moins une personne au courant. Mais il se heurta à des murs et ne pu jamais rien obtenir. Il passa plus d'une année à chercher. Croyant tenir parfois des bouts de piste, il ne s'agissait à chaque fois que d'impasses.
Douze mois durant, il s'escrima à rechercher la moindre trace d'Isabelle. Il abandonna de guerre lasse dans un état de dépression avancé. Les questions sur le départ de celle qu'il aimait, les recherches infructueuses, le manque de l'autre, les regards de pitié ou interrogateurs ou moqueurs de ceux qui avaient assisté à cet événement lui étaient de moins en moins supportables.
C'est alors qu'il décida de quitter la petite ville où il habitait pour venir s'installer sur la région lyonnaise, après avoir à son tour coupé les liens avec bon nombre de ses relations. Avec les années qui s'étaient écoulées, il avait fini par accepter sa peine, il avait trouvé une raison à tout cela en se disant que finalement Isabelle était partie parce qu'elle n'était pas suffisamment amoureuse ou encore parce qu'elle avait eu peur de s'engager…Oh il n'avait pas oublié…Mais il avait si bien rangé ses souvenirs, y avait entassé tellement d'autres choses par-dessus, qu'il avait fini par se croire totalement remis. Il réalisait aujourd'hui que ce n'était pas le cas.
Il était las, incapable de penser ou de réagir. En rentrant chez lui il eut plusieurs fois le vertige, il ne se sentait pas capable d’affronter le dehors, les bruits, les autres. Il lui semblait que tout le monde verrait que ça n’allait pas. Il ne dormit pas de la nuit. Prostré dans un fauteuil, il se souvint de cette époque confuse et de l’état dans lequel ça l’avait mis, il eut peur, il s’était juré de ne jamais redescendre aussi bas. Les premiers mois de la disparition d’Isabelle, il avait cru pouvoir la retrouver, puis il avait espéré une explication, n’importe laquelle. Puis il avait commencé à avoir des vertiges, des crises de larmes et des crises d’angoisse. Il avait perdu le sommeil, ne parlait plus et sa mère inquiète, l’avait traîné chez un médecin qui avait diagnostiqué une dépression nerveuse. Il y avait eu cette maison de repos, ces médicaments qui le faisaient dormir. Une espèce de vide s’était installé en lui doucement. Un matin il sut qu’elle ne reviendrait jamais et qu’il ne mourrait pas de chagrin.
Méthodiquement il avait recommencé sa vie à zéro et il ne retournerait pas en arrière.
Le lendemain il téléphona à son travail prétextant un rhume, se rendit chez le docteur Bonnemain, lui décrivit ses vertiges et ses crises d’angoisse en s’appuyant surtout sur ses souvenirs. Le médecin lui prescrivit un arrêt de quinze jours et des antidépresseurs sans sourciller, il conseilla à Robert de se reposer.
Robert n’acheta pas les médicaments, mais il envoya son arrêt maladie rapidement pour se sentir enfin en règle, c’était son premier arrêt en trente ans de travail.
Il était vaguement inquiet en se rendant à l'ANTRE GUILLEMET le jeudi soir. D'abord parce qu'il avait peur de rencontrer un collègue alors qu'il était en arrêt maladie. Et puis toute cette histoire l'effrayait. Il avait conscience de subir les évènements. Ce passé qui lui revenait en pleine figure sans raison apparente, ce mot scotché sur sa porte, la photo…Il avait beaucoup de mal à définir ses émotions, …Il ne parvenait pas à mettre de l'ordre dans ses idées. Afin de minimiser le risque de croiser un employé dans son entreprise, il décida d'arriver le plus tard possible au restaurant. C'est vers 19h30 qu'il poussa la porte de l'établissement. Il fût surpris de la promptitude avec laquelle Marie Jo se précipita vers lui pour lui indiquer la table où dînait Didier. L'homme en question était assez jeune, une trentaine d'années pas plus. Les cheveux bruns, coupés courts, plutôt élégant sans être tape à l'œil. Il lui fit tout de suite bonne impression Marie Jo indiqua à Robert qu'elle avait prévenu son client qu'un "monsieur souhaitait le rencontrer au sujet du concours de nouvelles". Lorsque Robert se présenta à la table, Didier en était au dessert. Il toussa légèrement pour annoncer sa présence. Didier releva la tête…Un peu gêné Robert se présenta :
- "Excusez-moi de vous déranger durant votre repas…Je m'appelle Robert PLOT et je souhaitais m'entretenir avec vous du concours de nouvelles que vous organisez…"
- "Oh, vous êtes le monsieur dont Marie Jo m'a parlé"
- "Oui c'est ça…Si vous préférez, je vous laisse terminer et nous en discuterons après"
- "Non, non pas du tout, allez-y…d'ailleurs j'ai presque fini"
- "Alors voilà…C'est un peu étrange, mais comment dire…Je souhaite savoir d'où vient la photo qui sert de support à ce concours."
