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Un,deux, trois, coucou

                                                                                                                     par Claude Mounier

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Lucie

Lucie sentait que le temps de l’insouciance, des hésitations et des remises au lendemain commençait à se réduire. De menus signes le lui rappelaient tous les jours. C’était une minuscule ride supplémentaire au coin des yeux, un relâchement imperceptible de son sourire, une récupération plus lente après une nuit blanche. Quand la beauté est son seul capital, on la surveille de près et on se doit de la faire fructifier. Elle sentait donc que le temps était venu de s’installer.

Lucie n’avait aucune envie de s’investir dans autre chose qu’une vie sociale réussie. Les petits matins laborieux au service d’une hypothétique carrière ne la tentaient pas le moins du monde, pas plus que la vie rangée d’une épouse et mère. Elle préférait les efforts consentis au service de son apparence, et ils étaient nombreux, parce qu’elle seule décidait de leur fréquence, de leur intensité et de leur utilité.

Il lui fallait donc trouver l’oiseau rare, le mari idéal qui lui assurerait une vie avec voyages, réceptions et position sociale reconnue.

Elle pensait l’avoir trouvé en Marc, futur diplomate au carnet d’adresses bien rempli, bien introduit dans les milieux mondains, de l’ambition pour deux mais ayant conservé un bon capital de fantaisie. Cela faisait maintenant trois ans qu’ils avaient mis en commun leur égoïsme. Lucie y avait trouvé la sécurité qui lui était nécessaire et avait conscience de remplir sa part de marché en lui assurant en toutes occasions une compagnie qui ne déparait pas dans les soirées les plus diverses, avec suffisamment de conversation pour ne pas être regardée avec commisération, assez de doigté pour être toujours et partout la bienvenue.

Cela n’empêchait nullement Lucie d’avoir de temps à autre de brèves liaisons plus passionnées, mais elle y apportait toute la discrétion requise pour ne pas mettre en péril sa relation avec Marc et attendre une demande en mariage qu’elle pressentait proche.

 Or il advint que Lucie, pendant plusieurs semaines, se mit à s’arrondir. Rien de catastrophique, mais Lucie fit aussitôt le nécessaire pour que ces rondeurs ne s’installent pas. A coup de restrictions et d’exercices plus poussés qu’à l’ordinaire, elle arriva à freiner le processus mais non à l’inverser. Au bout de quatre mois, elle consulta et appris qu’elle était enceinte et que c‘était le fameux 0,1 pour cent d’échec de la pilule. Le délai dépassé et un reste de culture catholique plus ancré qu’elle ne le soupçonnait lui interdirent toute intervention.

 

Marc 

Quand Marc apprit que Lucie était enceinte, il eut l’impression d’être pris dans un tremblement de terre et de ne plus rien contrôler. Il était sur le point de proposer le mariage à Lucie qui représentait tout ce qu’il demandait à sa femme, présentant bien, capable de l’épauler dans sa carrière en assurant le côté mondain. Il savait qu’elle se permettait de temps à autre quelques entorses au contrat tacite qui les liait, mais cela ne le perturbait en rien et lui donnait bonne conscience pour ses propres dérapages.

Mais voilà, il n’avait pas prévu d’avoir à traîner avec lui un enfant dans les postes qu’il serait bientôt amené à accepter et il n’en avait nulle envie, n’ayant pas la fibre paternelle très développée.

Aussi, quand la nouvelle tomba, son premier réflexe fut le sauve qui peut. Il se contrôla vite, n’ayant pas envie d’écorner son image d’homme du monde qui sait se comporter avec élégance dans toutes les situations. Il comprit vite que la solution ne viendrait pas de Lucie qui à coup de petits soupirs et de tendres regards feignait un attachement bien plus profond qu’il ne l’était. L’inexorable poussée du ventre rendait de plus en plus dangereux tout atermoiement. Bientôt, il n’aurait pas d’autre choix que le mariage.

C’est alors qu’il se confia, dans un moment de faiblesse favorisé par les abus de la soirée, à une de ses multiples relations mondaines. Contre toute attente, Lu Yng sembla compatir à ses ennuis et ne chercha pas à se défiler poliment face à cette plainte d’enfant gâté qui n’avait aucune envie d’assumer ses responsabilités. Il prit même la peine de le contacter quelques jours plus tard et lui soumit une idée saugrenue qui séduisit un Marc qui se sentait de plus en plus acculé.

  

Lucien

 A cause d’une éducation stricte, pour une bonne part passée dans un pensionnat anglais très chic et très rigide, Lucien avait un sens aigu des convenances. Il ne prenait pas à la légère les obligations qu’il pensait être les siennes de par sa naissance (il était comte de Plérignac, douzième du nom, sans biens autres que sa particule qui ne lui était d’aucune utilité pour les travaux à effectuer sur la toiture de son château). Sa seule espérance, pécuniairement parlant, était une vieille tante qui le tenait en haleine avec forces promesses d’héritage et en profitait pour l’utiliser comme homme de compagnie chaque fois qu’elle le pouvait. Elle avait mis comme condition l’arrivée d’un héritier pour débloquer par donation une partie de son héritage.

Mais voilà, Lucien n’avait aucune attirance pour les femmes et ne se sentait pas de faire les efforts nécessaires pour en conquérir une. Certes il avait à plusieurs reprises eu des aventures féminines avant de s’avouer définitivement son homosexualité, mais cela faisait longtemps qu’il se contentait de discrètes relations loin de Plérignac.

Aussi, quand Lu Yng lui présenta la possibilité de trouver une femme et qui plus est un héritier sans effort ou presque à fournir, il comprit vite que cette opportunité ne se présenterait pas de sitôt. Ses quelques scrupules moraux furent vite levés par Lu Yng qui lui expliqua qu’il ferait dans la foulée une bonne action en donnant à cet enfant, qui était somme toute un bâtard, un nom et pas des moindres.

Il se mit donc à faire une cour pressante à Lucie, toute en petites attentions touchantes, faisant miroiter à chaque occasion le prestige de son nom et de sa position sociale, discrètement encouragé par Marc qui, dûment averti par Lu Yng, laissait le champ libre chaque fois que nécessaire. De son côté, Lucie, tout d’abord interloquée, comprit que Marc était en train de se défiler et que c’était là peut-être une solution honorable et même avantageuse. Elle se laissa donc approcher et finit par dire le oui qui était si ardemment attendu par Marc et Lucien. Marc fit un versement plus que conséquent à Lucien, se disant qu’à défaut de l’élever, il pouvait bien faire cela pour son fils.

  

Épilogue.

Reconnaissant, Marc envoya une lettre de remerciements à Lu Yng dans laquelle il lui demandait néanmoins de cesser toute relation. Lu Yng ne s’offusqua pas, sourit et rangea la lettre dans son secrétaire.

A la maternité de Plérignac, quelques temps après, un magnifique garçon naquit en braillant, plissant autant qu’il le pouvait ses yeux bridés.

La vieille tante refusa de reconnaître comme un descendant acceptable ce rejeton surprenant et refusa en conséquence toute contribution financière à son neveu, lequel divorça dans la foulée non sans garder le versement de Marc. Quant à Lucie, elle se confectionna sur mesure une histoire de pauvre fille trop confiante, mit le gamin en nourrice et réussit à se faire épouser par un gros viticulteur qui avait quelques ambitions locales.

Vingt ans après, l’enfant hérita du premier mari de sa mère et de Lu Yng qui périt dans l’incendie de sa maison.

 

Lire du même auteur : "Secret de famille" 3ème prix 2004

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