L’amour peut rendre fou (sur le thème 2003)

                                                                         par  Isabelle Malosse

                                                                                                     (lire aussi "Le rythme" sur le thème 2004)

 

Retour à l'accueil

Retour "aux frontières du concours"

 

          

Quand il m’avait appelé, il avait juste parlé d’un tout petit service. Il soupçonnait l’élue de son cœur de n’être pas tout à fait conforme à ses désirs ou tout du moins qu’elle lui cachait certains côtés de sa personnalité.

         Même si nous n’avions jamais été très proches, il était mon petit frère et je me devais de le rassurer de quelques paroles, quelques conseils…mais il m’extorqua la promesse d’accorder un peu de mon temps à son « affaire ». J’obtempérai un peu malgré moi et l’assurai de mon entière coopération, ainsi que de ma plus grande discrétion. « Oui, oui je note…Marina Thelemont…où tu dis ? Ah le « 43 /24 » ? oui je connais, enfin, de nom…»   Alain continuait ses explications, je me saisis d’un stylo et en maintenant d’une main le combiné, j’attrapai de l’autre le journal qui traînait sur la console. Pendant qu’il me ressassait quelques détails insignifiants j’entourai de mon stylo rouge les quelques « indices » vraiment importants : M-T « 43/24 ». Je raccrochai enfin et déchirai le morceau de journal pour le glisser dans la poche de mon jean.

         Pour me débarrasser au plus vite de cette corvée , je pris le soir même le chemin du « 43/24 ».

         Le « 43/24 » était un concept original : Pub de nuit exotique, la clientèle se déchaussait à l’entrée et marchait ensuite sur un lit de sable fin qui recouvrait le sol dans sa totalité. Après un couloir de plus en plus sombre, elle débouchait sur une plage ensoleillée : cocotiers, hamacs, chaises longues, barques, radeaux et même simples serviettes au sol si elle le souhaitait. Un film se déroulait lentement, en boucle, sur le mur arrondit sur 360°, juste la mer et ses vagues formaient ainsi une continuité avec le sol sablé, le tout rehaussé par des bruits amplifiés de ressac et de mouettes. Les jeunes femmes dévolues au service étaient d’authentiques filles des îles et toutes de superbes créatures.

Le « 43/24 » n’avait eu aucun mal à s’imposer comme l’incontournable lieu à fréquenter. Toutefois, les arrivants étaient contrôlés, le nombre de personnes par soirée strictement limité et sélectionné à l’entrée avec diplomatie. De ce fait, le « 43/24 » était un lieu à la mode, oui, mais où il régnait une ambiance particulière d’agréable dépaysement.

Le « 43/24 » devait sa dénomination à l’esprit un peu original de son propriétaire qui en cherchant un nom avait réalisé que l’ouverture devait avoir lieu le 24ème jour de l’année de ses 43 ans ; cependant, « 43/24 » sonnait mieux que «24/43 », tout simplement.

 

En franchissant l’entrée dans les dix premiers, j’eus tout le loisir d’accéder à une place dans une barque d’où je pouvais observer les alentours et les déplacements des uns et des autres.

         « Bonsoir, bienvenu au « 43/24 » Que vous serait-il agréable de consommer ? »

         Je me retournai, surpris dans ma contemplation du décor par Fleur ; son prénom était inscrit sur un sticker collé à même sa tenue de travail : un paréo fuchsia et blanc, rehaussé d’une orchidée dans ses longs cheveux noirs et lisses qui lui descendaient jusqu’au creux des reins.

«  Un Casablanca ferait bien l’affaire, répondis-je tout en étant persuadé qu’elle me dirait : un quoi ?

- Très bien, c’est comme si c’était fait. »

2 minutes plus tard elle posait sur la tablette un cocktail mousseux d’une jolie teinte rosée, (rhum blanc/jus d’ananas/crème de noix de coco/grenadine/ glace pilée, le tout passé au shaker) surmonté d’une brochette de fruits. Elle l’avait glissé devant moi sans que je me rende compte de son retour ; elle se déplaçait sans bruit, avec des gestes de félin. Seule l’odeur de patchouli dégagée par sa chevelure m’alerta de sa présence et cette fois encore je me détournai de mon observation du lieu. « Vous chercher quelqu’un ? Je peux peut-être vous aider, rares sont les personnes présentes ce soir qui, comme vous-même, sont là pour la première fois. »

Je n’osai pas lui dire qu’en fait elle était certainement celle que je cherchais. Si elle était la seule des serveuses à correspondre à la description d’Alain, elle était censée se nommer Marina Thelemont et non Fleur, détail qu’Alain ne m’avait pas signalé, mais il s’agissait certainement d’un nom de travail. Toutefois, une chose me dérangeait plus encore, je pressentais que quelque chose ne collait pas avec les dires d’Alain.