- "Eh bien à vrai dire je ne le sais pas vraiment, c'est Isabelle qui me l'a envoyé par e-mail"
- "Isabelle ? Qui est Isabelle ?"
- "Sans doute allez-vous me trouver un peu léger, Monsieur. Euh… ?"
- "PLOT, Robert PLOT"
- "Ah oui, M. PLOT, mais je ne le sais pas non plus…enfin pas vraiment. C'est une personne avec qui j'entretiens des relations épistolaires depuis maintenant plusieurs mois par le biais d'Internet, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés, j'ignore totalement à quoi elle ressemble ! Tenez, ça pourrait être vous !"
Didier eut un petit
sourire entendu…Robert quant à lui tombait des nues. Il ignorait jusqu'à
l'existence de ce type de relations.
-
"Mais enfin vous organisez ensemble un concours et vous ne la
connaissez pas ?"
-
"Il ne s'agit pas vraiment d'une collaboration…j'organise assez fréquemment
ce type de manifestation. Je suis éditeur et donc toujours à la recherche de
nouveaux talents. On trouve parfois des idées intéressantes dans ce type de
concours. Je l'avais dit à Isabelle lors d'une discussion. Comme j'étais en
panne d'inspiration quant au choix des sujets, elle m'a proposée de m'envoyer
une photo et de m'en servir comme support…"
-
"Et cela ne vous a pas étonné ?"
-
"Si bien sûr. Je lui ai demandé ce qu'évoquait cette photo pour
elle. Etait ce son propre mariage ? Elle m'a répondu qu'elle n'apparaissait pas
sur ce cliché mais qu'il était chargé de souvenirs, et qu'elle était
curieuse de savoir comment des personnes inconnues pouvaient interpréter cette
image, quelle histoire d'autres gens pouvaient donner à ce mariage...
-
"Ecoutez, monsieur euh…"
-
"Didier, appelez-moi Didier…"
-
"Je crois reconnaître une personne sur cette photo et j'aimerais
avoir en confirmation, pourriez vous me dire comment joindre cette Isabelle
?".
-
"Je peux vous donner son adresse Internet, mais je ne peux guère
plus pour vous"
Didier sortit un
papier et un crayon et nota licorne@yahoo.fr
puis le tendit à Robert. Ce dernier saisit le papier et se sentit défaillir à
la vue du mot licorne. Il se ressaisit pourtant, remercia son interlocuteur,
s'excusa encore de l'avoir dérangé et s'en alla.
Il était 20h00
passé lorsqu'il sortit du restaurant. La nuit était tombée. Sur le trottoir
d'en face se dressait la façade de l'entreprise qui l'employait. Il tâtât la
poche de son blouson et sentit le trousseau de clés. Il traversa la rue, ouvrit
la porte d'entrée et montât à son bureau. A cette heure, il avait peu de
chance d'être surpris dans son "effraction". Il n'avait pas vraiment
réfléchit, agissant de façon presque mécanique. Il savait que depuis son
bureau il avait un accès à Internet et qu'il lui serait possible d'envoyer un
e-mail. Il n'avait qu'une connaissance assez limitée de cet outil de
communication. Dans son travail il avait eu à envoyer quelques messages à des
clients. Il lui fallait faire vite. Il alluma son poste, se connecta, écrivît
l'adresse indiquée et envoya son message : "Je m'appelle Robert PLOT et je
suis le petit garçon qui apparaît sur la photo que vous avez envoyée pour le
concours de nouvelles. Je suis à la recherche d'Isabelle DUCIME. Est ce vous ?
