- A mon commandement. En avant marche. Gauche droite, Gauche droite, demi
tour, droite.
« - Gauche droite. Gauche droite, ne pas fléchir, ne pas regarder ses pieds, juste
se concentrer. Gauche droite, regarder droit devant, fixer son regard sur l'oreille
du type devant. Gauche droite. Seigneur faites que je ne me trompe pas. Gauche droite. Bon ça devrait aller, j'ai le rythme. »
- Demi tour, halte, repos.
- Sergent Dubois !
- Oui, mon Capitaine !
- Vous êtes retenu pour le défilé du 14 juillet, sur les Champs Elysées.
- Pour le défilé...
- Pas de discussion Sergent Dubois, rompez.
- A vos ordres chef.
Maxime Dubois, le cœur prêt à exploser regagne sa
chambrée et s'allonge sur son lit. C'est le plus beau jour de sa vie. C'est
pour ça qu'il s'est engagé dans l'armée, pas n'importe laquelle,
Un jour, adolescent en colonies de vacances à Caivi il vit un défilé de légionnaires, il fut fasciné par les manches retroussées sur les bras musclés, dorés par le soleil d'Afrique. A cet instant, il sut qu'il serait légionnaire.
La musique de «Tiens voilà du boudin ...», hanta ses nuits, alors qu'il la chantonnait le jour pour rythmer ses pas. Les paroles faisaient hurler de rire ses petites sœurs, qui le chantaient à tue tête au lieu de s'appliquer à marcher au pas, agitant des balais à franges en guise de fusils, pourtant il n'existe pas de meilleure façon de marcher.
Le défilé du 14 juillet. Devant le président de la république. Sergent depuis six mois. Il sera dans les premiers rangs, dans son uniforme de parade.
13 juillet, caserne Dupleix, Paris.
Maxime Dubois se regarde dans la
glace et redresse les épaules, relève le menton, serre les dents pour avoir la
mâchoire carrée, fronce les sourcils pour assombrir son regard. Bon,
j'ai l'air d'un dur. Lentement, il salue, puis rabat son bras en claquant
les talons. Il adore ce geste qui symbolise tout ce qu'il aime, l'ordre, la
discipline, la virilité. Il est l'honneur de
Il vide son paquetage, puis d'une poche dissimulée il
extrait un morceau de papier cartonné. Petit sourire en coin, il fait un clin
d'œil à une photo déchirée. C'est une photo de lui, il n'y a pas si
longtemps, avant
mois.
Pourtant, à l'aube, alors que la caserne cuvait, il fouilla dans la poubelle du
mess, récupéra ce seul morceau de lui et le conserva soigneusement dans son
portefeuille. C'était une époque peu glorieuse pour un serviteur de
Une dernière vérification de son uniforme soigneusement protégé par une housse en plastique.Le képi, ne pas mettre les doigts sur la visière, ça laisse des marques. Il s'entraîne à le mettre sans miroir, Pas trop enfoncé pour ne pas décoller les oreilles, la visière au ras des sourcils.
Les plis du pantalon sont parfaits. Ne pas s'asseoir pour ne pas faire des plis aux genoux et à l'entrejambe.
Il enfile la veste, suffisamment cintrée pour marquer le triangle du torse, il ferme les boutons avec des gants pour ne pas les ternir, puis les astique encore une fois pour qu'ils brillent. Il contracte les abdos et les fesses pour qu'elle tombe parfaitement. A ses débuts, il flottait un peu dans son uniforme, ses épaules et son torse n'étaient pas aussi développés, mais les exercices, la bière, l'ennui, la solitude se sont chargés de l'envelopper.
Il regarde admiratif ses galons neufs.
La fourragère fixée à l'épaule passe sous le bras sans tortillons, le petit sifflet de métal brille tellement il l'a astiqué. Il donne un petit coup de brosse sur les épaulettes et les franges.
Il se déshabille et range sous la housse son uniforme de parade, il prépare une paire de chaussettes et un slip propre, et pose dessus ses gants blancs laissés sous plastique pour garder la pureté du blanc.
Il s'est rendu chez le coiffeur
ce matin : nuque, pattes, oreilles bien dégagées. Nul ne sait aujourd'hui la
couleur de ses cheveux tant ils sont ras mais, secrètement, il a conservé une
mèche dans un petit sachet qui auparavant contenait des roudoudous. Une mèche
assez longue. C'était avant. Avant
Nouvel essai du képi, nouveau salut, c'est parfait. Il le remet sous sa housse et le range dans son casier.
Le fusil astiqué encore une fois, sans toucher de ses doigts le métal, est posé contre le mur.
Dernière touche avant la parade : le cirage de ses brodequins. Lorsqu'il met sa main à l'intérieur, il sent du sable. La dernière fois qu'il les a portées, c'était pour une parade à Abù Hamad, petite ville au cœur du désert de Nubie. Il y avait une tempête de sable ce jour là. Il renverse ses
chaussures et collecte dans sa main le sable blanc qui file entre ses doigts. Il croit encore sentir la brûlure de ce sable si fin qu'il s'infiltre partout. Il en a même mangé. Il met des lacets neufs, c'est plus sur, et range les brodequins au pied de son lit.
