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En sursis

                                                                                     par Géraldine Gauzelin-Ors

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C’était une belle matinée de printemps… enfin, soyons réalistes, cela faisait des mois que matinée signifiait après midi. En effet, entre l’heure tardive à laquelle je me couchais tous les soirs… plutôt tous les matins en fait, sous l’emprise de je ne sais quelle nouvelle drogue salvatrice, les vapeurs d’alcool à peine dissipées et le compagnon d’une fin de soirée fraîchement abandonné. J’aimais profiter de la quiétude matinale pour me retrouver, avant que le monde s’éveille et que les démons ne recommencent à me hanter. J’avais entamé cette vie de noctambule pour oublier et puis un jour, j’avais fini par oublier pourquoi je le faisais. Un automatisme… c’était devenu une habitude, une manie. Je me noyais chaque soir dans la foule, l’alcool, et les stupéfiants. Toutefois, j’étais parvenue à mes fins. En effet, je m’étais échappée de ma vie d’avant. D’ailleurs, j’avais tellement réussi que je ne savais même plus à quoi ressemblait ma vie avant. Juste quelques bribes résistaient désespérément à la lobotomisation et l’autodestruction volontaire. Métro, boulot, dodo… Solitude extrême et aliénante. Terrible vide que je m’étais mise à compenser par le nombre de conquêtes masculines d’un soir. Tous plus beaux les uns que les autres, tous plus futiles, tous plus objets… quel gâchis… presque plus aucun plaisir procuré… tellement de lassitude m’avait gagnée… plus encore : conquise. Tout était devenu une drogue, mon corps n’était plus qu’un vaste tube de dépendance… anti-douleurs… antidépresseurs… anti… moi ! Je ne me rappelais même plus combien s’était écoulé depuis le début de cette interminable déchéance. Bien sûr, il me fallait vivre, je m’occupais donc de petits travaux d’écriture et de critique. Je travaillais chez moi et ça payait les factures donc cela suffisait amplement. Cet après midi –là, disais-je donc, je m’étais attablée à la terrasse de mon café préféré, histoire de me réveiller tranquillement ; Je dégustais mon grand café noir dans une tasse verte et jaune : beaucoup de trop de couleurs pour mes yeux à peine ouverts. Sur ma droite, j’avais disposé les deux romans dont je devais faire la critique pour «avant-hier» selon le rédacteur en chef qui m’avait réveillée beaucoup trop tôt ce matin, et les deux manuscrits que je devais corriger pour la fin de la semaine. D’un rasoir ces manuscrits… J’avais l’impression que le clonage ne se cantonnait pas aux êtres vivants… à notre époque, tout le monde éprouvait le besoin de se libérer des si lourds secrets qu’il portait depuis tant d’années… surtout les gens médiatisés d’ailleurs ! C’est fou ce qu’il peut arriver comme drames aux personnalités du petit écran quand même ! Je me plongeais finalement dans l’un des deux romans, sans grande conviction.

Pas tout à fait émergée de mon coma, je ne tardai pas à l’être en sentant le café brûlant dégouliner le long de ma joue descendant jusqu’au plus bas de mon cou, pigmentant ma peau de rouge vif. Mon sursaut fut tellement violent que j’en renversai moi-même mon café sur mon gagne-pain ! La journée commençait bien ! Je me dressai furieuse et me retournai pour faire face à l’idiote maladroite qui m’avait ébouillantée. Je fulminai et m’apprêtai à la réduire en miette, de rage d’être dérangée dans mon petit monde en papier mâché préfabriqué. Elle dû voir les flammes dans mes yeux et mon sang bouillonnant dans mes veines, car elle s’arrêta net dans une profusion d’excuses. Elle était désolée, confuse, maladroite, gênée… superbe. Mon visage ne pu que s’adoucir face à une telle rayonnance… Je ne pourrais pas dire ce qui m’avait touchée, elle me remplissait de chaleur. Elle me proposa un café pour se faire pardonner… j’en avais ma claque des cafés, mais que n’aurais-je pas fait pour percevoir la chaleur de sa présence quelques secondes de plus. D’autres cafés succédèrent à celui-ci. Je n’arrivais même pas à saisir nos sujets de conversation… on parlait de tout, de rien, mais surtout de nos vies… chaotiques, torturées, mais toujours entières. Je mentais un peu… beaucoup… je ne pouvais pas lui projeter l’image réelle de ma déchéance … j’avais trop peur qu’elle s’en aille. Des verres remplis de substances multiples remplacèrent les cafés, puis les dîners aux cocktails, puis des journées et des soirées entières au dîner. Je pourrais dire que nous devenions amies mais ce n’était pas le cas. J’accordais bien trop d’importance à l’odeur de ses cheveux, la douceur de sa peau lors de nos rares, trop rares frôlements, la brillance de ses yeux, la chaleur de son sourire… Elle était ma nouvelle drogue… D’ailleurs, elle avait remplacé toutes les autres… Mais le manque était terrible… je me sentais une lionne dans une cage de cirque quand elle n’était pas là… J’avais un nouveau job à plein temps : l’attendre. J’attendais qu’elle m’appelle, j’attendais qu’elle accepte de me voir, j’attendais qu’elle arrive… Mais tout n’était pas négatif dans cette interminable attente. En effet, depuis que je ne collectionnais ni les hommes, ni les échappatoires, j’avais plus de temps pour mon travail. J’observais toutefois d’énormes... que dis-je… de colossaux problèmes de concentration. Je travaillais plus… et mieux, j’avais même entamé l’écriture d’une chose qui pouvait être un éventuel premier roman.