Vous pouvez me joindre au 04 78 84 62 50. Ne cherchez pas à me contacter par
Internet, je n'aurai pas accès à vos messages…". Il s'empressa d'éteindre
son poste de tout remettre en place puis de quitter les lieux. Une fois dehors,
il jeta un coup d'œil au restaurant. Didier était parti. L'air frais du soir
le revigora un peu. Il sentait son cœur battre la chamade et se demandait
encore comment il avait pu avoir l'audace de faire ce qu'il venait de faire. Il
s'éloigna rapidement et rentra chez lui en rasant les murs de peur d'être
reconnu.
Il passa sa journée
du lendemain près du téléphone à attendre que celui-ci veuille bien sonner.
Les heures succédèrent aux heures sans que rien ne se passe. Il traîna dans
l'appartement en robe de chambre, sans trop savoir que faire. Les "Suites
pour Violoncelle" de JS BACH lui tinrent compagnie une partie de la journée.
Vers 15h00 enfin la sonnerie du téléphone retentit :
-
"Allô ! "
-
"M. PLOT ?"
-
"Oui"
-
"C'est Didier au téléphone…Nous nous sommes parlés hier soir au
restaurant…"
-
"Ah oui…"
-
"J'ai eu un message un peu étrange d'Isabelle. Elle me dit de vous
informer qu'elle a bien reçu votre "e-mail", qu'elle ne peut vous
appeler mais qu'elle sera sur un site de discussion ce soir sur les coups de
20h00. Ce site s'appelle "rencontre.fr". Vous pourrez la joindre…Ah
oui j'allais oublier, elle portera un pseudonyme qui est "Licorne".
-
"Oui, mais comment je vais faire, je n'ai pas d'accès à Internet.
J'ai pu me débrouiller hier soir, mais je n'aurai pas d'ordinateur demain après
midi."
-
"Vous avez toujours les Cybercafés", il en existe plusieurs
sur Lyon…Allez, je vous laisse, je vous souhaite une bonne soirée."
Il se sentait
perdu, rien ne se passait comme il le voulait. Didier avait parlé de Cybercafé
Robert rechercha les adresses et téléphona à celui qui était le plus proche,
il apprit qu’il fermait à 23 heures et que quelqu’un pourrait l’aider. Il
s’habilla rapidement et s’y rendit. C’était un endroit assez sombre et
peu décoré, il fut accueilli par un jeune homme d’une vingtaine d’années
qui avait une coiffure plutôt électrique, et semblait surpris de le voir mais
qui lui fournit une carte et un poste et qui l’aida à se connecter sur le
site. Il chercha si une licorne était connectée, mais ne parvenant pas à le
savoir, il fit à nouveau appel au jeune homme, qui lui expliqua qu’il devait
d’abord se choisir un pseudo. Cela laissa Robert perplexe un moment il décida
finalement de choisir le pseudo de piment parce que c’était le nom du chat
d’isabelle, il eut ainsi accès aux discussions en cours. Il lui envoya un
message
« Isabelle ? »
et il reçut un
« Robert ? »
« Etes vous I
D ? écrivit-il, son cœur cognait comme un fou en attendant la réponse
« il est trop tôt pour répondre à cette question
« je ne comprends pas frappa lentement Robert en tirant un peu la
langue pour la concentration
« La vérité est difficile à affronter, chacun de nous vit avec
des fantômes que l’on a pas vraiment envie de retrouver Que diriez-vous à
Isabelle si vous l’aviez devant vous ? Maintenant ?
« je ne sais
pas, je ne m’étais pas posé la question, écrivit Robert
« Elle est pourtant importante cette question. Que pensez-vous
d’elle aujourd’hui ?
Lui avez-vous
pardonné ? Avez vous peur, Robert ?
Robert fut
incapable de répondre, il regardait les phrases sagement rangées sur l’écran.
« Votre silence est éloquent Robert, voulez-vous vraiment en
savoir plus sur Isabelle ?
« oui répondit spontanément Robert, au bout d’un moment il réalisa
qu’il devait aussi l’écrire
« Isabelle a une amie proche à Paris, cette personne s’appelle
Jacqueline Seignoux.Elle vous donnera des informations qui vous aiderons peut-être ?
Voici la dernière adresse de Jacqueline.
Robert nota les
coordonnées rapidement, puis il demanda à licorne
« Qu’attendez-vous de moi au juste ?