         Je réalisai que je dévisageais Fleur tout en soliloquant intérieurement alors qu’elle attendait patiemment ma réponse. Il me fallait trouver quelque chose à dire, vite. Je glissai une main dans la poche de ma surchemise comme si je cherchais là l’objet de ma question. Je sortis une poignée de choses diverses et variées : un peu de monnaie, un kleenex, un bout de crayon à papier, et une photo à moitié déchirée, je tenais mon idée ! Fleur regardait avec un sourire amusé l’inventaire du contenu de ma poche. Comme je pris la photo dans ma main alors qu’elle ne la voyait qu’à l’envers, j’affinai mentalement mon discours.

 Alain avait eu une marotte, un violon d’Ingres pendant plusieurs années, il se faisait de l’argent et surtout s’amusait follement en jouant un automate, l’été, en pleine rue…sorte de défouloir. Il faisait ça dans une tenue différente chaque soir, mais rares étaient les épreuves de lui dans ses divers accoutrements. L’après-midi même, avant son coup de fil, je faisais justement le tri dans des papiers et étais tombé sur une belle série de clichés: les maquillages étaient parfaits et l’illusion de l’automate très réussie. Je possédais sans savoir pourquoi deux exemplaires de ce portrait où il apparaissait, ganté, en queue de pie et portant haut de forme, aussi avais-je décidé de me débarrasser de l’une, la déchirant pour la mettre à la poubelle. J’avais emporté vers la cuisine d’autres papiers et photos à jeter et avait perdu en route ce morceau que je tenais à présent devant Fleur. L’ayant ramassé durant mon retour vers le salon, le téléphone avait sonné et il était allé rejoindre les objets hétéroclites qui encombraient déjà mes poches.

         Fleur ne pouvait voir qu’un bout de chapeau d’où dépassait une fausse chevelure, l’esquisse d’un sourire « mécanique » et une main gantée…

          « Voilà, c’est un peu compliqué à expliquer, dis-je. Vous voyez cette photo ? Je sais, il manque le principal, mais c’est tout ce que je possède, en fait, je cherche cet homme, nous faisions du théâtre ensemble… »

                   Elle examina attentivement la photo, fronça les sourcils, soutint mon regard avec un immense sourire, sans ciller.

         « Je vais prévenir le boss que je prends une pause. Je reviens. »

         Elle revint et s’installa en face de moi. Son regard ne se dérobait pas et cela avait quelque chose d’embarrassant.

         « Écoutez, si c’est Alain qui vous envoie, ne vous fatiguez pas. Repartez chez vous, c’est peine perdue, je ne reviendrai pas. Je parie qu’il ne vous a même pas dit que nous avions rompu, je me trompe ? 

- Et bien, c’est à dire…mais comment avez-vous deviné ?

- Vous êtes la troisième personne qu’Alain pousse jusqu’ici. Et puis j’ai déjà aperçu cette photo. Entière. C’était une de mes préférées dans la galerie des automates d’Alain. C’est un copain à vous ? »

         En mon for intérieur je me doutais bien qu’Alain m’avait menti, je décidai d’en apprendre plus et pour cela de jouer la carte de la franchise. Mon cher et tendre petit frère était loin de m’avoir tout dit, c’était de plus en plus évident.

         « En fait, Alain est mon frère. Mon petit frère. »

         J’étais cette fois parvenu à surprendre Fleur. Elle me dévisagea, d’abord incrédule.

         « Si c’est bien votre frère, vous devez faire quelque chose pour lui. Je crois qu’il a un gros problème.

- Mais encore..?

