La lettre de Pierrot aux petits mots de Chloé Par Roland Roche 4ème Prix
(lire du même auteur "on s'en paye une bonne tranche de (vie) Monsieur cri²" concours 2004)
« Quand on sera grand, on aura un garçon, même qu’il s’appellera Pierrot le clown »
Ce
matin du 3 janvier le
brouillard est épais quai
de Saône à Collonges aux monts d’or, le hurlement lancinant de la
sirène s’est enfin tût
et il ne reste que le clignotement des gyrophares glauques. Le camion des pompiers est sur le bord
du fleuve à la limite du bord de l’eau et
on entend les ombres qui s’agitent autour de la vieille barque sans couleur.
Une ombre grise, sans doute
le commandant des pompiers demande au pêcheur la tête cachée par sa
parka : « et vous n avez rien vu d’autre ? »
« Heu ! Non il devait être vers les 4 heures, j’ai entendu une bruyante agitation dans l’eau près du pont comme quelqu’un ou une bête qui serait tombé dans l’eau ; un cri ou un grognement plutôt. Deux secondes plus tard j’ai vu passer une enveloppe flottant sur l’eau, que j’ai réussi à attraper avec ma rame, trouvant bizarre de voir cette enveloppe après tout ces bruits ; on aurait dit qu’elle venait d’être jetée ou perdue par quelqu’un tombé à l’eau. Et puis après plus rien ! De toutes les façons on n’y voyait pas à deux mètres alors ... ! Vous pensez que c’est grave Monsieur ? »
« On n'a trouvé personne, pour l’instant » répond le gradé, « mais l’intérieur de l’enveloppe n’était pas encore mouillée.
Quelqu’un venait juste de la jeter ou de tomber à l’eau avec ».
Puis au bout d’un instant : «Y’a pas grand chose dedans» marmonne le commandant en vidant l’enveloppe ; dans sa main : « Deux bouts de papier : une annonce ? Et celui là on dirait une photo déchirée ? … A mieux, une mèche de cheveux blonds ! Je garde ça pour le commissaire, au cas ou ».
Un peu de sable continue de s’écouler de l’enveloppe alors que le commandant la secoue « cela sent un parfum bizarre » pense le commandant , et un petit caillou tout blanc resté au fond tombe sur la vase noire du bord du fleuve.
Sa blancheur reste là, seule dans le noir du sol détrempé et boueux.
Est il certitude d’un quelconque espoir dans ce triste et laid lever de jour blafard ?
2
Attendre,
Trois Janvier, deux heures du matin à ma montre.
Il doit faire zéro degré ; la fraîcheur de la Saône remonte dans mon dos et me glace, le banc vermoulu commence à être mouillé par la bruine persistante qui tombe lentement .Depuis une heure que je marche j’en ai eu assez et me suis assis un peu.
Je remonte le col de ma parka, rentre ma tête pour éviter le froid et l’humidité. Je mets mes mains au plus profond de mes poches. Tiens ce papier ; à oui l’annonce et le code d entrée !
Tout à l’heure j'ai récupéré ce trop petit appartement gris ; Mais bon, je ne serai pas trop mal ici ; Assez près de Lyon, au bord de l’eau, vue sur Saône ? En levant les pieds pour regarder par-dessus les toits ! Le coin doit être sympa l’été et de toute façon c’est provisoire, pourvu que ce soit assez grand pour moi et Chloé dans un premier temps. On verra plus tard.
Et toi Chloé que fait tu ? J'ai dû te laisser tout à l’heure, j'avais trop envie de te garder encore un peu et tu aurais bien voulu rester encore toi aussi, mais tu as été raisonnable pour nous quand tu m’as dit très sérieusement « On va s’habituer mon papa, dans quinze jours je suis de nouveau avec toi ». Oui, mais toi tu es grande et moi je ne sais pas encore ce que c’est que de rester sans toi durant si longtemps, mais je m’en doute déjà. …et je n’en ai vraiment pas envie. Frissons dans mon ventre … Sûrement le froid !
Et puis quinze jours pourquoi d’abord ? Moi, jusqu'à aujourd’hui, j’étais tous les jours avec toi.
Depuis que tu es née, c’est bien moi qui me suis levé la nuit dès le premier jour. Les petites maladies, les cauchemars ; qui s’inquiétait de toi ? Qui t'a nourri ? Les biberons, les premières bouillies, qui t’a changée ? Qui te fait rire et sais te consoler au moins à la moitie du temps et de notre vie passée à trois avec ta maman ; Ai je démérité ? Mal agit, de quoi sommes nous punis ?