Il attendit
longtemps, il n’eut aucune réponse. Licorne était partie. Il se déconnecta
rendit sa carte au jeune homme et sortit. Il avait besoin de marcher ce qu’il
fit, longtemps, l’esprit vide. Puis il rentra se coucher et il parvint à
dormir. Le lendemain il dormit tard. Il eut un appel de son employeur inquiet et
tandis qu’il essayait de le rassurer l’Interphone grésillât d’une façon
sinistre. Il finit sa conversation et décrocha l’appareil de l’Interphone
mais cela devait être le facteur, il ouvrit sa porte pour l’accueillir sur le
palier il y avait le journal du jour. Il s’en saisit en bougonnant, à cause
de ce genre d’erreur il allait devoir descendre voir la concierge. Il
s’habilla rapidement et machinalement il se mit à lire les gros titres. Il
s’arrêta net sur le chemin de l’ascenseur, le journal annonçait que la célèbre
paléontologue Jacqueline Seignoux allait donner une conférence sur ses récentes
découvertes, cela aurait lieu à paris le lendemain soir. Il compara le nom
avec celui noté au Cybercafé, pas de doute c’était le même.
IL rentra chez lui,
ouvrit le journal pour relire l’article un papier tomba, en le ramassant, il découvrit
que c’était un billet d’entrée pour la conférence. Il se sentait bizarre.
Il repensa aux questions que licorne lui avait posées hier soir, non il ne
parvenait pas à penser quelque chose d’Isabelle, il n’était même pas sûr
de vouloir la revoir. Quelqu’un se jouait de lui, peut-être que le seul moyen
d’échapper à tout ça était de ne pas obéir et de laisser tomber. Mais il
n’arrivait pas à s’y résoudre. Il s’aperçut qu’il avait besoin de
savoir pourquoi elle était partie, de toutes les explications qu’il s’était
forgées où qu’on lui ait suggéré, aucune ne l’avait vraiment convaincu.
Et cette réponse était peut être chez cette Seignoux. Il prit la décision
d’aller à Paris et il se sentit soudain apaisé et même heureux de ce
voyage.
Il avait passé la
nuit à retourner toute cette histoire et à imaginer son entrevue avec
Jacqueline Seignoux. Au matin il s'habilla, prit un petit déjeuner rapide et se
rendit à la gare. Il monta dans le train de 9h45 et s'installa confortablement,
excité par cette expérience…Il arriva en gare de Lyon environ 2h30 après
avoir quitter la cité des gônes. Robert venait de prendre le TGV pour la première
fois de sa vie. Il n'imaginait pas que Paris puisse être aussi proche de Lyon.
Durant tout le voyage il s'était émerveillé devant tous ces progrès
techniques.
Le
train s'était immobilisé, une voix dans un haut-parleur annonça l'arrivée en
gare de Lyon, "terminus du train, tous les passagers sont invités à
descendre". Il récupéra sa valise, et se rendit au buffet de la gare,
commanda un sandwich ainsi qu'un café et s'assit à l'une des tables. Le garçon
lui apporta sa commande, encaissa et s'en alla. C'est à ce moment là que
Robert prit conscience de la situation dans laquelle il se trouvait : seul dans
une ville qu'il ne connaissait pas, à la recherche d'une personne qu'il n'avait
jamais vue. Certes il savait où la trouver – la conférence se tenait le soir
même au petit palais à 20h30 la place d'entrée qui avait été glissée dans
le journal était dans sa poche gauche – mais il n'était pas sûr de savoir
comment s'y rendre. Il n'avait pas pensé à réserver un hébergement pour le
soir. Et puis tout cela lui ressemblait si peu, comment avait-il put réagir de
façon si impulsive ? . Lui qui n'avait pas pris le train depuis des siècles,
il s'était rendu à la gare, avait payé un billet et était monté dans le
wagon comme si de rien n'était, n'avait rien prévu, rien anticipé. Il décida
d'aller repérer les lieux où allait se dérouler la conférence et de se
mettre en quête d'un hôtel. Après avoir demandé son chemin à un contrôleur
de la RATP il se rendit en métro jusqu'à la place de la concorde, identifia le
bâtiment de la conférence puis chercha un lieu pour passer la nuit.
La salle était
pleine de monde. Sans doute d’éminents chercheurs, des savants ou bien encore
des étudiants. Pour Robert la paléontologie se limitait à la reconstitution
de ces squelettes géants de dinosaures et autres bestiaux de la préhistoire.
Il assista à cette grande messe jusqu'au bout sans trop comprendre ce qu'il s'y
disait. Alors que tout le monde quittait la salle, Robert s'approcha de
Jacqueline qui était en train de ranger ses notes. Elle ne l’aperçut pas immédiatement.