Tout a basculé un soir où j’en avais plus qu’assez d’attendre. On avait dîné chez moi… bu quelques coupes d’un délicieux champagne que j’avais perdu dans ma cave, soi-disant «réservé pour une occasion spéciale». Mais avec elle, chaque instant était spécial, chaque seconde était extraordinaire. Je rêvais d’être son pull en cachemire pour caresser délicatement ses épaules, je rêvais d’être la bague qu’elle tripotait inlassablement de ses doigts fins et précis. Et puis, j’ai arrêté de rêver pour me jeter à l’eau. Je n’en pouvais plus de refouler tous ces sentiments qui débordaient de mon cœur. L’avantage quand l’on n’a rien, c’est que l’on n’a rien à perdre… j’avais glissé ma main dans sa courte chevelure brune et mes lèvres s’étaient risquées à déraper sur les siennes… finement… délicatement… pour ne pas froisser sa perfection. Je ne m’étais posée aucune question de sexualité, j’avais toujours été relativement ouverte d’esprit sur le sujet. Et puis, ce n’est jamais plus qu’un être humain qui éprouve de l’amour pour un autre. Ca ne m’a jamais posé de problème métaphysique.

C’était risqué… si ce n’était pas réciproque, je pouvais la perdre pour de bon. Mais il n’y a que celui qui ne fait qui ne commet pas d’erreur. Je ne savais pas qu’elle était la plus surprise des deux : elle parce qu’elle ne s’y attendait pas ou moi parce qu’elle ne refusa pas. J’avais pourtant imaginé qu’elle se déroberait, troublée, mais au lieu de ça, elle me rendit tendrement mon baiser. Le lendemain matin, en me réveillant à ses côtés, j’avais peur qu’un fois les bulles de champagne dissipées, elle ne revienne à la réalité et m’envoie gentiment balader avec un «c’était une expérience sympa» ou bien un «ce qui s’est passé doit rester exceptionnel» ! Je n’osais même pas bouger de peur de rompre le charme. Je voulais encore baigner dans ce doux rêve, sa peau entre mes doigts, son corps si chaud accolé au mien. J’aurais vendu dix fois mon âme au Diable pour pouvoir la garder près de moi, mais je savais bien que ce n’était pas possible. Mais j’avais besoin de me mentir… encore un peu… juste quelques minutes pour m’imprégner d’elle et la garder en moi jusqu’à la fin des temps.

Quand elle ouvrit les yeux et qu’elle s’étira avec cette délicatesse qui lui était propre, je compris que je n’étais pas au bout de mes surprises. Pour elle, tout était si naturel… Ce n’était pas une conquête de plus, ni une expérience faite un soir, mais juste un pas en avant. Depuis ce jour là, j’ai commencé à l’aimer plus qu’à l’attendre. Finalement, je me disais que l’on avait tous droit à un coin de ciel bleu. Après tout, l’amour n’était pas si compliqué… surtout avec elle. Nos journées étaient faites de complicité et d’éclats de rire, nos nuits de tendresse et de sensualité. Tout était naturel… d’une simplicité sans équivoque. Elle était chaque jour plus belle dans tout ce qu’elle faisait et moi je ne cessais de m’en délecter et de l’admirer. Elle m’apportait toutes ces infimes choses qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. Tout était parfait.

Mais j’avais commencé à m’inquiéter de des douleurs qui me gagnaient de plus en plus violemment.

Après une heure et demie en salle d’attente, en prises de sang, échographies et examens sanguins, j’ai relativement bien pris la mauvaise nouvelle… Je n’ai pas pleuré en tout cas… J’étais vide... Tout s’écroulait ! Pourquoi ?... C’était la question qui raisonnait sans cesse dans ma tête. Mon cerveau en était ravagé ! La souffrance allait grandir et puis les traitements soi disant miracles, les hospitalisations de plus en plus fréquentes et rapprochées, l’approche à grands pas de la fin… c’était trop dur… C’était déjà insoutenable pour moi alors pourquoi lui faire subir ça à elle… la personne que j’aimais le plus au monde… Je ne voulais qu’elle me voie comme ça, comme j’avais menti sur ma propre déchéance quelques mois auparavant. Je ne supporterais pas qu’elle m’assiste dans ma descente aux enfers, qu’elle souffre pour la rendre moins douloureuse pour moi ! C’était exactement pour ces raisons que je disparu de sa vie sans donner d’explication. Aucun traitement, même le plus lourd, ne fut aussi difficile à supporter que cette déchirure, cette plaie béante au cœur qui ne cicatriserait jamais.

J’ai toujours été convaincue du bien fondé de ma décision, du fait de ne plus avoir de contact avec la seule chose de bien qui me soit arrivée dans ma vie. Je ne la remercierai jamais assez d’avoir illuminé ma vie, j’étais dans une telle impasse que je n’y croyais plus…C’était sans doute mieux ainsi…

Toutefois, j’ai un regret… un seul et unique, qui me torture encore et encore alors que la fin est proche. Triste et sombre souvenir qui me suivra toute ma vie, aussi courte soit elle, de penser qu’elle ait vécu avec l’idée que l’amour de sa vie ne l’aimait pas.

 

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