Le stérilet de Mattieu ou tout par de l'arrosoir… Par Christian Malosse 5ème Prix
(lire du même auteur "Aux conjoints du monde entier" concours 2004)
(Voir aussi "Aux frontières du concours")
Une belle balade un jour ensoleillé au parc de la tête d’or :
Je ne manque jamais une occasion d’aller voir cette vieille pirogue donnée par je ne sais plus qui, et exposée sur les bords du lac.
De l’entrée principale avec sa grille en fer forgé rehaussée de dorures en descendant vers la roseraie, elle attend là, depuis tellement longtemps, pas loin d’un kiosque : vieux bout de bois, morceau de tronc délabré à en devenir pratiquement méconnaissable : le temps fait son œuvre…
En repartant, je me fais héler : « c’est à vous cette enveloppe ? »
Une jeune femme splendide, grand sourire, me parle.
« Pardon ? »
« Cette enveloppe, elle est à vous ? »
Je reste médusé devant de si beaux yeux d’un gris intense et balbutie :
« D’où vient-elle ? »
« Là, dans la vieille barque que vous regardiez. »
Je ne réponds pas, je bave ! Le menton est descendu et ma langue traîne par terre.
Je suis resté longtemps en mer et un air connu chanté par le célèbre Ferraro me traverse l’esprit :
« C’est pas l’homme qui a pris ta mère,
C’est ta mère qui a pris son pied,
Tatatssin »
Sans s’émouvoir en
apparence, elle me colle d’autorité l’enveloppe dans les mains sans me
marcher dessus et s’en va gaiement dans les allées.
Je reste interdit de longues minutes en la regardant partir.
Puis le sol sablonneux sur mes papilles délicates me rappelle à l’ordre et là dans mes doigts : l’enveloppe d’où se dégage un parfum surprenant, mélange de kraft et de patchouli…beurk !
Je remonte enfin ma langue et ferme la bouche après avoir délicatement enlevé et craché le sable excédentaire.
Assis sur un banc j’entreprends l’ouverture de cette inconnue fermée sur mes genoux. J’aurais préféré l’autre !
C’est vraiment n’importe quoi à première vue : une photo déchirée, un bout de journal déchiré lui aussi, une mèche de cheveux, une pastille blanche, du sable gris et cette odeur…
Mais qu’est-ce que c’est que ce charabia ?
Pourquoi ça tombe sur moi ?
Le calme et la sérénité retrouvés, j’entrevois deux solutions :
Soit je porte l’affaire devant les autorités policières compétentes et alors là pour un peu que ce soit encore l’inspecteur Sodiquet qui s’occupe de l’affaire, on va finir avec les glomériens qui attaquent Neptune sans passer par la Terre et toucher 20 000 klotrons… (Ndlr : klotron = monnaie des glomériens) ;
Soit je résous l’énigme, le drame qui se joue en ce moment et j’évite la catastrophe mondiale imminente, tout seul comme un grand.
C’est décidé, c’est parti, je relis tout Sherlock Holmes et c’est dans la poche.
Je m’en vais décortiquer tout ça subito rapido.
Je suis au bord de la
transe.
1/ La photo est
déchirée pour cacher sa tronche donc il ou elle ne veut pas être reconnu(e).
Il ou elle n’a pas la conscience tranquille donc ses intentions sont coupables
voire inavouables. De plus la main gauche est gantée pour ne pas donner l’indication
d’un homme ou d’une femme. Le grossissement à la loupe montre que c’est
un gant de magicien et/ou de gynécologue (la structure interne au microscope
électronique à balayage est la même).
Le bras droit est absent comme sa cervelle, c’est une manchote blonde !
2/ Le morceau de journal extrait d’un hebdomadaire gratuit : forcément un 69 pour un gynécologue.
C’est un français. S’il était d’origine asiatique, il aurait découpé l’annonce dans le fameux « Kissuceki »et s’il était d’origine arabe, il l’aurait prélevé dans le non moins célèbre « Tatouffemétouffe ».
De plus, c’est une annonce pour un loft comme dans l’émission TV ce qui confirme le manque de cervelle.
On a rajouté MT en rouge par dessus comme…Ma Trique ou Matrix ou Ma Tronche ou Ma Turlutte (ndlr : engin de pêche constitué d’un cône garni de soie et portant plusieurs hameçons, dixit Larousse.)