Il toussa pour annoncer sa présence.
-
"Excusez-moi, Mme Seignoux, je souhaiterais vous parler…C'est au
sujet d'Isabelle Ducime".
La scientifique
marqua un temps d'arrêt. Elle tourna la tête et fixa Robert. Il eut peur de
l'avoir dérangé, mais elle se replongea dans le rangement de ses papiers avec
un petit sourire :
-
"Comment avez vous trouvé mon exposé Robert ?"
-
"Vous savez, je suis loin d'être un spécialiste sur la
question…comment connaissez-vous mon prénom ?"
-
"J'ai reçu un courrier cet après midi de la part d'Isabelle
m'informant qu'un certain Robert viendrait me trouver après la conférence pour
m'interroger à son sujet. Il y avait une photo également que je suis censée
vous remettre. Mais je ne l'ai pas avec moi. Je n'ai pas eu le temps d'accorder
trop d'importance à cela. Si vous le souhaitez, on peut se revoir demain et
nous en discuterons. Soyez à 11h00 au Bario Latino, rue des martyres dans le 4ème
arrondissement".
Jacqueline arriva
au Bario avec un quart d'heure de retard. Robert était assis dans un profond
fauteuil en train de siroter un cocktail sans alcool. Elle prit place dans un
canapé et s'excusa pour son retard. Après avoir passé sa commande, elle
expliqua dans quelles circonstances elle avait connu Isabelle : leur rencontre
remontait à une bonne vingtaine d'années. A l'époque elle était chercheur
dans un département universitaire. Isabelle venait d'être engagée comme secrétaire.
Elles s'étaient très rapidement liées d'amitié et avaient travaillé une
dizaine d'années ensemble. Elle gardait, aujourd'hui l'image d'une jeune femme
très belle, intelligente mais malheureuse. Elle se souvenait encore de ce vide
qui apparaissait parfois dans son regard, un peu comme si un secret difficile à
porter venait la faire souffrir. De tout cela, elle n'avait jamais voulu en
parler. C'est pas faute d'avoir essayé, mais elle disait que tout allait bien,
qu'il n'y avait vraiment rien de grave, juste un peu de mélancolie… Cela
faisait environ quinze ans qu'elles ne s'étaient pas revus. Pour des raisons
professionnelles, Jacqueline avait dû quitter la France durant un an et demi. A
son retour Isabelle avait déménagé dans le sud. Au départ elles avaient échangé
quelques courriers puis avec le temps, les liens s'étaient distendus. Aussi
avait-elle été très surprise de recevoir cette lettre hier après midi. Elle
sortit la photo dont elle avait parlé la veille. « Tenez la voici avec
son fils. » Robert saisit la photo et la fixa avec une profonde émotion.
C'était bien elle, toujours aussi belle…Elle tenait un petit garçon dans les
bras. Robert posa la photo sur la table car ses mains tremblaient. S'apercevant
de son trouble, Jacqueline reprit :
-
"Cette photo doit remonter au moment où nous nous sommes rencontrées,
le petit Robert n'a pas plus de cinq ans".
-
"Le petit Robert" répéta t-il machinalement.
-
"une vraie terreur…il n'en pensait pas une de droite, et dégourdit…"
Robert sentait les
larmes lui monter aux yeux. Il n'était pas capable de parler, seuls résonnaient
dans sa tête ces trois mots "le petit Robert". Au bout d'un moment il
parvint à bredouiller :
-
"Connaissez-vous son père ?"
-
"Non, Isabelle ne souhaitait pas en parler non plus. Une fois, elle
m'a dit qu'il s'agissait d'une erreur de jeunesse. A l'époque, elle n'avait pas
d'homme dans sa vie.
La conversation
continua encore quelques instants, Robert lui demanda si elle avait d’autres
photos, elle lui remit plusieurs clichés. A son tour elle le questionna et il
pour la première fois, il raconta toute l’histoire à une parfaite inconnue,
il se sentit soulagé. Jacqueline ne semblait pas surprise mais elle lui avoua
qu’elle ne comprenait pas ce qui pouvait bien se passer. Elle s'en alla après
lui avoir laissé ses coordonnées. Robert resta assis longtemps, incapable de
se lever et encore moins de marcher. Il fixait la photo. Il cherchait une
ressemblance entre le petit garçon dans les bras d'Isabelle et celui de la
photo du concours de nouvelle. Difficile à dire. Par certains cotés peut-être…
Quitter l’atmosphère feutrée de ce café lui fut difficile, il se sentait
heureux qu’Isabelle ait appelé son fils Robert, ça voulait dire qu’elle ne
l’avait pas oublié et qu’elle ne lui en voulait pas pour une faute
quelconque qu’il aurait commise. Il se sentait de bonne humeur et il flâna
dans Paris.