La vérité douloureuse est que nous sommes injustement séparés l’un de l’autre alors que nous nous sommes découverts et aimés à chaque instant depuis trois ans.
3
Laissez-nous tranquille. Je ne l’accepterai pas Je veux être avec toi tous les jours, tout le temps, tu m’entends…
Entendre,
Personne ne m’entends ni Elle, ni les juges, ni le silence, seule la Saône continue à couler et à gronder son souffle glacial dans mon dos, seule l’amertume aigre, la rancune remonte au fond de ma bouche et m’écoeure. Personne ne m’entend, ni ne m’attends… Je commence à avoir froid aux pieds, mais je m’en fout, je n’ai plus envie de rien sauf de penser encore et encore que je ne vais plus jamais rentrer …
Le silence ; celui lourd de la mère quand j’ai dû te rendre tout à l’heure. « A dans 15 jours ». «Oui à dans quinze jours» sans doute !
Après trop de discussions si vaines, elle et moi n’avons plus rien à nous dire.
Pour l’oublier ce silence, j’ai passé la soirée au Moulin rouge. Les décibels, les copains en groupe et les seuls « célibataires » vite repérés, comme moi au bar … à boire… à attendre un autre lendemain aussi vain ; une autre nuit de solitude : un whisky... je n’avais de toute façon plus aucune attente et surtout pas de refaire une vie, ni la mienne ni le monde dont je ne me sens pas faire partie et que je ne comprends plus ; un autre whisky … oui j’en ai bien le droit. Allez remet moi ça …double … Et puis très vite j’en ai eu marre du bruit, de la fumée et des autres.
J’étouffe, je décide de rentrer à pieds, longtemps marcher la tête vide si possible et puis très vite le vide, je m’arrête là enfin, sur le banc au bord de l’eau. …glacée et inutile.
Ce matin j'ai été te chercher, petit bout de chou tout emmitouflé, petite boule au nez rouge qui s’est jetée de toutes ses forces dans mes bras ; j'ai senti tes joues fraîches, ton bisou sur ma joue et à ce moment j'ai été le plus heureux des hommes et le plus fier de la terre, tout cela grâce à toi.
Puis nous sommes descendus au pied de l’immeuble et là tu n’as plus tenu Tu m’as donné mon « cadeau ».
4
Tu l’as fait pour moi mercredi après-midi et tu l’as bien caché pour que maman ne le voie pas. En me racontant cela tu as sorti de ta poche une superbe photo précautionneusement découpée d’une belle dame qui m’attends quelque part ... c’est sûr ! Tu me l’as dit. … J'ai gardé la photo dans le fond de ma poche. Elle est là, je n’ai pas osé la jeter, on ne sait jamais n’est ce pas ?
Le bac à sable dans le petit parc, « Tiens mon papa »
Prendre,
Je tends ma main vers les siennes ; les petites mains s’ouvrent et laissent couler doucement le sable doré en laissant tomber au dernier moment dans le creux de ma paume un petit galet tout lisse d’un blanc immaculé .Il reste là sur le petit tas de sable, unique et offert. «Je l’ai trouvé dans le sable » me confie t’elle « Tu le garderas et tu le mettras avec ta collection de pierres comme cela je resterai un peu avec toi dans ta maison toute la semaine ». Notre maison n’ai je pu m’empêcher de penser, mais tu as raison pour un jour de passage sur deux semaines il est vrai que c’est plutôt un hôtel qu’une maison .Comment faire pour en faire un endroit à elle ? Je n’en sais rien encore, et je me demande si j'y arriverai !
Sentir,
Le zeste d’odeurs mélangées de ta peau et de ton bain moussant a imprégné légèrement le sable ramassé et ton caillou diamant .Ces petits bouts de toi sont restés là dans ma poche. La pierre est si petite, un peu comme toi, pourra t’elle me réchauffer un peu et ne pas éteindre l’étincelle de rêve qui reste en moi cette nuit ? Je vous garde précieux petit souvenir et sable pluie d’étoiles parfumés, je vous serre de toute mes forces dans ma main, mon cœur se serre aussi trop fort ; je t’aime. N’oublie jamais Chloé.
Garder,
Il est tout chaud maintenant, comme sa petite menotte dans la mienne quand, profitant des trop courts instants à nous, nous avons marché à tout petits pas d’enfants (peut être que cela dure plus longtemps non ! Si l’on marche tout doucement). Ton enfance , bien sûr elle va vite passer ton enfance avec moi, demain déjà adolescente et moi déjà père à temps perdu , à mi temps et en attente d’être perdu de vue .J’ai même peur cette nuit de me perdre de moi avant ce matin .…
Pleurer…
Bon aller je ne veux pas vous faire pleurer, je ne veux plus pleurer ! J'ai froid c'est tout, je suis mort gelé
dehors et surtout de dedans ; J'ai mal en moi ; j'ai du mal à comprendre, ce que j’ai fait ou ce que je n’ai pas su faire. J'ai mal à la tête maintenant, je ferme les yeux tout oublier, sauf Elle ma fille.