Et les nombres 43/24 : le code d’entrée d’un immeuble équipé d’un digicode et constitué de lofts. Ce code, ce sont ou plutôt c’était ses mensurations quand il était en érection et au repos (c’est plus facile pour s’en rappeler) mais avant l’opération bien sûr puisque maintenant c’est devenu une femme : un transsexuel.
Donc, pour résumer, un transsexuel manchot blond gynécologue magicien français avec les initiales MT habitant un loft dans un immeuble avec un accès par digicode ; voilà pour les 2 premiers indices ! C’est un bon début.
3/ Du sable ordinaire,
quelconque, légèrement gris comme celui des bords de plage du sud-ouest
souillées par la marée noire.
Mais pourquoi serait-il venu de si loin ?
Mais oui ce sable provient tout simplement du parc de la tête d’or : j’avais le même sur la langue quand j’ai croisé la belle équipée d’un châssis 72 modifié 94 ! ! : Les grands connaisseurs jugeront par eux-mêmes.
Il ou elle habite près d’ici. Le vent d’ouest a simplement amené ce sable depuis les côtes du golf de Gascogne et l’a déposé tel le marchand de sable de nounours sur ce merveilleux parc. Un inconnu l’aura ramassé avec sa langue en croisant une beauté sublime et romantique. C’est l’effet qui impulse.
(coupure de
quelques instants : l’auteur a du mal à dominer une modification anatomique
bien légitime et naturelle en repensant à cette histoire…tout le monde n’a
pas le flegme britannique qui sied à la découverte d’une telle énigme) but
the show must go on
4/ Une mèche de cheveux châtains non frisés ou
défrisés (genre Michaël Jackson) sentant le patchouli : ancien
soixante-huitard baba-cool et fan des Jackson five. (Cette
évocation suffit à tout faire rentrer dans l’ordre, anatomiquement parlant
of course)
Ces cheveux sont beaux,
luisants, avec des reflets vert genre perroquet ou pastiche comme disent les
auvergnats à l’heure de l’apéritif.
Elle porte donc une perruque pour cacher sa blondeur, comme lady X dans les épisodes de Buck Danny, pour mieux leurrer ceux qui cherchent la vérité.
Mais l’odeur qui emplit
aussi l’enveloppe…ce patchouli de Woodstockien sur le retour qui cache
malicieusement la laque et la colle utilisées pour empêcher l’identification
précise des origines.
5/ Une pastille ovoïde
de couleur blanche ou un médicament, histoire de mieux faire passer la pilule.
Quand un transsexuel se fait opérer, il doit prendre des calmants, des
anti-repoussants spéciaux pour éviter que ça revienne génétiquement,
couplé à des modifiants pour que ça prenne vraiment.
MT est en plein
traitement après son opération forcément récente.
6/ Une enveloppe en kraft
ordinaire, pas chère, peuple, vulgaire achetée en grandes quantités par le
style d’entreprise vieillotte, glauque, sordide à souhait et à l’ambiance
patibulaire mais presque.
MT est à cours d’argent pour en être arrivé à piquer un truc pareil !
Conclusion des points 3
à 6 : MT habite près du parc, porte une perruque, suit un traitement
médical particulier et n’a plus un sous.
Tout ceci étant posé,
il restait à rechercher dans mes archives quel personnage singulier pouvait
bien se cacher derrière ces quelques indices d’apparence anodine.
Ce fut rapide. La mémoire me revint en dépoussiérant le « Détective magazine » d’août 1995. Tout correspondait. Il faut dire que pour l’éviter, il aurait fallu faire fort :
« Mattieu
Taravelle, le gynécologue magicien sado-maso surnommé stérilitor ou l’auto-stérilo
a encore frappé ! »
Il s’ensuivait la
longue litanie de ses méfaits dont le principal était les nombreux vols de
stérilet sur ses patientes grâce à un tour de passe-passe.
Il était collectionneur
dans l’âme et artiste ; ses prises servaient à confectionner des
mobiles colorés et originaux qu’il revendait parfois, oh ironie du sort,
comme cadeau de naissance aux maris de ses patientes tombées enceinte !
Il fut aussi le premier
à se faire sponsoriser par un gros laboratoire pharmaceutique pour recommander
leur marque avec le fameux slogan qui marqua les esprits à l’époque et
lui rapporta une petite fortune :
« Avec Stérilex,
allez-y sans complexe
Avec Stérilex, elles
disent oui au sexe ! ».