Il prit le train du
retour le soir même, et tandis qu’il glissait vers Lyon, il observait en face
de lui un petit garçon concentré sur une bande dessinée. Son esprit semblait
vagabonder d’une idée à l’autre, Isabelle avait aimé un autre homme et
elle avait eu un enfant de lui et elle avait imaginé tout ce plan pour le lui
faire découvrir. Peut être s’était-elle senti coupable ? Il ressortit
pour la dixième fois les photos de Jacqueline pour les examiner, il y avait une
photo de bébé Robert et derrière quelqu’un avait noté une date. Robert fit
un rapide calcul pour savoir quel âge pouvait avoir Petit Robert aujourd’hui.
La personne avait noté Robert D. Ducime le 09 octobre 1971. Il se demandait
comment Isabelle avait rencontré cet homme et surtout quand ? S’il
comptait correctement Petit Robert était né huit mois exactement après le
mariage raté, le pire mois de mars de sa vie, pensa-t-il. Poursuivant son
raisonnement, il réalisa qu’Isabelle l’avait trompé avec un autre homme, elle avait dû s’enfuir avec lui en apprenant
qu’elle était enceinte. Elle avait choisi de partir avec un autre, il se
sentit trahi. Maintenant il avait des réponses, dire qu’il avait failli
devenir fou de chagrin et d’inquiétude, son histoire lui parut banale et
minable. Il se demandait s’il ne préférait pas avant, quant il n’y avait
pas d’explications.
A Lyon la
perspective de rentrer chez lui et d’affronter le silence lui parut
insupportable et il décida de passer à la toque blanche voir Victor. Le
restaurant était désert et Victor surgit de la cuisine avec une fourchette à
la main, il parut soulagé que ce ne soit pas un client, il invita Robert à
manger. La cuisine sentait bon et il y faisait chaud, il s’installa et
attendit en regardant Victor s’agiter pour lui mettre le couvert, ils mangèrent
un moment en silence, et ce fut Robert qui commença à raconter ce qui s’était
passé, il sortit les photos et les tendit à son ami. Visiblement Victor était
ému, sa paupière gauche clignotait, il regarda longuement les photos et dit :
« Alors
comme ça t’a un fils !
-
non dit Robert tu comprends rien
-
Si, si je comprends Peut être qu’elle t’a trompé mais il y a autant
de chance que ce soit toi le père non ? »
En voyant Robert blêmir,
il s’empressa de chercher un alcool fort, il mit la main sur du cognac et força
Robert à en boire une gorgée.
« Me dit pas
que tu y avais pas pensé ! »
Robert hocha la tête
« Alors
pourquoi elle te contacte aujourd’hui ? »
Robert haussa les
épaules
« dans
mon idée, elle savait pas qui était le père, et elle a dû avoir peur,
Victor lui donna
une grande claque dans le dos
« Te voilà père
potentiel d’un garçon de …
-30 ans coassa
Robert avant d’avaler plus de cognac »
L’alcool
commençait à faire son effet et Robert se sentaient détendu et presque
euphorique, il sourit et dit à Victor d’un air naïf
« Peut-être
qu’elle m’aime toujours ! ?
Victor eut du mal
à savoir si c’était une question ou une affirmation dans le doute il lui
resservit à boire en lui disant «ben ouais, sûr qu’elle t’aime
toujours »
Ils s’enivrèrent
en parlant des femmes, de leurs histoires, des trucs incompréhensibles
qu’elles pouvaient faire et qui les rendaient fous.
Robert rentra en
taxi et eut un sommeil lourd et sans rêves.
Le lendemain il émergea
à 11heures la bouche pâteuse, le crâne vibrant, les paupières collées, il
ne s’était pas enivré depuis des années. Il se sentait ridicule en pyjama
l’air hagard et les idées embrumées, il eut honte.