Dubois vit les dernières heures agitées. Des rêves étranges bousculent son sommeil. Des pots de fleurs colorées défilent en rangs serrés sur les grands boulevards, sous l'œil rigolard des vendeuses des grands magasins. Un cortège de grenouilles courent en claquant leurs palmes. Des bulles multicolores s'échappent de leurs tubas. Des chars sont conduits par des poupées Barbie qui saluent gracieusement la foule. Une armée de majorettes ferme le défilé. Dubois interrompt son rêve par un réveil pâteux digne de ses plus belles gueules de bois. Pourtant, hier soir au mess, il a limité la quantité habituelle de canettes de bière.
4h30. Une douche, vite. A l'eau froide. Ça éveille l'esprit, raffermit les chairs et empêche toute image équivoque.
Il s'habille et place un petit galet blanc dans la poche près du cœur, il vérifie que son porte bonheur est invisible, qu'il ne déforme pas sa poche. Ce petit caillou l'émeut encore malgré le temps. Il se souvient de cette nuit sur une immense plage du golfe d'Aden. On apercevait au loin les lumières de Djibouti. L'adolescent indien. Adonis au regard de braise lui a offert en gage d'amour. Il ne s'est plus jamais séparé du petit caillou blanc, son unique trésor.
Il se regarde dans le miroir, vérifie qu'aucun poil disgracieux ne siège sur sa nuque. Il met son livret militaire dans sa poche revolver, un coin d'une coupure de journal presque invisible dépasse discrètement.
7 heures du matin. Des centaines d'hommes en uniforme piétinent au pied de l'Arc de triomphe.
Le XVème corps de fantassins de
9h00, les chars sont partis.
9hl2 un officier beugle : à mon commandement, gaaaarde à vous ! En avant marche !
La fanfare fait envoler un groupe de pigeons qui passent au ras des têtes. Maxime Dubois a senti un petit choc sur son képi mais il est trop concentré pour réfléchir, sa tête est vide.
Dans 20 minutes le XVème corps s'ébrouera.
Dubois bombe le torse, serre les dents, met son fusil sur l'épaule.
9h32, une deux, une deux. Les légionnaires avancent comme un seul homme, le pas lent, au
rythme de la musique. Devant la tribune présidentielle les légionnaires doivent tourner la tête à droite pour saluer le Président. Dubois le cœur emballé par la fierté redresse encore plus sa tête,
le regard au ras de sa visière. Une chose étrange le perturbe au risque de perdre le pas. Il lève un peu plus les yeux.
Le petit toc fait tilt.
Sa visière qu'il a si soigneusement astiquée est opacifiée par quelque chose. Une fiente de pigeon s'étale juste au centre.
Alors Maxime Dubois ne tourne pas la tête à droite mais fait volte face. Il pousse les légionnaires par des coups d'épaule pour remonter le défilé. Rang après rang, le cortège se disloque. Il ne voit pas les regards effrayés et interrogateurs. L'officier, rouge de rage, paniqué, lance des regards aux yeux fous de colère, il n'ose hurler le moindre ordre pour ne pas aggraver la situation. Dubois arrache son képi et le lance en l'air. Il jette son fusil, déboutonne sa veste, desserre le nœud de sa cravate, ouvre le col de sa chemise et saute la barrière. Les spectateurs s'écartent pour le laisser passer.
Dubois dévale les escaliers du métro. Sans se retourner. Il ne verra jamais, la panique de l'ensemble du XVème corps, le colonel qui mange la visière de son képi, le fou rire qui gagne la tribune des officiels, les caméras du monde entier qui filment le désordre et sa fuite.
Comme un automate Dubois s'engouffre dans la 1er0 rame qui ouvre sa gueule. Sans plus réfléchir il cherche sur le plan comment se rendre à Roissy.
Il sort de sa poche revolver son passeport. A l'abri des regards il l'ouvre et sort un petit bout de journal sur lequel est écrit à l'encre rouge M - T 43/24. Au dos un numéro de téléphone. C'était à Djibouti, il y a un an. Dans ce bar d'hommes du monde entier. Il avait bu avec un allemand. Après l'ingurgitation d'une quantité impressionnante de bière locale, la sympathie s'était installée entre eux. L'allemand lui avait alors confié son activité pourtant secrète, «si tu as le moindre problème, rejoins moi », lui avait il dit en lui donnant le petit bout de papier.
Au cœur de l'aérogare Dubois décrocha le combiné du téléphone et composa le numéro. L'interlocuteur décrocha immédiatement. «Je suis à Roissy» dit Dubois. « Je t'attendais » fut la seule réponse avec un fort accent allemand. Meridian Thrill, le méridien du frisson 43° de longitude, 24° de latitude, ad- Dawadimi, à quelques kilomètres du Tropique du Cancer, au cœur de l'Arabie Saoudite.
C'est là que s'entraînent les mercenaires.
1er Prix : Le Talisman 3ème Prix : La bouteille à la mer
4ème Prix : La lettre de Pierrot aux petits mots de Chloé 5ème Prix : Le stérilet de Mattieu