Il aimait tellement cet
objet qu’il ira même jusqu’à s’en faire greffer un en or massif pour
éviter les rejets.
Qui aurait pu prévoir ce terrible destin ? Et pourtant…enfance difficile emplie de souffrances.
Son père, Victor, fut un célèbre polémiste de son époque : le fameux polémiste Victor. Sa mère louchait.
Leur fille fut baptisée Mathilde, elle en est vite revenue. Puis ce fut Mathieu après la 1ère greffe et enfin Mattieu après la coupe…d’ou les initiales MT.
Enfant, ses voisins
espagnols surnommait gentiment la petite : Niña ou Pinta ou Santa Maria
selon l’état de la mère très sensible à la houle à cause de son handicap
visuel.
La pauvre femme se soignait à la dramamine (pastille blanche) dès que le vent se levait.
Vierge jusqu’à 16 ans car elle courrait plus vite que son père (la fille pas la mère), elle fut attirée très tôt par les greffes de part les origines de son nom :
La taravelle, plantoir à 2 poignées muni d’un étrier dont se servent principalement les viticulteurs du Bordelais comme chacun sait.
Donc le sable vient bien du sud-ouest !
La polémique rapportait peu. Le père faisait des enveloppes le soir au coin du feu pour gagner de quoi payer les médicaments de sa femme. Cela créa chez Mathilde/Mathieu/Mattieu une profonde aversion pour ce contenant voire le mépris de cette pochette de papier, cette invention pourtant si pratique : comment expédier les lettres ou les documents sinon ?
Et où déposer tous ces indices farfelus ? (Merci à vous baron Clairefontaine)
L’article montrait aussi des photos de son adolescence (son père écrivant ses enveloppes penché sur la table de cuisine recouverte d’une toile cirée à carreaux rouges et blancs) et une autre peu avant son arrestation posant fièrement avec ses gants, un stérilet dans la main droite. Cette fameuse photo dont il ne reste plus aujourd’hui qu’une partie déchirée dans l’enveloppe.
Le journaliste précisait enfin que la greffe puis la taille ne lui avait pas permis de conserver toute sa pilosité d’ou le recours à de fausses mèches parfumées de patchouli.
La fin de ce brillant
article notait avec un certain amusement que pour échapper à ses geôliers du
centre pénitentiaire de Valseuse-sur-Loire (nom prédestiné s’il en est), il
avait dû se séparer de son précieux stérilet qui n’a pas encore été
retrouvé à l’heure actuelle.
Voilà, tout y est. La boucle est bouclée, les cheveux sont méchés et le stérile est stérilisé comme on dit.
Je tiens ici à exprimer mes plus vifs et respectueux
remerciements à Messieurs Sherlock et Mycroft Holmes qui m’ont inspiré tout
au long de cette difficile enquête. Leur aide m’a été précieuse.
« God save Dragqueen ! » (In english in the text) comme ils disent, sponsorisés par Homo.
Allez en route pour la
fin de l’aventure.
Il me reste à compléter cette brillante résolution afin de livrer la solution totale aux générations futures. Je dois trouver le chaînon manquant, cet objet qui prouvera de façon indiscutable l’identité du coupable car il ne faut pas oublier :
Mais où est donc passé le stérilet de Mattieu ?
Lyon, juin 1996.
Titouan Morback, le célèbre détective amateur à qui nous devons cette histoire et tant d’autres enquêtes élucidées parues dans ces colonnes, n’aura malheureusement pas eu le temps de boucler cette affaire.
Il a été retrouvé en juillet dernier, complètement déshydraté, la langue pendante, face contre terre et planté sur sa béquille, dans une allée du parc de la tête d’or près de la fameuse pirogue.
L’a-t-il croisé une nouvelle fois ? Etait-ce un piège ? Voulait-elle le forcer à retrouver son stérilet ?
L’enquête a conclu à un accident. Toute la lumière a-t-elle été faite sur cette affaire ?
Si vous aussi vous possédez une histoire,
Que n’a jamais raconté Pierre Bellemare,
N’hésitez pas à nous l’envoyer,
Elle sera peut-être publiée.
Détective magazine, Décembre 1996.
1er Prix : Le talisman 2ème Prix : Volte face
3ème Prix : La bouteille à la mer 4ème Prix : La lettre de Pierrot aux petits mots de Chloé
(lire les avis de lecteurs) (lire du même auteur "Aux conjoints du monde entier" concours 2004)