Il
sirota son café lentement, avala un Alka Setzer se doucha et se sentit
redevenir humain. Sur la table du salon l’annonce du concours de nouvelle avec
la photo traînait. Il essaya de se concentrer sur ce qui s'était passé la
veille avec Victor. Ils avaient bu, ils avaient mis au point un plan. Le problème
c'est qu'il s'en souvenait vaguement, il s'agissait de mettre Isabelle au pied
du mur, pour lui faire cracher le morceau avait dit Victor, en hurlant dans le
restaurant un verre d’alcool à la main. Il n'avait jamais vu son ami dans cet
état là. Il reprit une tasse de café pour se rappeler plus précisément du
plan. Oui ! … il se rappelait maintenant. Premièrement, envoyer un
message.
A son arrivée au
cybercafé, il fût accueillit par le même homme qui l'avait reçu la première
fois. Celui-ci le reconnu immédiatement et l'accueilli d'un "alors on y
prend goût !" que Robert interpréta comme une plaisanterie
irrespectueuse. Il ne s'en formalisa pas outre mesure, ayant bien d'autres préoccupations
en tête. Il prit la carte d'accès et s'installa devant l'un des ordinateurs.
Il avait longtemps réfléchit et connaissait la teneur du message qu'il
souhaitait envoyer, pourtant il n'était pas parvenu à formuler correctement
son message et, alors que l'ordinateur se connectait, il en était encore à se
demander comment il allait pouvoir s'adresser à Isabelle. Il tapa l'adresse du
destinataire et alors que le pavé du texte à envoyer apparaissait, il ferma
les yeux. Il s'obligea à respirer lentement, essayant de faire le vide dans son
esprit. Il rouvrit les paupières et de façon très mécanique, s'en même y réfléchir
complètement, il tapa : "Je ne suis pas sûr de t'avoir pardonné et oui
j'ai peur, mais je veux te rencontrer. Je sais que c'est réciproque…sinon
pourquoi tout cela. Je serais mardi prochain à la Toque Blanche, un restaurant
dans le quartier de St Jean sur les coups de 19h00. Rejoins-moi…" Il
cliqua sur la touche "envoyer le message" avant de changer d'avis, récupéra
ses affaires et se leva. Au moment de rendre la carte d'accès au jeune homme il
eut un petit sourire entendu et ne pût s'empêcher de dire : "non décidément,
ce n'est vraiment pas pour moi". Il n'attendit pas la réponse, poussa la
porte et sortit.
Le restaurant était
vide, Robert choisit sa table avec soin, une table à l'écart qui lui
permettait de voir la porte d'entrée sans être vu. Comme il l'avait espéré,
Victor vint le rejoindre pour lui offrir l'apéritif, et s'inquiéta de savoir
comment il se sentait. Robert lui répondit qu'il était très nerveux, mais
qu'il n'y avait pas d'autres solutions.
Rassuré Victor
retourna à ses fourneaux. L'attente commença, quelques clients entrèrent et
chaque fois inconsciemment Robert retenait son souffle.
Un jeune homme
entra, Robert le suivi des yeux distraitement, il était en train de se demander
si Isabelle avait toujours ses longs cheveux blonds. Il fut surpris de voir
quelqu'un s'installer en face de lui et sa première réaction fut de dire qu'il
attendait quelqu'un. C'est alors qu'il reconnut Didier, le jeune homme de la
nouvelle. Celui-ci le saluât et lui répondit qu'il savait parfaitement ce
qu'il était venu faire dans ce restaurant. Pour preuve de ce qu'il énonçait,
il se mit à raconter en détails les évènements que Robert avait vécu depuis
15 jours. Avec une précision déroutante, il énuméra chronologiquement
chacune des étapes qui avaient conduit Robert dans ce restaurant ce soir là.
Il commença par la photo qui s'était trouvée "par hasard" sur son
chemin, il cita les rencontres avec les tantes Adèle et Louise, les coordonnées
de cette dernière qu'il avait retrouvées scotchées sur sa porte, il résuma
fidèlement chacune des conversations et chacun des messages échangés par
Internet, il indiqua comment la rencontre avec Jacqueline Seignoux avait pu se
produire. Il n'oublia pas de faire le lien entre cette histoire et celle du
mariage raté. Robert était déconcerté, ne comprenant pas qui était ce
personnage devant lui, ni ce qu'il lui voulait…Didier n'avait pas quitté
Robert des yeux, cherchant à déceler chez lui la moindre réaction. Après un
long silence, Robert se décida à reprendre la parole. En vérité une
multitude de questions l'assaillaient, et il ne savait par où commencer. D'une
voix qui trahissait sa nervosité, il réussit à prononcer : "qui êtes
vous ?". A ce moment là Didier plongea la main dans la poche intérieure
de sa veste et en ressorti une photo. Il la posa sur la table. Robert la regarda
et reconnu le fils d'Isabelle, celui là même qu'il avait vu sur les photos que
Jacqueline lui avait présentées.