- Au début de notre liaison, il venait ici tous les soirs. Je trouvais ça plutôt gentil, touchant presque. Comme vous aujourd’hui, sa place de prédilection était cette barque ; je reconnais que c’est de là qu’on a la meilleure vue d’ensemble. Il avait fini par se faire quelques amis, des habitués, surtout parmi les célibataires. Je le voyais discuter à droite et à gauche, je leur servais à boire. Et puis il s’est mis à n’accepter la présence que d’une seule personne, un homme assez jeune, dégingandé et bizarre mais suffisamment bien de sa personne pour se faire accepter à l'entrée, bien qu'il valait mieux ne pas l’entendre parler ! Bref, ils ne se quittaient plus. Parfois, alors que je les observais discrètement en servant d’autres clients, je les apercevais échanger je ne sais quoi qu’Alain enfouissait rapidement dans une de ses poches. J’eus peur d’une histoire de drogue mais je n’osais aborder le sujet avec Alain. Il n’y avait pourtant rien dans son attitude qui laissait présager qu’il se droguait. J’étais partagée entre l’idée d’être folle à lier et le pressentiment qu’il se tramait quelque chose. Je savais également que si le boss découvrait quoi que ce soit d’un tel manège, il jetterait dehors Alain, son acolyte, sans oublier ma petite personne, puisqu’il savait les relations qui étaient les miennes avec lui. J’avais perdu mon sourire, troublée comme je l’étais dans mon dilemme, j’étais devenue apathique. Un soir nous venions de fermer, Alain n’était pas venu, ce qui arrivait désormais de plus en plus souvent, Marc, mon boss, me tança, me suggérant de retrouver mes esprits rapidement si je ne voulais pas me retrouver au chômage. Je décidai alors d’essayer d’en savoir plus. J’ai oublié de vous dire qu’Alain, jaloux de nature, se laissait emporter de plus en plus fréquemment. J’étais lasse de ses scènes répétées et comptais enfin prendre le taureau par les cornes. »

 Fleur s’arrêta un instant, et d’un geste désinvolte entreprit de boire quelques gorgées de mon cocktail avant de reprendre :

« Je n’avais jamais fouillé jusqu’à lors dans les affaires de quiconque, mais un après-midi, j’entrepris la perquisition des effets personnels d’Alain. Je ne trouvai rien de particulier. Le soir même, sachant qu’il ne viendrait pas au « 43/24 », j’appelai Marc et lui dis de ne pas compter sur moi. Je partis comme d’habitude et attendis au café du coin. Alain sortit peu de temps après et je le suivis. Il retrouva le dégingandé de service et une fois encore, je fus témoin d’un échange, certes moins discret qu’au « 43/24 ». Alain glissa cette fois l’objet dans la poche de sa veste. Il fit un tour à pied et rentra à l’appartement. Prétextant un mal de tête insupportable m’ayant fait quitter le boulot, je le rejoignis au moment où il ouvrait la porte. Impossible pour lui de récupérer quelque chose dans sa veste sans que je m’en aperçoive. D’ailleurs il la quitta et la pendit dans la chambre, où je m’empressai de me rendre pour m’allonger. Comme il était encore tôt, Alain resta au salon pour regarder un film. Je fouillai alors sa poche, elle ne recelait qu’une chose : un petit sachet transparent contenant une infime mèche de cheveux. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? En regardant dans l’autre poche, je découvris 2 autres sachets au contenu identique, sauf que les cheveux n’appartenaient visiblement pas aux mêmes personnes. Une nausée m’envahis et je pris peur. Je tentai de contenir mon imagination qui divaguait en tout sens sur des scénarios affolants. Je rompis avec Alain le lendemain, sans savoir de quoi il s’agissait. Je vous avoue que j’ai eu très peur, surtout quand le dégingandé s’est pointé ici. Puis il y a eu quelqu’un d’autre, pas très discret, et ce soir, vous. Si vous avez une explication à me donner…Bien sûr cela ne changera rien, je ne retournerai pas avec Alain, tout ça, quoi que ce soit, me fiche une trouille bleue ! »

         Elle s’arrêta, me regarda et finit mon verre d’une traite. Je ne comprenais rien. Que faisait mon frère avec ces cheveux ? A qui appartenaient-ils ? Si le dégingandé était son fournisseur, que lui donnait-il en échange ? Et pourquoi ?