Voir,
Je nous vois encore au repas frugal et aseptisé du Mac Do, tu as dû grignoter les frites c’est à peu prés tout, je n’avais pas faim non plus ; C’est les derniers instants du week-end à un jour. Chez Mac do, on n’y est pas seul comme chez soi, c’est pire car seuls on n’y est à plusieurs ; avec la même tristesse. D’autres familles à deux : un enfant un adulte sont là aussi. Le parent s’efforce de rire les traits tendus et de distraire l’enfant. Pour ne pas gâcher les derniers instants, la pensée des deux étant déjà ailleurs, rivée sur l’heure prochaine de la séparation …
Elle arrive enfin, cette heure redoutée, presque un soulagement avant l'arrivée de la nausée ; j’ai à nouveau envie de vomir rien que d’y penser.
Vomir,
6
Bon sang, il faut que je me lève cela ne va pas. J’ai mal au cœur, le froid, le whisky peut être... La Peur. Je vais marcher un peu au bord de l’eau cela me réchauffera peut être …
Alors payer le Mac Do. Ah ! Oui c’est à ce moment là, en payant, qu’est tombée la mèche de tes cheveux que j’avais récupérée, volée devrais je dire avant de partir de la maison Bonheur. Le jour de mon départ je n’ai emporté que cela de toi, je ne voulais rien changer de ta vie là bas, pour que ce soit le moins perturbant possible alors tant pis, je n’ai pas demandé avant de la prendre cette petite mèche blonde coupée le jour ou tu es née.
Car tu avais plein de cheveux blonds et longs le jour de ta naissance, c’était beau, tu sais quand tu es née, quand tes deux yeux noirs (Oui, je sais je les ai vu noirs !) m’ont fixés en premier et ne se sont plus détachés des miens durant toutes ces minutes, et toujours tu me regardais dans la couveuse, ta petite tête tournée vers moi. Toute ta vie dans ce long regard échangé à jamais.
Toute ma vie aussi n’a plus été la même.
Je les ai bien gardé dans ma tête ces yeux cadeaux. Depuis ce jour là nous n’avons plus été séparés, car tu savais que tu pouvais compter sur moi : Ton papa.
Tu le savais que tu n’aurai jamais peur d’être un jour seule, c’est sûr je saurais toujours te protéger, toute ta confiance m’était donnée.
Espérer,
Alors maintenant, comment vais je faire si loin de toi pour qu’on ne te fasse pas de mal, j'ai peur pour toi, mais je suis si impuissant cette longue nuit ; pourtant, je le jure, je me battrai pour toi et pour ces yeux là qui occupent toute mes pensées…
Où l’ai je mis ta mèche? Ha oui ! Dans le portefeuille. Pour éviter de tout perdre je vais la mettre dans l’enveloppe avec ton beau caillou blanc, les papiers, photos... Voilà, ranger l’enveloppe maintenant, avec les doigts gelés ce n’est pas aisé.
7
La vase ! Maudite vase je l’avais oublié celle là ; Mon pied droit glisse, je dérape avec le second, maintenant j’ai les deux pieds dans l’eau. Je m’enfonce d’un coté jusqu’au genou dans la boue, je perds l’équilibre maintenant … M’accrocher à cette branche pour me sortir de là, L’ENVELOPPE …non ! Ce n’est pas possible, je l’ai échappée … elle part dans l’eau, je ne peux plus la rattraper, c’est pas vrai !!!!!!
Quel con ! Mais quel con je fais, j’ai perdu l’enveloppe.
Lamentable Pierrot mouillé tu n’as plus qu’à rentrer. Au moins ne pas oublier.
Se souvenir,
« N’oublie pas que je t’aime mon papa, que je t’aime grand plus haut que toi. »
AIMER…,
Tu me l’as dit tout à l’heure quand tu es partie dans ta nouvelle vie.
Moi aussi ChLOÉ n’oublie pas que je t’aime et pourtant tu l’a lu je suis bien petit.
Pierrot
1er Prix : Le talisman 2ème Prix : Volte face
3ème Prix : La bouteille à la mer 5ème Prix : Le stérilet de Mattieu
(Lire les avis de lecteurs) (lire du même auteur "on s'en paye une bonne tranche de (vie) Monsieur cri²" concours 2004)