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La dernière séance

                                                                                                                      par Isabelle Robin

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Diane, la trentaine, habitait dans un immeuble, anonyme, de la banlieue de Lille.

C’était vendredi, et comme tous les vendredis depuis maintenant près d’un an, c’était le jour de son rendez-vous avec Monsieur Chamuc.

Délibérément, elle ne l’appelait pas « docteur », car pour elle c’était avouer qu’elle était malade. Elle ne se considérait pas ainsi : ce n’était pas une maladie comme on dit  d’un microbe qui investit le corps d’une personne. Elle était simplement un peu troublée par les événements de sa vie et elle avait besoin d’en parler à quelqu’un, à un ami. Seulement, elle n’avait pas d’amis, ou plutôt si, mais pas au sens réel du terme. Pas des gens qui l’écoutaient, mais des gens qui profitaient d’elle pour se sentir bien. Des « cannibales » qui se servaient d’elle.

Depuis son enfance, elle avait un idéal de l’amitié : un ami ou une amie pour la vie, malgré les divergences qui pouvaient naître au fil du temps et les différences de vie, une confiance réciproque et une complicité durable.

Toutes les personnes qu’elle avait pu rencontrer ne lui avaient jamais apporté ce qu’elle attendait. Certes, au début de la relation, la complicité existait. Mais, le fil du temps se tendait et les relations n’étaient plus aussi amicales que par le passé. Des sentiments extérieurs venaient les troubler : la jalousie et l’envie lui semblaient être ceux qui apparaissaient le plus fréquemment.

Elle pensait avoir toujours donné le maximum d’elle-même, sans limites, pour apporter son amitié aux autres, du réconfort lorsqu’ils en avaient besoin, des rires à partager, et elle, cela lui permettait aussi de trouver un équilibre dans ces échanges.

L’amitié, cette affection qui lie des personnes, l’avait finalement affectée.

 Aujourd’hui, c’était en principe la dernière séance avec son « psy ». Depuis le commencement, il se prêtait bien aux échanges dont elle avait besoin. Elle n’était pas dupe, il le faisait d’un point de vue professionnel. Mais, elle espérait qu’il avait aussi compris qu’elle voyait leurs rendez-vous d’un point de vue amical. Seulement, elle n’en était plus très sûre, car lors des deux derniers rendez-vous, il avait abordé le sujet de la dernière séance. Elle avait alors feint ne pas comprendre, et s’était accroché à des sujets qu’elle n’avait pas encore abordés avec lui. Elle avait alors senti de sa part un regain d’intérêt, médical certainement.

De son côté, elle essayait de se préparer à cette dernière séance. Depuis deux mois déjà, elle avait recommencé à écrire.

Elle n’avait pas écrit depuis deux ans maintenant. L’écriture lui avait paru une échappatoire et la possibilité d’exprimer ce qu’elle avait à dire à certaines personnes qui ne l’écoutaient plus et qui ne la liraient très certainement pas d’ailleurs.

Elle avait donc réécrit, mais à lui. Et finalement, ses écrits lui servaient de base à leurs discussions du vendredi et elle les déchirait au retour de sa séance.

Mais, un seul texte, court, n’avait pas été déchiré :

 

Je ne vous remercierai jamais assez…

J’étais dans une telle impasse…

Je crois que nous n’aurons plus de contact, c’est sans doute mieux.

Votre souvenir me suivra toute ma vie.

 

Ce n’était pas nécessaire d’en écrire plus, car ces quelques lignes exprimaient l’essentiel.

Elle ne se résignait pas à accepter qu’il pourrait y avoir une dernière séance.

 

Aujourd’hui, elle était dans un état d’esprit partagé entre le fait de mettre un terme à ces séances, et le besoin de continuer.

Etait-elle vraiment malade ou avait-elle seulement besoin d’un ami ?

Et elle se dit qu’elle pourrait peut-être arriver à cette séance en posant cette question. Mais, alors ce serait peut-être précipiter la fin de cette relation ?

 

Elle se rendit à sa séance, comme chaque vendredi depuis bientôt un an, et comme chaque fois, elle s’installa sur le fauteuil en face du bureau du docteur Chamuc.

Il lui demanda comment elle se sentait aujourd’hui, et comme à l’accoutumée, elle lui fit part de ses doutes sur les relations qu’elle pouvait entretenir avec les gens et il l’écouta, en hochant de temps en temps la tête. Il ne disait pratiquement jamais rien de plus. Elle parla sans arrêt et c’est alors qu’elle se rendit compte qu’il n’y avait pas d’échanges, qu’elle se confortait dans un état de dépendance vis-à-vis de lui et qu’en fait elle n’avait pas trouvé un ami, mais qu’elle s’en achetait un. Et finalement, tout ceci n’était qu’une farce depuis des mois et ne lui avait apporté un réconfort que temporaire, pas une solution.

 

Au bout d’une heure, durée habituelle de leurs séances, elle se leva, paya la séance. Il ne lui parla pas de dernière séance. Il la salua et lui dit à la semaine prochaine, même heure. Elle lui serra la main sans rien dire et partit.

 

Arrivée en bas de l’immeuble, elle sortit de son sac un papier plié en quatre sur lequel elle avait écrit les quelques mots à l’intention du docteur Chamuc. Elle sortit son briquet pour le faire brûler. Elle le jeta par terre et regarda le papier commencer à se consumer. Quelques mots avaient déjà disparu. Comme ce début d’amitié.

En tapant avec ses pieds, elle arrêta le feu qui commençait à dévorer le papier. Elle le ramassa et le remit dans son sac et elle sortit en allumant une cigarette.

 

Elle ne retournera pas voir le Docteur Chamuc.

Elle n’était pas guérie du mal de l’amitié.

Mais, la vie était ainsi.

 

 

Lire du même auteur : "Hélène et moi...et Tobbie" Concours 2004

 

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