Devant mon mutisme, Fleur m’annonça qu’il fallait qu’elle reprenne son travail, je la laissai repartir non sans lui avoir commandé un autre cocktail. Elle regarda mon verre vide, se mit à rire : « Je vous dois des excuses je crois ; je vous apporte un  autre Casablanca immédiatement. » 

         J’eus l’opportunité de discuter de nouveau avec Fleur à deux reprises au cours de le soirée. Puis je pris le chemin de mon chez moi. J’y retrouvai mon atmosphère paisible, bien loin de cette aventure abracadabrantesque. Sachant que mon esprit torturé éloignerait le sommeil dont j’avais besoin, je me rendis dans la salle de bain pour prendre deux somnifères que je gardai en main en me rendant dans la cuisine pour les avaler avec un peu de lait. Peut-être serait-il plus raisonnable de n’en prendre qu’un en fin de compte, sinon je risquais d’être ensuqué une bonne partie de la matinée. Le deuxième cachet rejoignit ma poche.

Le lendemain, après une journée de travail assez chargée, je me rendis directement chez Alain. Notre première rencontre depuis huit mois…

Je le trouvais un peu nerveux mais il avait l’air sincèrement content de me voir.

Il parla le premier : « J’ai oublié de te dire qu’au « 43/24 », Marina travaille sous le pseudonyme de Fleur.     - Ah. » fis-je simplement.

Je ne comptais pas lui raconter ma visite au « 43/24 » ; je voulais tenter de le faire parler. Ce fut peine perdue et je repartis bredouille, déduisant de ses dires qu’il était amoureux fou de Marina et qu’il ne supporterait pas de la perdre. J’attendis le soir dans le petit café en bas de chez lui et le suivit lorsqu’il sortit à la rencontre du dégingandé. Marina/Fleur avait dit vrai. En revanche, je vis nettement qu’en échange de ce que je supposai être une autre mèche, Alain remettait un billet de 20 € à son fournisseur. Cela ne résolvait rien bien sûr, mais je fus néanmoins soulagé qu’aucune histoire de drogue entre en ligne de compte. 

Le lendemain matin je ne me rendis pas tout de suite au travail et me dirigeai chez Alain, le sachant parti pour son propre bureau. En prouvant mon identité à la gardienne de son immeuble et jouant du charme que je savais posséder sur les personnes d’âge mûr, je réussis à obtenir la clé d’Alain sous prétexte d’une surprise d’anniversaire…je lui arrachai bien évidemment la promesse de ne pas vendre la mèche, si je puis dire.

En faisant le tour des poches d’Alain, je ne dénombrai pas moins de 7 petits sachets de cheveux. J’allai ensuite fouiner au salon, un petit coffret ayant appartenu à notre grand-père était posé sur une étagère. Il était fermé à clé mais l’ouverture ancienne céda facilement sous la pression de mes doigts. La première chose qui me troubla fut l’effluve de patchouli, déjà remarquée l’avant veille au « 43/24 ». Puis je sortis un à un les 12 autres sachets, tous enveloppant une mèche différente. Décidément ! Mais ces cheveux-là avaient tous été sciemment parfumés de l’odeur de Marina. Nul besoin d’être excellent détective pour deviner que le lien était là. Je me laissai tomber sur le canapé pour réfléchir et feuilletai machinalement les papiers posés à côté du téléphone quand la sonnerie de ce dernier retentit, le répondeur s’enclencha : « Vous êtes bien chez Alain et Marina…puis la voix de l’autre côté : Tu vas être content mon pote, j’ai réussi à avoir ce que tu voulais depuis longtemps. Ceux de Marc soi-même ! Ça a pas été de la tarte, m’enfin tu s’ras content. Donc à ce soir, comme d’hab. Salut ! » Je subodorais que l’appel provenait d’un certain dégingandé. Aussi,

la seule façon de connaître le fin mot de cette histoire était de me rendre à ce rendez-vous à la place de mon frère, en ayant pris soin d’effacer toute trace du message sur le répondeur.

        J’eus un peu de mal à faire parler le dégingandé en question, mais un billet de 50 € lui délia subitement la langue.

« Ecoute mec, j’veux pas d’embrouilles ; j’fais ça pour un peu de fric, j’fais d’mal à personne et pis j’y peux rien si ce monde pourri est plein d’barjots !

- T’auras pas d’embrouilles. Ce ne sont que des cheveux ! Ce que je veux savoir, c’est à qui ils sont et pourquoi Alain les collectionne-t-il ? c’est mon petit frère tu comprends, alors s’il est barje comme tu dis, ça devient un problème de famille, tu piges ?