-
"c'est Robert Ducime" prononça Robert d'une voix tremblante
- "Robert Didier Ducime" reprit Didier en insistant sur le deuxième prénom
- "vous êtes… le fils…d'Isabelle…"
-
vous souvenez-vous de Maurice Abros ?" dit Didier doucement
-
"oui, c'était un copain de la bande avec qui nous traînions ta mère
et moi, j'ai appris qu'il était mort récemment"
-
"exact…il se trouve que ma mère avait eu une…aventure avec
lui…environ un mois avant la date de votre mariage…"
-
"Pourquoi me dire ça maintenant ?"
-
"J'imagine que la nouvelle est difficile à encaisser pour vous,
mais vous devez connaître la vérité…Par ailleurs je ne cautionne pas ce
qu'elle a fait. Le fait est, qu'elle a appris qu'elle était enceinte l'avant
veille de votre mariage et a immédiatement pensé que l'enfant était de
Maurice. C'est pour cela qu'elle est partie"
-
"Sans explications, sans me demander mon avis… !"
-
"Aujourd'hui ma mère est effondrée, elle se
sent coupable, c'est
pourquoi elle m'a tout raconté
-
"c'est dégueulasse, on ne trahit pas ceux qu'on aime, et même si
cela arrive, …on cherche à se racheter, … à se faire pardonner, on ne
laisse pas les gens dans le silence pendant trente ans …"
-
Peut-être vous aimait-elle à ce point qu'elle ne se sentait pas capable
ni de vous cacher la vérité, ni de vous la dévoiler…Bref, elle décide de
s'enfuir avec l'enfant qu'elle porte. La vie n'a pas toujours été facile pour
elle non plus, vous savez…"
-
"c'est elle qui a choisi…moi je n'ai pas eu cette chance… »
-
"Le temps a passé, elle n'avait jamais revu Maurice. Pour ma part
j'ai grandi avec l'idée que mon père nous avait abandonné…Et puis, il y a 6
mois, ma mère apprend le décès de mon présumé père. Elle décide de se
rendre à l'enterrement et là elle découvre au hasard d'une discussion que
Maurice n'a jamais pu avoir d'enfants. En fait, il était stérile et malgré
des interventions médicales, il n'avait jamais pu être père. Je vous laisse
en tirer les conclusions.
Robert avait du mal
a respirer, il se sentait furieux contre Isabelle et furieux contre la terre
entière. Tout cela lui paraissait injuste, et il eut peur d'être encore une
fois manipulé. Didier attendait silencieux le regard perdu, Robert en profita
pour l'examiner, cet homme est mon fils, se répétait-il, l'esprit vide.
Lorsque leurs regards se croisèrent, il vit de l'inquiétude dans les yeux de
Didier et aussi quelque chose qui ressemblait à une question.
Didier reprit
"elle n'est
pas au courant de ma démarche, elle me croit en voyage professionnel
"Qu’attendez-vous
de moi ? murmura Robert
"Je ne sais
pas, .je crois que j'aimerais avoir un père,
Robert baissa la tête
incapable de parler.
Didier lui tendit
une carte,
"Voici mes
coordonnées et celles d'Isabelle à St Raphaël.
Robert ne répondit
pas et Didier posa la carte sur l'assiette devant lui. Il se leva, hésita,
faillit dire quelque chose, et s'en alla.
Robert se mit à
pleurer silencieusement.
Sa valise était prête,
il enfila son pardessus. Dans l'entrée il jeta un regard circulaire sur son
appartement et sourit des revues traînaient sur le canapé, il vit le bout
d'une chaussure émerger de sous la table basse. Pour la première fois depuis
longtemps tout cela n'avait plus aucune importance.
Il se demandait
s’il ferait beau à st Raphaël.
FIN
RETOUR AU SOMMAIRE du concours 2002 2ème prix : ATTENTE DE VIE 3ème prix : SEUL LE PETIT GARÇON
(Lire du même auteur "La peine d'y penser ?" concours 2004)