- OK, OK. Voilà, ben ton frangin y collectionne les cheveux de tous les gens qui approchent la Fleur de son cœur, celle qui bosse au « 43/24 ». Ce qu’il en fait, j’en sais rien. Mais j’pense qu’il est « fétichiste » comme qui dirait, ou quequechose du même genre. En tout cas lui, il osait pas, pis un soir on a parlé en rigolant, devant un verre, et j’ai dit que pour un peu d’fric, je le ferais, moi. J’suis au chômage, et faut bien manger. Mais j’commence à en avoir marre de ce cirque, ça m’amuse plus pis c’est pas toujours facile de couper une mèche à quelqu’un sans qu’y s’en aperçoive, ça prend des heures, parfois des jours pour y arriver. Alors dis à ton frangin que ceux que j’te donne ce soir, c’est ceux de Marc, le proprio du « 43/24 », mais qu’c’est les derniers. D’ac ? »

         J’acquiesçai d’un signe de tête. Il était tout juste 22 heures et je me rendis au « 43/24 ». Cette fois encore je m’installai dans l’une des barques. C’était le soir de congé de Fleur ; tant pis, je reviendrai lui expliquer toute cette étrange histoire une autre fois. Alain était peut-être devenu fou, mais il n’était pas dangereux, seulement très malheureux, probablement. Je décidai même de l’appeler immédiatement pour qu’il vienne me rejoindre et faire le point avec lui.

        

Deux heures plus tard, je lui avais raconté ce que je savais et il me confirma son aventure en pleurant, oui il aimait toujours Marina mais ne voyait pas où était le bizarre de vouloir conserver par-devers lui une parcelle de tous ces gens qui l’approchaient. J’essayai de le convaincre tout de même du grotesque de la situation, lui expliquant que les gens amoureux n’agissaient pas tous ainsi et que c’était heureux car si nous devions voler une mèche de cheveux à toutes les personnes que nous côtoyions…mais ce trait d’humour ne l’ébranla ni ne le consola. Il se moucha, but son verre et je crus un bref instant qu’il allait mieux.

Il sortit une enveloppe kraft de sa poche, me la tendit. Elle était vide, je levai vers lui un regard intrigué. « Donne-moi la mèche de Marc, glisse-la dans cette enveloppe, je t’en prie! » me supplia-t-il. Je fouillai mes poches, ne sachant si j’avais mis cette fameuse mèche dans mon jean ou dans ma surchemise, sortant tout ce que je possédais. Alain attendait, stoïque. Devant l’inventaire qui s’étalait devant moi, je décidai de ne rien garder de ce conte à dormir debout. Je glissai alors dans l’enveloppe : le morceau de journal où j’avais entouré M-T (pour Marina Thelemont) « 43/24 » ; le sachet contenant la mèche de cheveux de Marc, le morceau du cliché d’Alain, le deuxième somnifère non ingéré par mes soins lorsque j’avais rencontré Fleur et commencé à soupçonner que cette histoire était tordue. J’allais refermer l’enveloppe quand je me penchai, et de mon bras pendant hors de la barque, je ramassai une petite pincée de sable que j’ajoutai au reste. Je regardai de nouveau l’intérieur de l’enveloppe, d’assez près pour m’apercevoir qu’elle sentait le patchouli. Pauvre Alain ! Je me levai pour partir et le fixai comme on considérerait un condamné, encore incrédule d’une telle obsession. Je lui lançai l’enveloppe, visai mal et elle atterrit sur le sol de la barque ; je dis : «Une enveloppe dans une barque…tu vois, son contenu est le résumé de ton «affaire», comme tu l’as si bien nommée le 1er jour. Laisse tomber Alain ; ne reviens pas ici et laisse Fleur tranquille. C’est mieux pour elle et pour toi. Change-toi les idées. » Sachant que je ne l’avais pas convaincu, je lui suggérai de se faire aider par un professionnel ; il en avait grand besoin, pensais-je.

Je partis, le laissant alors qu’il haussait les épaules.

          

L’amour peut rendre fou. C’en était là un parfait exemple et ce constat me peinait.

Alors que je passais machinalement ma main sur ma nuque, je me rendis compte que mes cheveux avaient bien poussé. Je décidai de me rendre chez le coiffeur dès le lendemain matin pour faire couper ces boucles, ça devait commencer à faire négligé et puis, j’avais moi aussi approché Fleur…

 

 

 

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